• Pourquoi offre le à Titouan ?

    Pourquoi à Titouan ?

     

    Oh la pourriture !

     

    Parce que j'ai dit qu'il avait un beau corps.

    Quelle pourriture elle fait. Elle m'imagine désirant coucher avec lui. Pire elle pense peut-être que je le mets dans mon lit avant de le rendre à mon fils. Et pourquoi ne pas aussi le mettre dans mon lit en même temps que mon fils.

    Mais ce que j'ai été conne !!!

    Maxime ne vaut pas mieux que Solène. Pas étonnant  qu'elles soient restées si longtemps amies.

    Dire que j'avais cru que Maxime avait évolué !

     

    Elle fait plus propre sur elle, mais elle est une bouseuse comme sa sœur.

    Solène - Maxime - Claudine ne sont pas des truites mais des grosses truies.

     

    Comment ai-je pu penser que nous étions pareille elle et moi ?

     

    Cette femme n'est pas une mère, c'est un monstre. Elle aurait dû relever quand j'ai dit que c'est au cimetière que j'ai appris le prénom de son fils. Comment aurai-je pu l'apprendre au cimetière ? Si le petit corps a bien été placé dans le caveau familiale, son prénom n'a même pas été gravé dans le marbre. Il n'y aucune trace de cet enfant au cimetière. Pas de prénom. Pas de plaque funéraire. Rien. Pour moins de cent euros, on peut avoir une petite plaque.

    A mon bébé parti trop vite.

    Rodolphe Léonard

    02.01.90 - 12.01.90

     

    Pour moins de cent euros Maxime pouvait faire une plaque en souvenir de son fils. C'était le moindre respect qu'elle lui devait.

    En vingt cinq ans elle a eu le temps de la lui  faire.

    Et Claude, Max, comment ont-ils pu enterrer leur petit-fils sans songer un instant à graver son prénom sur l'un des murs du caveau? Mais ils sont fait de quoi ces gens là ? Ils ont de la crotte de pain à la place du cœur ? Les chimpanzés sont plus civilisés qu'eux.

     

    Maxime n'a même pas assisté à l'enterrement de son fils. La boulangerie n'a même pas été fermée ce  jour là. Il n'y a eu aucun service religion. Il est mort, il a été enterré comme un chien. Non il y a des chiens qui sont pleurés. Les tombes dans les cimetières des chiens sont entretenues, fleuries.

     

    M'excuser !

    Comment ai-je pu me sentir devoir lui faire des excuses.

    Cette pourrie n'est pas prête de remettre les pieds chez moi.

    C'est fini, je n'achèterais plus jamais de pains chez les Léonards.

    Saloperie de famille !

    Mais quelle conne je suis.


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  • Cela va trop loin, beaucoup trop loin.

    Pourquoi personne ne peut me voir telle que je suis aujourd'hui ? Pourquoi faut-il que je reprenne ma vie là où je l'ai laissée, il y a vingt cinq ans ? C'est le monde à l'envers. Dans les fictions le personnage se réveille d'un coma et il se retrouve avec des gens qui ont évolué, un décor transformé. Il ne reconnait rien. Moi j'ai vieilli de vingt cinq ans, j'ai muri de vingt cinq ans et je me retrouve au même point que le jour où je suis partie. Seuls les papiers peints parlent des pages du calendrier tombées. Pourquoi tout le monde ici est resté figé sur un jour, un événement, qui ne les concerne même pas ? C'est un cauchemar.

     

    Cela va trop trop loin.

    Il y a vingt cinq ans j'ai tout subi, j'ai tout accepté, je n'ai rien dit, et j'ai déserté. Pourquoi d'ailleurs ? Pour me protéger ? Oh non ! J'ai marché vers le pire : SDF. Je suis partie comme on sort de scène quand le rôle n'a plus rien à jouer. Je n'ai pas déserté, non. J'ai été éjectée de ma propre vie par  Maman, interdite d'avenir par Solène.

     

    Cette fois je ne peux pas. Je ne le peux pas, non je ne le peux pas. Mieux, je le refuse.

     

    Si seulement Solène acceptait de me parler.

    Mais cela changerait quoi ? Ce qui est fait est fait. Que pourrait-elle dire d'autre ? Nous suivons la loi de causalité. Je dois vivre en assumant les conséquences, que cela me plaise ou non. A quoi bon vouloir déterrer les morts ? Les âmes s'envolent. Il ne reste que les os additionnés.

     

    N'importe quoi ! Voilà que je suis en train de penser que c'est moi qui aurait du aimer le russe de Mickaelle. A Saint Pétersbourg personne ne viendrait  me chercher. Non vraiment je n'ai pas changé, je veux encore fuir. Pas assumer, affronter l'adversité, garder la tête haute. Non. Aller ailleurs. Aller là où l'ignorance cache l'aberrance de mon comportement passé.

     

    Couper tout contact avec Marie Nelly, c'est facile. J'étais heureuse, flattée de cette amitié naissante. Faire marche arrière ; Ne plus la revoir : Facile. J'ai mené des combats plus compliqués même si je suis très loin d'être un chevalier Bayard. Je me suis habituée à ne plus me tourner vers Mickaelle à chaque nouvelle émotion dans ma vie. Vivre sans Marie Nelly sera encore plus aisé.

     

    Perdre mes filles, par contre, relève de l'inacceptable. La séparation est pourtant déjà enclenchée. Il est grand temps que je réagisse. Le chronomètre travaille contre moi. Je ne veux pas devenir comme Marie Nelly, une femme qui s'accroche à l'enfant d'une autre pour se donner l'illusion d'avoir le sien encore. 

     

    Dans deux semaines je dois me rendre chez le juge. Je sais que les filles veulent rester avec leur père. Je sais qu'elles ne veulent plus me voir. Je sais qu'elles s'en sont ouvertes au juge.

     

    J'ai tué leur frère. Action rédhibitoire.

     

    Elles ne réclament aucune explication. Sa mort le rend digne d'amour éternel. Sa mort me rend abominable à perpétuité.

    Je le suis, je le sais.

    Mais comme Elephant Man acculé dans la bouche de métro, j'ai juste envie de hurler : Je suis un être humain.

     

    Errare humanum est. Qui s'en souvient ?

     

     

    Je ne peux tout de même pas mentir au juge. Je me connais, je ne mentirais pas au juge, je ne suis pas une menteuse. Je sais taire. Pas mentir.

    Taire.

    Le juge ne se suffira pas de mon silence.

     

    Comment vais-je m'en sortir ?

     

    Et si j'en parlais au tueur de tchétchènes ?

    Sauf erreur Colerige Alesh est directeur d'un orphelinat, il doit donc connaitre les lois de la famille. D'accord les lois russes ne sont pas en tous points identiques à celles qui sévissent en France, mais peut-être a-t-il des contacts en France ? D'ailleurs que fait-il de tous ses orphelins ? Il ne les garde pas tous avec lui. Il a des bureaux à Paris. Il doit en faire adopter quelques-uns en France. Donc il a des avocats français qui travaillent avec lui. Il connait les lois françaises, ou d'autres les connaissent pour lui, ce qui pour mon problème, revient au même.

     

    Et si j'en parlais au tueur de tchétchènes ?

    Il est l'homme qu'il me faut. Je dois trouver le courage de lui parler. Colerige est obligatoirement quelqu'un de sérieux. Ce qu'il dira sera vérité. J'ai besoin de lui. Il est l'être parfait. Surtout que je me fous de lui. Son regard, son mépris, son dégoût, ne me toucheront pas. Il peut me juger, me condamner, je n'ai pas d'affection pour lui. Et cette histoire ne le concerne en rien. Aussi fort qu'il puisse me maudire, ensuite, il ne me poursuivra pas, il n'ouvrira aucune procédure contre moi.

    L'utiliser et ne plus jamais le revoir.

    Ce qu'il emportera de moi, sera sans valeur. Bien sûr il racontera à Mickaelle la calamité que je suis. Et alors ? Ne l'ai-je pas déjà perdue ? Un peu plus, un moins moins. Qu'est-ce que cela change ? Mickaelle  va partir vivre entre Paris et la Russie. Si mon passé la révolte, qu'est-ce que cela changera ? Une légère accélération de son départ de Bretagne ? Merveilleuse source de motivation pour  Colerige. Il m'aidera pour mieux la posséder.

     

    Même si je sais notre amitié à bout de souffle, cela me peinerait que Mickaelle ne garde de moi, qu'une image d'horreur. Je ne peux pas demander à une enfant qui a perdu ses parents très jeune, d'entendre que moi, mère, j'ai ... mon propre fils.

     

    Il y a une différence entre s'être perdues de vue et être source d'aversion. Je ne peux pas parler à Cole. Je tiens encore trop à Mickaelle. Elle est mon amie. Je n'ai probablement pas toujours été très classe avec elle, mais lui faire entendre cette histoire, non, je ne le peux pas. Utiliser un inconnu : oui. Faire pleurer Mickaelle : non. Peut-être ne pleurera-t-elle pas. Mais alors ce sera encore plus grave, car toute sa douleur s'imprégnera en elle. Non je ne le peux pas.

