• Elle me sort par les yeux. Elle n'a jamais voulu aider les parents, moi seule passais mes soirées, mes week-end, à la boulangerie, pour même pas un salaire. Maman n'a jamais été salarié, comment aurais-je pu l'être ? Maman et moi avons donné notre vie pour l'affaire familiale. Pauvre maman elle est morte sans jamais avoir pu connaître autre chose. Jamais de repos, jamais de vacances, juste les dimanches après-midi, et encore, elle les consacrait au grand nettoyage. Pas une fois elle ne s'en permise de venir avec les enfants et moi au cinéma. A-t-elle seulement mis les pieds sur le sable d'une plage dix fois dans sa vie ? Jamais maman n'a accompagné ses petits enfants à la plage. Pauvre maman. Elle a perdu sa vie à sauver le nom de la famille, nom que Maxime a jeté dans la boue.

     

    Elle a déshonoré la famille, Maxime.

    La boulangerie aurait pu faire faillite à cause d'elle. Heureusement que les gens savaient papa et maman d’honnêtes gens, ils sont restés fidèles aux pains de papa, mais il a fallu offrir des cadeaux, faire des remises, accepter les ardoises.

    Comment papa a-t-il pu oublié ça ?

     

    Bien sûr les années ont passé. Beaucoup de clients d'aujourd'hui n'étaient pas à Saint-Méen à cette époque là, mais comment papa peut-il lu faire confiance ?

     

    J'ai déjà entendu des remarques, depuis son retour. Les gens sont si lâches. Un ose parler quand dix se contentent de penser. Il y a ceux qui abordent le sujet par l'humour pour en apprendre plus, comme si j'étais assez sotte pour leur offrir un résumé de l'horreur à venir. Sotte et médium ! Comment pourrai-je savoir quelle bombe elle va nous faire tomber sur la tête cette fois-ci ? Il y a ceux qui avouent avoir été choqués de la savoir de retour et qui m'ont bien fait comprendre qu'à l'avenir, ils marcheront un peu plus, pour aller acheter leur pain place de l'église, soit éviter la boulangerie rue du lavoir où ils prennent le risque d'avoir affaire à elle.

     

    Je l'ai répéter à papa, il répond qu'il faut laisser les gens dire. Peut-être mais tout de même pas au risque de faire couler l'affaire.

     

    J'ai sacrifié ma vie pour l'affaire familiale pendant qu'elle ne voulait pas en entendre parler. J'ai fait les études que maman voulait, pour que je puisse reprendre l'affaire. J'ai épousé Émile Robic l'employé pâtissier de papa pour qu'il ne devienne pas un concurrent en ouvrant sa propre boulangerie, et c'est ce que l'on a fait, on s'est installée, mais pas à notre compte, non, on a ouvert la seconde boulangerie de papa. Maman a tout fait pour que nous ne soyons que ses employés, nous n'avons jamais eu droit à une part des bénéfices. A la mort de maman, papa nous a dit qu'ils s'étaient protégés, que je n'avais droit à rien de son vivant, mais qu'à sa mort, l'affaire familiale me reviendrait.

     

    Seulement voilà Maxime quitte son travail, son mari, ses deux filles, sa maison, et il l'accueille les bras ouverts, il l'installe chez lui et comme elle est comptable elle prend la comptabilité en main en commençant par se verser un salaire.

     

    J'ai trimé toute ma vie pour réhabilité l'honneur de la famille et voilà qu'elle revient.

    Mais qu'est-ce qu'elle croit ?

    Que les gens ont oublié ?

    Personne n'oubliera jamais qu'elle a tué son fils ?


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  •  " Devenir adulte est apprendre à greloter seul ". Je ne sais plus où j'ai lu çà, mais comme c'est juste.

     

    Ma chère grande sœur !

     

    Toute ma petite enfance je lui ai courue après puisque papa restait enfermé dans son fournil interdit aux enfants et maman vivait dans le magasin tout aussi interdit. Il ne me restait que Claudine. Nous n'avions même pas la télévision. Enfin si nous l'avions mais elle devait rester éteinte en journée car ce n'était pas une heure convenable pour la regarder, et le soir car le père dormait et il ne fallait pas faire de bruit, ce qui aurait pu le réveiller.

     

    Claudine a été une petite mère pour moi, une assez mauvaise petite mère. Ce qu'elle doit être aussi pour Céline et Benjamin.

     

    Il faudrait vraiment que j'aille le voir. Pourquoi le faudrait-il ? Je n'ai rien à lui dire. Pourquoi s'emmure t-on toujours dans des devoirs inventés ? Où est-il écrit qu'une tante à des devoirs envers son neveux ? Où est-il écrit que l'on se doit de soutenir les malheureux plus que les heureux ? D'ailleurs est-il plus malheureux que moi ? Que la majeur partie des gens ? Claudine ne lui fait-elle pas jouer un rôle ? Claudine est le clone parfait de maman. Je n'ai jamais été celle qu'elle prétendait, tout ce que les gens savent de moi est faux, alors quelle concordance entre le Benjamin de Claudine et celui qui vit dans son garage ? D'ailleurs y passe t-il autant d'