     

    Mais je ne peux pas perdre mes filles non plus.

     

    Comment vais-je m'en sortir ?

     

    Et si j'allais  voir Romain. Il est le père de Rodolphe tout de même. Aujourd'hui il doit être marié, avoir des enfants. Je peux le faire venir à la boulangerie pendant que Papa dort, en prétextant vouloir un devis. Face à lui, je déballe tout. Facile.

    Facile mais ridicule, absurde.

    Il va me dire que cela ne le concerne plus.

    Il n'a pas été sans entendre parler de ma grossesse, de ma mise à l'écart de la famille. A cette époque là, il s'est terré. La mort de Rodolphe a du l'arranger d'ailleurs. Ainsi il a été assuré qu'à l'avenir je n'allais lui réclamer de l'argent pour élever notre enfant.

    Si il sait la véritable histoire, il fuira en Australie. Comme les chiens : en creusant un trou dans la terre. Enfouissement verticale.

     

    Mais comment vais-je m'en sortir ? Comment ?

     

    Peser le pour et le contre. On dit toujours qu'il faut peser le pour et le contre. Prendre une feuille. A gauche le pour, à droite le contre.

     Ridicule et surtout inutile.

    Il n'y a que des contres.

     

    Alors parler à Roger. Il refuse de décrocher le téléphone depuis qu'il me croit tueuse. Dire qu'au début il voulait que je revienne, qu'il refusait notre séparation. Aujourd'hui il milite pour. Il doit avoir quelqu'un d'autre déjà.

     

    Mais lui parler dans quel but ? Pour avoir une chance de récupérer mes filles. La réalité n'est-elle pas pire que la version officielle ? Dire pour reconstruire, oui. Dire pour m'enliser plus profond, à quoi bon ? 

     

    Aujourd'hui nous ne sommes que deux à connaitre la vérité : Solène et moi. Solène ne parlera jamais, ça je le sais, c'est même pour ça qu'elle n'apprécie pas mon retour. Elle a trop à perdre si je parle.

     

    Si je relate l'exacte vérité au juge, Roger en sera avisé. D'ailleurs il a dû recevoir la même convocation que moi. Dire au juge reviendra à me confesser devant Roger. De retour à la maison, il offrira un résumé à charges aux filles. Il ne faut pas attendre de lui la moindre clémence, surtout si il a déjà une maitresse. Ensuite, inévitablement, Anastasia le répètera à sa tante, en version amplifiée. Claudine, furieuse que j'implique Maman,  m'accusera de ... mensonges, le temps que ses neurones nauséabonds trouvent  un élément imparable qui activera la colère de mes filles contre moi. Ensuite sur Saint-Méen-le-grand elle diffusera à tous vents sa belle création. En moins de dix minutes, Solène sera mise dans la confidence, et là nous sommes sur un vent mauvais.

     

    Je ne sais que deux choses : Je me sens dans un labyrinthe à l'issu introuvable, et je refuse de perdre mes filles. J'ai déjà perdu mon fils. Pas elles.

     

    Marie Nelly est peut-être la solution. Elle a traversé tant et tant d'épreuves, qu'elle aura probablement la sagesse qu'il faut pour affronter ma situation. Elle me traite en véritable amie aujourd'hui.

     

    Je peux peut-être commencer par parler au russe, à Mickaelle, juste à Mickaelle et ensuite, en fonction de son degré de dégoût, je m'ouvrirai à Marie Nelly ou pas. Non pas Mickaelle. Alors Marie Nelly.

     

    Seule je ne m'en sortirai pas.

     

    Mais pourquoi me battre contre des moulins à vent ? Je dois fuir à nouveau Saint- Méen. Mais pour aller où ? Certes j'ai Mickaelle encore un peu. Je peux lui demander la permission de m'installer à Paris chez eux, le temps de trouver un poste.

    Paris, quel horreur !

    Je ne veux pas vivre en territoire pollué. Je ne suis pas faites pour les grandes villes. Je ne veux pas vivre là-bas. Mais si je n'ai que cela comme solution ? Où alors à la montagne. Oui dans le taudis que Cole a comme refuge près de Beaufort. Mais bien sûr Beaufort. La neige vaut mieux que la ville. Je peux peut-être ouvrir un cabinet d'expert comptable à Beaufort ? Avec internet les distances s'indiffèrent de la neige. Moi six mois sous trois mètres de neige ! Et pourquoi pas vivre avec des chèvres aussi ! Suis-je si désespérée que cela ?

     

    Et si, simplement, je laissais la juge opérer. Répondre à ses questions. Juste raconter ce qu'elle veut entendre, juste répondre à ses questions. Ensuite constater l’ampleur des dégâts.  Définir si je vois les zéros de près, ou si je suis au delà, très profond dans la négativité.

     

    Je vais perdre mes filles. Si je mens au juge, je vais les perdre. Si je dis la vérité, je n'en serais pas moins haïs. Pile comme face : Coupable.

     

    J'ai promis à papa que j'allais l'aider à redresser la comptabilité de ses boulangerie. Je voulais juste l'aider, pas être projetée en janvier 1990. Comment les gens peuvent acheter des journaux datés de janvier 2016 et vivre comme si nous étions vingt six ans plus tôt ? Mais qu'ils regardent ma tête, je suis vieille, le 4 mai j'aurai quarante sept ans. Mes rides le disent, je ne suis plus la fille du 30 mars 89 juchée sur le meuble de la cuisine. Pourquoi personne n'a dépassé janvier 90, ici ?

     

     

    12 Janvier 1990.

    Quand maman est entrée dans l'appartement, qu'elle a vu l'enfant mort, elle m'a giflée, griffée, frappée, mise au sol. Elle a hurlé toute sa haine accumulée sur des années. Pour fuir ses coups, en rampant, je me suis retrouvée devant la porte de l'appartement. Tel un rap,  j'ai saisi mon sac à main, le sien aussi (étrange présence d'esprit) et j'ai ouvert la porte. Je ne suis pas sortie pour fuir. Je me suis réfugiée sur le palier pour me protéger d'elle. C'est elle qui a fermé la porte à clé pour ne plus me voir. J'ai essayé de re-rentrer.

    D'accord je n'ai pas insisté.

    D'accord je ne me suis pas laisser choir sur le carrelage pour attendre qu'elle se calme, qu'elle déverrouille.

     

    J'ai tourné les talons est mon avenir s'est transformé. 

    Bienvenue en Enfer Maxime.

     

    J'ai marché telle une automate dans les rues de Rennes. Le hasard m'a conduite à la gare routière. Un car partait pour Quimper. J'ai pris un ticket et je suis montée.

     

    Automate, juste une automate. Ni la mère, ni la fille, encore moins une femme adulte. Un automate, un corps errant, pareil au canard qui traverse la cour après avoir été décapité.

     

    Je me suis retrouvée  dans une ville inconnue à la tombée de la nuit. Quimper. Une tête avait repris place au sommet de mon corps à la descente du car, une tête avec une force décuplée : SDF. Ne pas devenir SDF. Tout mais pas SDF. Parce que SDF annonce le suicide à court terme. Je ne suis pas bâtie pour vivre dans la rue. Subir l'enfer du froid, de la faim, des coups, des viols.  NON. Ne pas devenir SDF. M'en sortir vite ou mourir. Ne pas devenir SDF.

     

    Je suis entrée dans le premier bar que j'ai vu. J'y ai demandé l'adresse et le chemin de l'association pour femmes la plus proche. Au rythme de l'impératif de ma force " Ne pas devenir SDF " j'y suis allée. Il faisait horriblement froid en cette nuit de janvier. J'étais SDF. Une petite voix , en parasite du message de ma force m'affirmait l'évidence. J'étais SDF.

     

    J'ai attendu l'ouverture des portes.

    " Ne pas devenir SDF. M'en sortir vite ou me suicider " pour compagnon de nuit blanche.

    " Je suis SDF " pour tumeur cérébrale.

    Oh ! la belle nuit, comme dit la chanson.

     

    Nuit si terrible qu'elle m'a éloignée de mon enfant. L'obsession de ma propre survie m'a fait oublier mon fils. Cette nuit là m'a prouvée combien je n'étais qu'une mauvaise mère.

     

    C'est une fille frigorifiée mais super motivée qu'ils ont découvert devant leur porte, au matin. J'avais profité de la nuit pour préparer mon discours. Le  secret de ma vie a débuté là. J'ai prétendu avoir fui les coups de ma mère. En soit ce n'était pas un mensonge, je n'ai jamais su mentir, c'était juste une vérité amputée.

     

     

    Et si j'avais moi, MOI, moi aussi, moi surtout, moi, si j'avais besoin que la vérité sorte ? Et si je n'avais pas su aimer mes filles, juste parce qu'on ne m'a pas laissée aimer mon fils ? Et si je m'étais interdite de leur offrir plus qu'à lui ?

     

    Mais comment aller lui dire : Bonjour, je t'aime ?


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  • MN - Tu peux y aller si tu veux. Il n'y a que nous à la maison. Edmond n'est pas près de revenir. Il ne rentre jamais avant dix neuf heures trente - vingt heure et Jean Charles est...  Je ne sais pas où, mais il y est pour la journée.

    M - Non non merci, c'est gentil mais merci non. Je pensais juste que mes pieds auraient adorés avoir une piscine hier soir. J'avais tellement mal que je me suis arrêtée au supermarché pour acheter un bain de pieds. Mais bon, pour en avoir un valable, il faut compter soixante euros, alors ... Ils attendront.

    MN - Aller viens, on va boire notre café les pieds dans l'eau. Il y a longtemps que je ne l'ai pas fait. Viens. Tu prends les desserts, moi les tasses. On y va. Tu me suis. Le carrelage est froid mais on va prendre les coussins des transats.

    M - Tu ne profites pas de ta piscine ?

    MN - Ce sont surtout les enfants qui y vont. Jean Charles et Titouan. Si tu voyais Titouan, un vrai poisson celui-là. Souvent je fais comme toi, je me colle contre le mur et je l'observe. Il a un magnifique corps, très fin. J'adore ce gosse. On lui doit tous, tellement.

     

     

    MN - Maxime ! Tu vas bien ? Attends, attends, pose ça, donne. Viens t'asseoir là. Tu as mal quelque part ? Tu veux un doliprane ? Tu préfères peut-être un whisky ? Viens t'asseoir. Qu'est-ce qui se passe ?

    M - Je vais bien.

    MN - Si tu voyais ta tête. Tu es blanche comme un cachet d'aspirine. Non non reste assise. Tu fous la trouille là. Tu as un cancer ?

    M - Non non juste une petite crampe. Ce n'est rien. Comment va Jean Charles ?

    MN - Tu sais quand tu apprends que ton fils est mort, tout s'écroule, tu as envie de mourir aussi. D'ailleurs c'est pour cette raison que je t'ai invitée. Je tenais à m'excuser. Je parle, je parle et c'est toujours après que je me rends contre que j'ai pu être désagréable, alors voilà, je nous ai fait ce petit repas en tête à tête pour m'excuser. Je te demande pardon.

    M - Tu me demande pardon ! Tes maquereaux en papillotes avec leur purée d'anchois étaient succulents. Même note à tes nids de pommes de terre avec leurs oeufs de choux de Bruxelles. Je suis ravie d'avoir découvert ce petit vin blanc de Corse et cette crème aux noix et pistaches m'attire autant que si j'étais devenue boulimique. J'apprécie vraiment que tu te sois donnée tant de mal pour me recevoir, par contre tu n'as pas à t'excuser. Il y a vingt ans que nous n'avons plus vingt ans et j'ai été largement aussi ignoble que toi quand nous étions petites. Les peaux rouges et les truites c'est du passé, on oublie.

    MN - Ah non mais tu n'y ai pas du tout. Je ne veux pas m'excuser pour autrefois. C'était vous les monstres, pas moi. Moi je ne faisais que me défendre. Non je te parle des conversations jamais finies que nous avons à la boulangerie. Les gens ici ne veulent pas savoir, comme çà fait mal, d'avoir perdu un fils. Je ne peux parler à personne de la mort de François Xavier. Clément lui est un martyr. Il avait 17 ans. Monique sa mère ne travaille pas, Bertrand est ouvrier maçon. Ils sont pauvres, on est riche. Enfin pour eux, on est riche, car réellement on ne l'est pas tant que cela, mais c'est sur que nous avons plus d'argent qu'un ouvrier maçon qui a quatre enfants et une femme qui ne fout rien. Les gens n'ont pas dit que Clément était un petit con qui n'avait pas mis sa ceinture de sécurité, non çà non, les gens ne l'ont pas dit parce que Clément était dans la voiture de Benjamin et comme Benjamin s'en est sorti, il est innocent. Sa voiture est entrée de plein fouet dans celle de François Xavier mais ce n'est pas de la faute de l'excès de vitesse de Benjamin, ni de son alcool dans le sang, non l'unique coupable c'est  mon François Xavier. Il est mort à 19 ans, quelle importance ? Il a reculé. C'est uniquement parce qu'il a reculé que Benjamin l'a percuté, que Clément est mort. Clément est un martyr, Benjamin un traumatisé à vie. Je ne sais même pas comment c'est possible que Benjamin n'ait pas fait de prison. Il a tué deux personnes, en a rendu une troisième invalide parce qu'il conduisait avec un gramme quatre d'alcool dans le sang et en plus il était en excès de vitesse, le chauffeur du poids lourd en a témoigné. Il conduisait comme un cinglé. Il a juste eu un retrait de permis, juste eu un retrait de permis. Depuis tout le monde le plaint. Le pauvre  8 ans après, il est encore trop traumatisé pour trouver un travail et repasser son permis. A chaque fois que Claudine vend une baguette, elle milite pour sa cause. Et Clément ! Et bien Clément a Monique pour mère, Monique, la grosse Monique, la reine des commères. Et puis Soizic sa soeur fait partie de la troupe de théâtre. Elle est aussi en couple avec Etienne, la petite vedette de la troupe, alors bien sûr, Clément c'est le martyr. Si tu passes à Saint-Méen, tu vas chez Claudine acheté ta baguette, tu vas fleurir la tombe de Clément et tu finis ta journée en allant rire au théâtre. Ah j'oublie, pour ta baguette il te faut une tranche de jambon alors tu pousses la porte de chez Solène qui a sa fille dans la troupe aussi. Saint-Méen c'est un triangle : boucherie - boulangerie - salle des fêtes. Il ne fait pas bon s'afficher en dehors des murs du triangle. Alors mon François Xavier, on ne se souvient de lui que pour avoir un coupable. Tout le monde s'est déplacé pour soutenir Monique et Claudine. Et moi ? Pendant que j'étais au chevet de Jean Charles, des pierres ont été jetées dans le jardin. Le mort ASSASSIN a été peint sur  les lames du portail. Tu sais ce que l'on m'a dit quand les gens ont su que Jean Charles a été amputé de son second pied ? Que l'on est assez friqué pour lui payer des prothèses. Personne, tu entends personne, n'est venu me voir, ne m'a téléphonée pour savoir comment je survivais. Edmond s'est emmuré. Sur des mois il ne m'a plus adressée la parole. Il a doublé son temps de travail. Moi j'ai donné ma démission pour être avec Jean Charles. Edmond a mis des années pour pouvoir articuler : " Je suis en colère contre François Xavier d'avoir rendu son frère infirme " . " Je suis malheureux d'avoir perdu mon fils aîné ". Et je sais qu'il est aussi très en colère contre moi d'avoir tant et tant insisté, pour que Jean Charles sorte avec son frère, ce soir là. Mais ça, il ne me le dira jamais. Parfois à table, je le regarde, et je nous vois comme deux vieux cons incapables d'unir leur peine pour réduire la souffrance. Alors on regarde les informations jamais bonnes à croire que seule la Mort d'inconnus aident les français à se sentir vivants. Moi je peux te dire que l’exhibition de la violence me tue à petit feu. Alors je détourne les yeux de l'écran mais je vois la chaise de François Xavier vide, la chaise de Jean Charles qui est un fauteuil roulant, et je coule un peu plus. Souvent les femmes, surtout les grosses me demandent comment je peux, à presque cinquante ans, continuer à entrer dans un trente six. Crois moi, il n'y a pas meilleur régime que de devoir partager ses repas avec un mort, un noyé de l'intérieur et un handicapé. J'ai cru que je ne m'en sortirai jamais. J'ai fait creuser une piscine parce que je savais que Jean Charles en aurait eu besoin et tu vois, les deux - trois premières années, à de milliers de reprises, j'ai regardé l'eau durant des heures et je voyais mon corps y flotter à la surface. Parfois, souvent même toute habillée, quand Jean Charles était encore à l'hôpital, malgré moi, poussée par une force mortifère, je descendais dans l'eau et je faisais la planche sur l'eau, comme j'aurai essayé mon cercueil. Être la fille unique du notaire ne m'a jamais rendue très populaire. Mon mariage avec un Leleuc n'a rien arrangé. Mais je m'en foutais, les gens de Saint-Méen ne m'intéressaient pas vraiment. J'avais ma vie, ma famille, mon travail sur Rennes, mon bonheur. La mort de François Xavier, Jean Charles détruit sur un lit d'hôpital, Edmond transformé en zombi, je te jure, j'ai vécu l'enfer. Je suis coupable d'avoir poussé Jean Charles à monter dans cette maudite voiture et je n'étais pas assez bonne mère pour savoir dépasser ma peine. Tous les jours j'étais au chevet de mon fils mais je ne parvenais pas à le sortir de son désespoir. Il n'avait que seize ans.  Seize ans. Quand on n'a que seize ans on est encore qu'un bébé. Comment tu encaisses à seize ans que ton frère est mort, qu'un copain à lui aussi et que toi, et bien toi, tu restes en vie mais qu'une de tes jambes sera amputé au dessus du genoux et l'autre au dessous. Débile je répétais en boucle à Jean Charles qu'il n'avait pas besoin de ses pieds pour dessiner, qu'il pourra être dessinateur de BD comme il l'avait toujours rêvé alors que François Xavier ne pourra jamais être professionnel de quelque chose. Invariablement il me répondait sans ironie " Il a bien de la chance " et moi je m'effondrais en larmes en le suppliant de ne pas dire ça. J'étais en dessous de tout comme mère. Je devais dégouter les infirmières. Une mère doit être forte pour ses enfants. Je n'ai jamais su faire ça. Je ne vaux rien comme mère. J'ai cru qu'on ne s'en sortirait jamais.  Et puis un jour j'ai vu arrivé dans la chambre de Jean Charles, un jeune homme tout timide. C'était Titouan. Charlotte, il arrivait que je la vois servir à la boucherie mais Titouan, on ne l'y voyait jamais. Jean Charles et lui n'avaient jamais été amis, non jamais. Ils n'ont même jamais été dans la même classe. Il n'a pas plus été dans la classe de François Xavier. Un jour il a poussé la porte et il ne nous a plus jamais quitté. A l'école Jean Charles était un garçon solitaire, il a toujours préféré les bandes dessinés aux activités des garçons de son âge. A l'hôpital je lui avais emmené ses cahiers à dessins, ses crayons, de nouvelles BD. Il ne réagissait plus à rien. Grâce à Titouan il est revenu à la vie. Oui Titouan a sauvé la vie de mon fils. Et la mienne par la même occasion. Je me souviens exactement le jour où j'ai su que mon fils était sauvé.  A la maison il y a deux fauteuils roulants, un pliant pour aller en voiture, et un second beaucoup plus confortable. Celui qu'il utilise toujours d'ailleurs.  Un jour, il faisait beau, j'avais les fenêtres ouvertes. J'ai entendu Jean Charles hurlé. Mon coeur a fait un bond dans ma poitrine, tu n'imagines même pas. Avant de descendre les marches en courant, j'ai eu la présence d'esprit de regarder par la fenêtre. Je m'attendais à voir Jean Charles dans une mauvaise posture. J'étais à douze mille lieux de la vérité. Il n'avait pas crié de douleur, il chahutait.  Titouan était assis dans le second fauteuil et ils jouaient avec un ballon. Quand mon fils m'a vu à la fenêtre il m'a crié de descendre car ils avaient besoin de l'arbitre des jeux olympiques. Ma vie a repris ce jour là. François Xavier nous avait quitté depuis dix huit mois.

    M - Ce que ta famille a vécu fut terrible. J'ai su tout ça, mais je n'étais plus ici. Ce n'est pas une excuse. Cent kilomètres, ce n'est pas une excuse. J'aurai du, je ne sais pas vraiment quoi, mais j'aurai du venir te voir, au moins. Je n'ai pas soutenu Claudine non plus. Nous sommes soeurs, mais tellement pas proches. J'ai entendu parlé de l'accident par Blanche qui le tenait de sa cousine. Clément et François Xavier avaient déjà été enterrés. Pour être très honnête au risque de te paraître ignoble, cela m'arrangeait bien, car je n'avais pas à me demander si je voulais y aller ou pas, à m'inventer une excuse pour ne pas pouvoir me déplacer.

    MN - Non non mais ne t'excuse pas, c'est moi qui te dois des excuses.

    M - Je ne vois vraiment pas pourquoi.

    MN - Parce que j'étale ma douleur devant toi, comme là je viens encore de le faire, alors que toi, tu as aussi perdu ton fils.

    M - Oh non pas ça!

    MN - Mais si ça. Justement ça. Parce que moi aussi j'ai pensé comme les autres, que cela t'avait bien arrangé. Oui j'ai pensé que la mort de ton fils te convenait. Et comme les salauds qui nous ont jeté des pierres, qui ont écrit ASSASSIN sur le portail, je n'ai pas douté que, oui, ta mère disait vrai quand elle affirmait que tu avais fait ce qu'il fallait pour t'en débarrasser, que la mort subite du nourrisson c'était bien pratique. Je fus de celles qui ont signé la pétition pour te voir en prison.

    M - Arrête s'il te plaît.

    MN - Non Maxime, non. Tu es une mère qui a souffert, comme moi.

    M - Non.

    MN - Bien sûr que si.

    M - Tu ne peux pas nous comparer, Marie Nelly. Ce que j'ai fait est monstrueux.

    MN - Tu es comme moi, Maxime. Aujourd'hui encore je m'accuse. Si je n'avais pas insisté pour que Jean Charles suive son frère, si j'avais mieux aimé François Xavier, ce soir là, ils seraient restés avec nous.  Si on ne lui avait pas payer son permis, sa voiture, il vivrait encore. Une mère s'accuse toujours du malheur de ses enfants. Tu as été rejetée par ta famille quand elle a su que tu étais enceinte. Tu as du accoucher toute seule. Tu t'es retrouvée toute seule avec ton bébé. Alors peut-être que tu n'as pas eu tous les bons gestes, mais personne ne les a. Je suis allée déposer une fleur sur la tombe de ton fils, la semaine dernière. J'ai honte. Si tu savais comme j'ai honte. Cela fait vingt cinq ans qu'il est mort, et c'est seulement la semaine dernière que j'ai découvert qu'il s'appelait Rodolphe. C'est très beau Rodolphe.

    M - Ne refait plus jamais ça.

    MN - Tu as le droit de pleurer devant moi tu sais.

    M - Je crois que je vais m'en aller.

    MN - Maxime, reste, on est pareil, deux mères qui pleurent leur fils.

    M - Non on n'est pas pareil, non, non, Marie Nelly, on ne sera jamais pareil. Excuse moi, je dois m'en aller.

    MN - Tu n'as pas encore goûter ton dessert.

    M - Offre le à Titouan.

     


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  • Comment lui parler? Elle est si fermée sur ses idées.

     

    Titouan a probablement raison quand il dit que nous devons continuer à vivre ainsi.

     

    Pour lui tout est simple. Il a son travail à la laiterie de Mr Leleuc. Après ses sept heures, il rejoint Jean Charles pour plusieurs longueurs de piscine. Marie Nelly le traite comme son troisième fils. Et ensuite il rentre à l'appartement pour manger. Il est heureux de m'y retrouver et il adore Loulou. Pour lui tout va bien. Il vit comme si les parents n'existaient pas, comme si il était un Leleuc non un Truiten.

    Mais il est un Truiten, comme moi, comme Loulou, comme maman et papa.

     

    Maman est fermée, butée et bien plus encore. Mais elle a raison sur un point, je ne peux pas vivre toute ma vie avec mon secret. Il me ronge.

     

    Je pourrai prendre un appartement en dehors de Saint-Méen-le-grand, dans le centre de Rennes ou sur la côte, vers Saint Malo ou Matignon, ainsi maman serait moins sur mon dos, ne me questionnerait plus autant, mais cela ne changerait rien au fait qu'un jour il faudra bien que j'annonce, haut et fort, le nom du père de mon fils.

     

    C'est Jean Charles qui a raison : "Pour ta mère c'est foutu". On lui a tellement mentie, qu'elle refusera la réalité. 

     

    Il a raison. Pourquoi accepterait-elle de nous croire ? De nous faire confiance ? On passe notre temps à lui mentir. Si on lui avoue la vérité, elle nous répondra qu'on lui ment encore. Nous  lui promettrons qu'elle doit nous croire, que nos affirmations d'avant  n'étaient que mensonges, mais que voilà c'est fini. On ajoutera qu'elle avait raison, que nous n'avons fait que de lui mentir pour cacher LA vérité, mais que voilà, cette fois, promis, juré, sur la tête de Lou Evan, LA vérité est ce que nous lui annonçons là, maintenant. Comme elle ne la supportera pas plus que les prétendues d'avant, voir comme elle la détestera encore plus que les versions d'avant, elle reprendra son refrain qu'on lui ment. Sa réaction serait compréhensible.

     

    Jean Charles a raison, nous lui avons trop menti pour espérer qu'elle se mettre à nous faire confiance. Surtout que la vérité sera une absolue abomination pour elle.

     

    Il faudrait peut-être tout avouer à papa avant ?

    Mais papa !!!

    Je l'entends encore : " Il n'y a pas pire fils, pour un boucher, qu'un fils végétarien. Que tu sois homosexuel, je ne l'aurai pas compris, mais tu serais toujours le bienvenu à ma table. Un fils qui refuse de vider son assiette, ça jamais, je ne l'accepterai jamais. C'est la viande qui t'a logé, payé tes études, habillé. Être végétarien sous mon toit, c'est renier tout ce que j'ai fait pour toi. C'est avoir honte du travail de ton père, de ton grand-père, de ta mère, de ta grande-mère. Impossible d'être fils plus ingrat. Si tu refuses de vider ton assiette, tu n'as plus de raison de venir t'asseoir à ma table. Le jour où tu arrêteras de te prendre pour un végétarien, tu redeviendras mon fils. En attendant puisque je te fais honte, quitte ma table, et laisse moi apprécier ce délicieux repas. "

     

    Pour maman, c'est à cause de la phrase de papa que Titouan est homosexuel. Mille fois elle nous l'a répéter depuis. Sans elle Titouan n'aurait pas relevé ce détail dans la tirade de papa. Titouan comme moi, ce jour là, n'a archivé que l'essentiel du message : " papa ne veut plus de mon frère pour fils ". Cela fait mal, très mal.

     

    Et puis maman a parlé d'homosexualité, de la tolérance de papa. J'entends encore Jean Charles conclure sans ironie : " Si on n'accusait dix fois de voler dans un porte-monnaie que je n'ouvre jamais, la onzième fois je m'y serai remboursé ". 

    Non Maman, Titouan n'est pas homo à cause de papa, mais à cause de toi.

     

     

    Maman vient toujours quand elle est sûre de ne pas trouver Titouan à l'appartement. Si un jour ils se rencontraient, est-ce qu'il saurait tenir sa langue ? Il serait bien capable de lui déverser toute la vérité sur la naissance de Loulou, juste pour s'en débarrasser.

     

    Selon  Jean Charles, ce sera radical mais pas plus mal. Titouan m'a promis qu'il se tairait aussi longtemps que moi. Il est persuadé que je craquerai la première, que je révèlerai tout. Est-ce vrai ?

     

     

    Pourquoi Maman n'est-elle pas aussi ouverte d'esprit que Marie Nelly ?

    En même temps est-elle si prête à entendre la vérité Marie Nelly ? Est-elle si ouverte que je le crois ? Pourquoi les garçons lui mentent-ils encore, alors qu'ils la disent cool ? Pourquoi n'est-elle pas encore dans la confidence ? Cela leur simplifierait la vie pourtant. Surtout à  Jean Charles qui vit sous le même toit qu'elle. Est-ce à cause d'Edmond ?

     

    Il y a bien une solution pour cesser de vivre dans le mensonge.

     

    Mon Loulou, ton papa dit que nous avons choisi la meilleur solution. Mais pourquoi alors je me sens si mal ?


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  • La nouvelle génération est incompréhensible. Elle se dit libre. Il n'y a pas plus coincée qu'elle.

     

    Mes enfants me tueront ! A croire qu'il veulent ma mort. Titouan est si buté, mais si buté. On n'en fera jamais rien de celui-là.

    Il a toujours été une tête à claque.

     

    Un jour alors qu'il n'avait que six ans, six ans !!! A six ans on ne pense pas, on mange, on dort, on joue, à six ans on est sans idée. Mais lui, à six ans déjà ce n'était qu'un sale petit révolutionnaire. Un révolutionnaire qui n'est devenu qu'un simple ouvrier dans une laiterie de seconde zone, vraiment pas de quoi frimer ! Et encore, parlons en de son poste, il ne doit son job qu'à son beau-papa.

    Enfin un beau-père !!!!

    Tu parles d'un homme celui-là aussi. Un véritable pauvre type. Il trouve un homme dans le lit de son fils, sous son toit et il lui offre un emploi. Il aurait mieux valu qu'il lui  botte le cul, oui.  Si il avait agi en homme, nous n'en serions pas là, aujourd'hui.

     

    D'un homme qui épouse une Corouge, que pouvais-je espérer ? Les Leleuc ne sont que de véritables idiots, de génération en génération. Personne n'ose le dire, mais tout le monde le sait. Les gens se taisent parce que la laiterie prend des saisonniers, l'été, mais personne ne veut les côtoyer. Madame Rolland me le disait encore hier. Ils ont embauché des Roumains à la laiterie. Preuve que personne ne veut rester là-bas.

    Une famille de dégénérés, tous autant qu'ils sont. Et ce n'est pas Claudine qui dira le contraire. Son pauvre Benjamin n'est plus qu'un légume à cause d'eux. 

    Ce n'est pas la branche Corouge qui va amélioré l'arbre généalogique des Leleuc. Enfin de toute façon avec un fils mort et un second qui n'est que ce qu'il est, l'espèce va s'éteindre. Dieu merci.

     

    Mais que Diable Titouan fait au milieu d'eux ? Mais pourquoi ne se réveille-t-il pas ? Bon sang, je ne l'ai pas élevé comme ça !

    Et cette sotte de Charlotte qui ne comprend rien à rien. Heureusement que François Xavier est mort. J'ai au moins le soulagement de ne pas le savoir père de mon petit-fils.

     

    Mon pauvre papa ! Ce jour là il avait emmené avec lui, son petit-fils, pour lui faire plaisir. Tous les gosses sont contents de voir des animaux, sauf les pleurnichards de peureux bien sûr, mais ceux là on n'en fera jamais rien.

     

    Enfin, bref, papa a voulu faire plaisir à son petit-fils. "Entre hommes" ils sont allés dans une ferme, pour lui apprendre le métier, pour qu'il voit comment on choisit une bête, et cet imbécile là en a conclu que le veau n'est qu'un bébé, un bébé qu'il faut laisser avec sa maman. 

    A six ans !!!

     

    Quand ce soir là il a refusé de manger sa viande, prétextant que seul les ogres mangent les bébés, je n'ai pas réagi assez fermement. Jamais je n'aurai pu imaginer aussi, qu'il était buté à perpétuité. Vingt ans que cela dur maintenant. Vingt ans !

    Porcs, poulets, lapins, ils sont tous devenus des bébés à leur maman.

    Il faudrait aussi revoir les ouvrages destinés aux enfants, dans la littérature jeunesse, il y a vraiment des idées qu'il faudrait bannir. 

     

    Un conte ridicule, un veau pleurnichard  et toute une vie de foutue en l'air ! C'est malheureux !

     

    En vingt ans, Titouan n'a pris que des centimètres, il est resté sur sa colère contre son grand-père. Si il existait une association pour le droit des veaux, il serait leur premier adhérant. Il y a tellement d'absurdité dans ce monde, qu'elle existe peut-être déjà cette association d'ailleurs. Pauvre France ! Mais où va le monde.

     

    Et puis ensuite il y a eu l'accident. Mais qu'est-ce qu'il en avait à faire de cet accident, cela ne le concernait pas. Il n'avait jamais été l'ami de François Xavier. Une fois encore j'ai été trop tendre avec Titouan. Je lui ai toujours bien trop pardonné.

     

    Comment se nommait-il déjà l'autre ? Le jeune qui est mort, celui dans la voiture de Benjamin, comment se nommait-il déjà ? Enfin peu importe. On ne le connaissait pas, celui-là, ce n'était pas un camarade de classe de Titouan ou de Charlotte.

     

    Dire que j'ai été charmée par son coeur tendre.

     

    Et puis pour une fois qu'il ne songeait plus aux veaux. Jamais je n'aurai du le laisser aller à l'enterrement. Et puis au nom de quoi la directrice s'est-elle permise de fermer l'école le jour de l'enterrement de ces deux délinquants ?

     

    C'est de ma faute aussi, quand il s'est approché du fils Leleuc, j'aurai du le pousser à prendre contact avec Benjamin. Claudine, voilà une femme bien, une femme qui méritait qu'on soutienne son fils.

     

    Benjamin le fils de Claudine conduisait, il s'en est tiré. Enfin tiré ! Il vit encore. C'est un légume qui ne fera jamais rien de ses dix doigts, mais en même temps, il a bien de la chance de pourvoir mettre tout sur le dos de l'accident. Je doute que Benjamin aurait été moins nigaud si il n'avait jamais rien eu. On ne me sortira pas de l'idée que c'est surtout un gros fainéant. Comme Jean Charles d'ailleurs. Sauf que lui avec ses deux amputations, il doit rapporter une fortune à ses parents. Son père pourrait bien lui trouver un poste dans les bureaux de la laiterie.

    Jean Charles, Benjamin, deux fainéants qui profitent du système et des trop grands coeurs de leurs parents.

    Une honte !

     

    Le môme à côté de Benjamin dans la voiture, comme François Xavier, le petit fils du notaire, ont  perdu la vie dans l'accident. Titouan, de leur génération a été ébranlé par cette histoire. Oui je ne le cache pas, j'ai aimé que mon fils ait un cœur tendre, qu'il me demande l'autorisation d'aller à l'enterrement de ses camarades de classe.

     

    Quand ensuite il a eu la lubie de vouloir rendre visite à Jean Charles à l'hôpital, j'aurai du l'aiguiller vers Benjamin, j'aurai du sentir le danger venir. Mais à l'époque j'ignorai l'avenir. Pourquoi m'y serais-je opposée ? Cela continuait à l'éloigner de son obsession des veaux. D'accord il ne s'était pas remis à manger de la viande, mais bon, je ne pouvais pas savoir...

     

    A la limite, un enfant normal en serait revenu avec une vocation de chirurgien. Boucher, chirurgien, c'est dans la même lignée, cela aurait été très bien.

     

    Jamais Titouan n'avait été l'ami de Jean Charles à l'école, et là, du jour au lendemain, il n'y a plus eu que lui qui comptait. Le pauvre Jean Charles dans sa chambre d'hôpital, le pauvre Jean Charles en fauteuil roulant, le pauvre Jean Charles qui a été amputé des deux pieds... Il y a des milliers d'africains qui meurent chaque jour, est-ce qu'on le bassine avec ça ?  Non. Il y a bien plus malheureux qu'un petit bourgeois qui a bobo à ses pied-pieds. C'était devenu lassant à la fin.

     

    Et Marie Nelly ! Ah cette peste de Marie Nelly. Elle m'a empoissonnée toute ma jeunesse. Comme si cela ne lui avait pas suffi ! Il faut croire qu'elle n'a pas d'autres ambitions dans la vie que de détruire la mienne.

     

    Elle a perdu un fils. D'accord.

    Ce n'est sûrement pas très agréable. D'accord.

    Son second a perdu ses pieds. D'accord.

    Est-ce que cela lui donne  le droit de me voler le mien ? NON.

    Qu'elle s'occupe du bout de celui qu'il lui reste et qu'elle laisse ma famille en paix.

     

    C'est à cause d'elle que Titouan a quitté l'école.

    C'est à cause d'elle qu'il est entré à la laiterie.

    C'est encore à cause d'elle qu'il a couché avec son infirme de fils.

     

    Elle m'a volé mon fils, l'a mis dans l'usine de son mari, le lit de son fils pour se le garder. Une saloperie celle-là. Elle nous a toujours pris de haut. Mademoiselle la fille du notaire. Pas une fille de commerçants honnêtes, non, La Corouge, une fille de riche, d'un vieux pervers, manipulateur qui se croit supérieur au curé, au maire.

     

    C'est bien étrange qu'elle ait mis mon fils dans le lit de Jean Charles et non dans le sien.

    D'ailleurs elle l'a peut-être bien fait. Titouan n'est pas un homosexuel.

     

     

    Mon Dieu !

    Ah mon Dieu non...

    Non, non surtout pas ça.

    Non, non...

    Mon Dieu, il est tombé amoureux d'elle. Titouan est tombé fou amoureux d'elle et elle n'accepte de l'avoir pour amant que si il consent à satisfaire la sexualité de son fils.

     

    Avec tout l'argent qu'ils ont, pourquoi ne lui offre-t-elle pas des putes ? On en trouve sur Rennes, facilement. Marie Nelly est une vraie perverse.

     

    Mais pourquoi Titouan ne se réveille-t-il toujours pas ? Elle le drogue ou quoi ?

     

    Titouan a toujours été un élève brillant, il aurait pu faire une grande école de commerce pour faire de la boucherie familiale, une enseigne de renom.

     

    Mais quand Titouan va-t-il enfin se réveiller ? Quand va-t-il réaliser à quel point il gâche sa vie.

     

    Et pourquoi Charlotte s'acharne à vivre sous son toit?

     

    Oh mon Dieu ! Mon Dieu...

    Ce n'est tout de même pas Edmond Leleuc le père de Lou Evan !!!

    Oh mon Dieu !

     

    François Xavier, Jean Charles, Lou Evan.

     

    Mon Dieu je nage en plein cauchemar.

    Le père de mon petit fils est Leleuc.

     

    Yves va avoir une attaque quand je vais le lui dire.


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  • S - Il y a longtemps que je ne t'ai plus vue avec un livre. Je me suis souvent irritée des romans que tu laissais trainer partout, mais j'avoue qu'aujourd'hui ils me manquent. Je ne comprendrai jamais pourquoi tu préfères vivre avec ton frère plutôt que chez nous. Aucune femme de ton age ne vit avec son frère, enfin.

    C - C'est un super roman. C'est l'histoire d'un homosexuel qui vit en couple avec une femme, elle aussi homo, et qui ne parvient pas à déchirer l'image d'hétéro qu'il donne à tout le monde. Un jour l'amante de sa femme a un

    S - Arrête tout de suite avec ça, Charlotte. C'est déjà pénible pour moi de venir dans cet appartement où les rats vivent en liberté. Je suis venue voir mon petit fils, alors ne me fait pas la leçon. Je ne changerai pas d'avis. Ton frère je l'ai porté, je l'ai mis au monde, je l'ai nourri de mon lait. Je connais mon fils. Il n'est pas homosexuel. Il n'a jamais été homosexuel, d'ailleurs l'homosexualité n'existe pas, c'est juste un acte de rébellion, exactement comme la drogue, les rats, avoir les cheveux mal coiffés. C'est de la revendication. A l'adolescence c'est acceptable mais à l'age qu'il a c'est devenu ridicule.

    C - Maman Titouan n'a rien d'un rebelle enfin. Et l'homosexualité n'a rien de

    S - Charlotte ne soit pas plus sotte que tu ne l'ais. Je te dis que mon fils n'est pas homosexuel, je le saurai si il l'était. Je te rappelle que j'ai souffert pour le mettre au monde.

    C - Mais quel rapport ? Moi aussi j'ai eu ma dose de douleur pour avoir mon fils mais ce n'est pas pour ça que je sais si il sera garagiste ou ambulancier.

    S - Il sera boucher. Je te le dis, il sera boucher comme son grand-père, son arrière grand-père.

    C - Lou Evan boucher ! Avec Titouan qui est végétarien. Je ne vois pas comment il pourrait devenir boucher, il ne mangera jamais de viande, enfin sauf quand il ira chez toi et papa, mais dans cette maison il ne mangera jamais de protéine animale en dehors des œufs.

    S - Titouan n'est pas végétarien, tu ne m'écoutes pas, je ne l'ai pas élevé comme ça. Titouan est en colère contre son grand-père. Il mange de la viande comme tout le monde et il aura une femme comme tout le monde. D'ailleurs tu dois quitter son appartement, prendre le tient. Comment veux tu qu'il rencontre une femme alors que tu vis avec lui. Si tu étais une bonne sœur tu l'éloignerais de ce Jean Charles.

    C - Tu as quoi contre Jean Charles ? Il est super sympa. C'est lui le parrain de Loulou.

    S - Charlotte enfin ce gosse a été traumatisé par son accident, il en est ressorti fragile. Titouan et lui, il faut que cela cesse. Si tu étais une sœur qui prend soin de son frère, tu leur prouverais qu'ils aiment les femmes.

    C - Je lui prouverai qu'il aime les femmes ! Attend maman, j'ai peur de comprendre. Tu es en train de me dire quoi là ? Que je dois coucher avec mon frère ?

    S - Avec Jean Charles enfin ! Pas ton frère, Jean Charles.

    C - Mais je ne le désire pas, et lui non plus ne me désire pas.

    S - Mais qui te parle de désir. Charlotte tu te butes. La sexualité n'a besoin ni du désir, ni de l'amour, c'est juste hormonale. Si tu faisais un effort, tu obtiendrais de Jean Charles tout ce que tu veux. Enfin... Avec lui bien sûr... Handicapé comme il l'est ! Pour le sexe, il ne doit pas avoir d'autres possibilités que de le chevaucher. Mais vois le bon côté des choses, cela  te permet de tout diriger.

    C - Mais tu te rends compte, Maman,  de ce que tu me dis. Tu veux que je couche avec Jean Charles pour casser le couple de mon frère. Tu me prends vraiment pour une pute. C'est comme ça que tu t'y prenais avec papa ? Tu lui taillais une pipe quand tu voulais une robe neuve ?

    S - Oh Charlotte que tu peux être lassante parfois !  Tu joues à quoi là ? Tu veux me faire la morale ? Parce que tu te crois bien placée avec ton bâtard ?

    C - Je ne te permets pas Maman.

    S - Tu ne me permets pas, mais avec le mari d'une autre, tu te permets tout, ma chérie. Dis moi, la femme de l'homme que tu as mis dans ton lit pour être enceinte t'a--elle permise de coucher avec son mari ? J'en doute. Alors excuse moi, mais ce n'est pas parce que tu es ma fille que je vais te comparer à la sainte vierge. Je voulais juste te faire comprendre que l'homosexualité n'existe pas, qu'une femme peut très bien avoir du sexe avec un homme qui provoque la société en s'affichant homosexuel.

    C - Je crois qu'il est préférable que l'on change de sujet, Maman.

    S - Bien sûr, évidemment. Alors changeons. J'ai justement une question : tu comptes vivre toute ta vie avec ton secret ? Il te faudra bien un jour que tu dises qui est le père de ton fils. Enfin ma fille où avais-tu la tête ! Tu ne pouvais pas prendre un garçon de ton age, non, il a fallu que tu couches avec un homme plus âgé et marié.

    C - Mais arrête ! Arrête. Pourquoi tu le détestes déjà alors que tu ne sais rien de lui ? Pourquoi tu l'imagines vieux, marié ? Pourquoi ne peux-tu pas accepter que l'on s'aime ?

    S - J'en sais assez sur lui crois moi. c'est un sot. Déjà tromper sa femme ne le rend pas glorieux, mais qu'il laisse sa maitresse avec un enfant, enfin comment veux tu que je le nomme sinon l'idiot.

    C - Maman est-ce que au moins un jour dans la vie tu as aimé papa ?

    S - Mais qu'est-ce que ton père vient faire dans cette histoire là ?

    C - Je suis amoureuse d'un homme qui m'aime Maman. Qui m'aime. Il m'aime. Si tu avais aimé papa tu ne me parlerais pas aussi méchamment.

    S - Mais réveilles toi Charlotte, cet homme ne t'aime pas. Si il t'aimait il quitterait sa femme, il serait venu à la maison pour nous demander ta main. Il aurait reconnu son fils. Est-ce qu'il l'a fait non ? Qu'a-t-il fait en dehors d'éjaculer, tu veux me le dire ?

    C - Rentre chez toi Maman, s'il te plait rentre chez toi.

     


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  • Saint-Méen-le-Grand

    Le 8 mars 2016.

     

    Mes Filles,

     

    Je l'avoue, jamais je n'ai essayé de vous parler de votre frère, car jamais il ne m'a semblé que cette partie de ma vie puisse un jour remonter jusqu'à vous. Quand j'ai fait le choix de quitter mon travail et votre père (non vous), quand j'ai décidé en commun accord avec votre grand-père de venir m'occuper de la comptabilité des boulangeries, dans le rouge depuis trop longtemps,  pas une seconde je n'ai songé à Rodolphe, non qu'il soit pour moi une histoire passée donc dépassée, oubliée, mais il faut croire que je n'ai pas associé ces deux parties de ma vie.

    Erreur monumentale, je m'en rends compte aujourd'hui.

     

    Votre frère se nomme donc Rodolphe.

     

    Je ne peux pas vous écrire désinvoltement : A dix neuf ans j'ai connu son père. Cette vérité ne peut se résumer ainsi.

     

    Vous le savez j'ai suivi des études de comptabilité. J'étais une très bonne élève, principalement parce que j'étais motivée de ne surtout pas rester à la boulangerie. Je ne songeai pas à flirter, à coucher, je demeurais concentrée sur mes cours. Il faut dire aussi, que peu belle, peu exubérante, j'étais de ces filles invisibles qui auraient fait tapisserie aux bals si elles avaient eu la sottise d'y entrer et dont la lucidité leur évitait bien plus d'une désolation. Vous êtes belles mes filles. Je n'avais pas cette chance. Et prisonnière d'une auto-censure,  je ne maitrisais pas votre liberté d'expression.

    (Anastasia la tienne déborde sur le domaine de l'impolitesse aggravée, mais j'envie ta capacité d'extériorisation même si je rêve que tes pensées ne soient pas en corrélation avec tes tirades empoisonnées).

     

    Je ne peux pas plus vous écrire que ce fils est le résultat d'un viol. Ce serait me mettre au centre de femmes qui ont terriblement souffert. Il est des indécences à ne pas se permettre. Il faut savoir différencier un ongle cassé d'un cancer en phase terminale.

     

    Jamais je n'ai désiré toucher la peau de R.

     

    Alors qu'est-ce ? Je vous laisse la responsabilité du choix du qualifiant. Jugez moi, jugez R selon la sévérité qu'il vous semble juste. Mais surtout souvenez-vous de ma passivité pour ne jamais la reproduire.

     

     

    Le 30 mars je suis entrée dans la cuisine en plein après-midi. Papa dormait dans la chambre à côté, comme à l'ordinaire. Toute mon enfant maman nous répétait à Claudine et moi, que quand papa dort même les mouches doivent cesser de voler. C'était son expression. 

     

    Dans la cuisine il y avait R, un peintre. Je les pensais deux, mais son collègue était parti. Eux aussi avaient reçu des instructions : travailler en silence.

     

    Il a entendu le bruit de la porte qui s'ouvre, a tourné la tête. Nous ne nous sommes rien dit. Nous ne nous sommes même pas souris. Je me suis dirigée vers le réfrigérateur, en est extrait un orangina. A un moment nos yeux se sont rencontrés. Pourquoi ? Je ne sais pas. Au lieu de continuer à me diriger vers la porte pour sortir, sans un mot je lui ai proposé mon orangina en le levant vers lui. Je m'en souviens très bien. Qu'est-ce qui en moi est à l'origine de ce geste ? Une gentillesse, une générosité, un instinct ? Aucune idée. Assurément pas un désir de plaire. Chaque jour nous produisons des gestes basiques qui n'ont aucune conséquence et parfois, aussi rarement que l'on gagne un million au loto, c'est le clache.

     

    Il m'a souri, a lâché son pinceau, s'est avancé vers moi. Je m’attendais à ce qu'il me prenne la bouteille des mains, et ce fut donc stupéfaite que je me suis retrouvée assise sur le meuble alors derrière moi. R m'avait soulevée avec une facilité et une rapidité impressionnantes. J'ai eu la sensation être aussi légère qu'un jeune chaton. Voilà à quoi j'ai pensé, à ma légèreté. Et bien sûr : papa dort, il est INTERDIT INTERDIT INTERDIT de faire du bruit. Interdiction de le réveiller.

     

    Pensant à papa, j'étais assise sur le meuble face à R qui a récupéré l'orangina. Il l'a voulu juste pour me l'enlever des mains, aller le poser plus loin. Je l'ai regardé agir, sans peur. J'étais chez moi, papa de l'autre côté de la cloison dormait, maman et Claudine étaient un étage plus bas, au magasin. Que pouvait-il m'arriver à moi, la fille qu'aucun garçon ne sortait de l'invisibilité ?

     

    En 1989 bien sûr que certains hommes violaient déjà des femmes, mais je ne me prenais pas vraiment pour une femme, et surtout cet homme n'avait pas du tout l'air d'un violeur et jusqu'alors (et ensuite) jamais je n'ai lu de désir pervers dans son regard.

     

    Pourtant il m'a fait ouvrir les cuisses pour venir s'appuyer contre le meuble au plus près de moi. Je me souviens parfaitement de la couleur de ses yeux. Pas un marron caramel lumineux, non un marron bien plus délavé, une feuille d'automne en fin de vie. Je me souviens avoir chercher dans ses yeux, l'expression de son âme, une beauté qu'il pouvait me trouver, un éveil d'intérêt, de la délectation, de l'amusement, voir du sadisme. Rien. Je n'ai rien trouvé. Dans le délavé de ses yeux il n'y avait rien à lire.

     

    Il a pris ma bouche aussi subitement qu'il m'avait juché sur le meuble dans la cuisine.

     

    Je ne m'y attendais pas. Je n'ai été ni flattée ni dégoûtée, j'ai pensé à nouveau à papa. Maman avait vraiment fait de moi un bon petit soldat. Attention mes filles, n'en déduisez pas que je la juge responsable pour partie de la suite. Je veux juste vous faire comprendre que son obsession de préserver le sommeil de papa était devenue mienne.

     

    Surtout ne pas faire de bruit. Surtout ne pas réveiller papa. Quoiqu'il arrive, ne jamais le réveiller.

    Oui je fus un bien bon petit soldat.

     

    Tout le temps je n'ai pensé qu'à papa. Et à ma culotte. Son élastique me faisait mal. Je me suis contorsionnée pour m'en libérer sans jamais y parvenir. R m'a pris sur le meuble sans violence, sans ardeur. Alors oui ce fut un viol puisque je ne le désirai pas, mais en était-ce vraiment un, vu que jamais je n'ai hurlé (surtout ne pas réveiller papa), jamais je ne me suis rebellée. J'ai laissé faire. La douleur de l'élastique m'est restée bien plus longtemps dans l'âme et la peau, que celle de ces coups de butoir.

    Rodolphe est le fruit d'un laisser faire, d'un viol consenti.

     

    Sur les jours qui ont suivi R est revenu finir les peintures. Ce fut comme si jamais il ne m'avait touchée, comme si j'avais fantasmé une relation sexuelle.

    Pourtant mes règles ne sont pas revenues.

     

    Je ne m'en suis pas inquiétée. Je n'étais pas sotte au point de ne pas savoir comment on fait les enfants, mais depuis le début, mes cycles n'étaient pas réguliers, il pouvait y avoir six mois sans le moindre saignement. Cela me convenait très bien. Mes règles ont toujours été très douloureuses.

     

    Quand je me suis mise à vomir, à tomber dans les pommes en pleins cours, j'ai réalisé avec effroi dans quelle situation j'étais. Je suis allée à la pharmacie sur Rennes acheter un test de grossesse : Positif. J'ai demandé alors un rendez-vous chez un gynécologue sur Rennes. Il m'a fallu patienter un peu, aussi nous étions mi juillet, j'étais enceinte de trois mois et demi, quand je me suis retrouvée sur la table d’auscultation, les pieds dans les étriers.

     

    Je suis allée m'assoir ensuite au parc du Thabor, face aux oiseaux en cage. Je me suis sentie aussi prisonnière qu'eux. En mai j'avais eu mes vingt ans. L'enfant allait naître avec l'année 1990.

     

    Il y a un bassin à poissons rouges un peu plus haut, dans le parc. J'ai observé les enfants. Je me suis mise à les détailler. Il y en avait de très agressifs, excités et il y avait une minuscule poupée magnifiquement gracieuse. Ce qu'elle était belle ! J'ai entendu sa mère la prénommée Anastasia. Sur les mois qui ont suivi, chaque fois que la panique m'envahissait, je songeais à elle. Comment refuser de porter en soi une telle divine poupée?

     

    Plus loin à la sortie du parc, au niveau du carrousel j'ai pu observer un petit garçon  offrant trois pâquerettes sans tiges à sa mère. J'ai voulu savoir son prénom. Rodolphe. Il était désarmant, émouvant. Comment ne pas rêver d'être sa mère ?

     

    Mille fois sur les mois suivants, jours comme nuits, je me suis accrochée à Anastasia et à Rodolphe. Je me répétais en boucle que mon avenir était de chérir l'un de ses petits anges. L'avenir me semblait être une vallée de l'autre côté d'une imposante montagne, une vallée d'où il n'était plus possible de s'extraire. Sur la même époque Emile, votre oncle, s'est fait son tatouage. Je déteste les tatouages, non que je les pense tous moches, mais parce qu'ils ne peuvent disparaitre. Un tatouage c'est comme une amputation : pas de retour en arrière possible. Porter un enfant c'est aussi effrayant qu'une entrée en salle d'opération pour une amputation. (Attention je ne parle pas de vous mes filles, vous je vous ai désirées, vous vous êtes l'union de votre père et moi, je ne fais référence qu'à ma première grossesse). Oui entre le jour où j'ai réalisé être enceinte et mon accouchement, je suis demeurée en état de peur, aussi, pour ne pas m'y noyer, je me suis accrochée à ces deux enfants adorables. J'avais besoin de quelque chose qui puisse m'affirmer que cette vallée n'avait rien d'un enfer.

     

    Aussi j'ai un peu tout mélangé. Le jour de la naissance de mon fils, je l'ai nommé Rodolphe puisque je le nommais ainsi sur la fin. Et comme je n'ai jamais oublié cette admirable petite fille, tu fus nommée Anastasia ma fille. Blanche, tu sais que c'est ton père qui fit le choix de ton prénom. Tu en connais son histoire.

     

    Le lendemain midi, au repas, seul moment où j'étais seule avec les parents puisque Claudine mangeait avant nous pour tenir la caisse au moment du repas, j'ai annoncé ma grossesse. J'ai menti. Il n'est pas facile d'avouer à ses parents être une fille facile qui accepte le premier homme venu. J'ai donc inventé un garçon qui me tournait autour depuis des mois, un garçon de mon école pour que personne (sauf Solène puisque de ma classe) ne le connaisse. Je l'ai dit en dernière année, ne revenant pas en septembre. Je l'ai domicilié en grande banlieue parisienne, dans une commune donc je venais de lire le nom dans un roman, ou un journal, ou peut-être même de l'entendre à la radio.

     

    Comme de bien entendu papa s'est tu, pour ne pas dire tassé dans son corps et sa chaise. Réaction sauf surprise. Je n'attendais rien de lui.

     

    Maman a résumé la situation en une version bien plus longue que l'original. Si j'allais à l'école pour coucher avec les garçons, autant arrêter de financer mes études. Si je n'étais qu'une catin, autant que je quitte la famille sur le champs. Merci chaleureuse maman.

     

    En septembre je suis allée travailler sur Vitré dans une boulangerie, chez l'un des nombreux clients de notre fournisseur de farine. J'avais un studio sous les toits. Maman m'avait donné le minimum : un verre, une casserole, une assiette, ... tous en un exemplaire. Pourquoi en vouloir deux ? Je savais faire la vaisselle, non ? Logique implacable.

     

    Personne n'est jamais venu me voir. Je mens. Claudine et Emile sont venus une fois, juste une fois, au tout début.  Papa leur avait donné derrière le dos de maman, de l'argent. Claudine avait choisi de passer au supermarché. Seule je n'aurai pas bien su dépenser l'argent du père que je ne méritais pas. Ce ne fut pas ma conclusion, mais la déclaration de ma soeur aînée.

     

    J'ai travaillé tous les jours au temps de noël. Le jour de l'an je l'ai passé seule à la maternité. Rodolphe est né le 2 janvier à 2h53.

     

    Je suis sortie de la maternité seule et je suis rentrée à l'appartement via les bus avec Rodolphe dans les bras l'après-midi du cinq.

     

    Maman exigeait connaitre l'identité du père. Je ne la lui ai jamais lâché.

     

    R est  un enfant d'artisan. Maman nous a tellement, tellement éduquée dans la logique qu'il n'y a pas d'individualité qui compte, que nous sommes tous responsable de la réputation de l'enseigne. A chaque mauvaise note à l'école, nous mettions la boulangerie en péril, un redoublement aurait tué la boulangerie, papa aurait du mettre la clé sous la porte. Pouvais-je ruiner une famille honorable parce qu'un jour l'un de ses fils m'avait désiré (enfin non, à ce moment là, il aurait touché n'importe qui, on ne peut parler de désir) et que, fille aussi sotte, que facile, j'avais accepté qu'il me pénètre comme j'aurai accepté de finir la bouteille d'orangina qu'il aurait entamée ?

     

    La seule personne a qui je n'aurai pas pu cacher le nom du père de Rodolphe était Solène. Elle ne l'a jamais su pour la bonne raison qu'elle ne songeait qu'à se faire épouser par Yves Truiden. Elle était ma meilleure amie mais je n'ai jamais du être la sienne. Bien sûr elle me sut enceinte, mais fait divers et rien de plus. Je lui aurai annoncé avoir rayé mes beaux souliers vernis, qu'elle n'aurait pas plus réagi.

    Tout le temps de ma grossesse je n'ai parlé de mes peurs qu'à Rodolphe et Anastasia. J'avoue que j'ai un peu inversé les rôles. Si vous saviez le nombre de fois où je me suis excusée de ne pas être à la hauteur, le nombre de fois où je les ai suppliés de savoir faire preuve d'indulgence à mon égard.

    Il n'est pas toujours facile d'être fort , en tout cas pas pour moi.

     

     

    Blanche, Anastasia,

    Dans le cimetière de Vitré il y a une petite tombe d'enfant sur laquelle il est écrit :

    Rodolphe Léonard

    2 janvier 1990 - 12 janvier 1990.

     

     

     

    Je ne me souviens pas avoir autant pleuré de ma vie.

    Comprenez,

    Ce n'est pas le 12 janvier que j'ai pleuré, non c'est là, maintenant. Je suis incapable de poursuivre cette lettre. Vous méritez de savoir l'histoire de votre frère, mais pour l'heure, pardon je suis incapable de poursuivre cet écrit. Lâche je conclurai donc que ce que vous venez d'apprendre suffit à l'envoie de cette lettre. Je ne suis même pas sûre que vous lirez ses lignes tant Anastasia est remontée contre moi. Que vous me contactiez ou que vous choisissez de couper tous liens avec moi, je juge que vous êtes en droit de savoir ce qui s'est passé le douze janvier quatre vingt dix. Vous recevrez donc une seconde lettre si le silence demeure entre nous. Quand je ne le sais. Je vous promets juste de vous raconter pourquoi vous ne connaissez pas vôtre frère.

     

    Jugez moi, insultez moi, condamnez moi, qu'importe. Personne ne peut me dévaloriser sans mon consentement, et croirez moi, jamais vous ne pourriez me condamner à une peine plus lourde que celle que je me suis déjà infligée.

     

    Maxime,

    votre génitrice qui n'a jamais su être une mère.

     


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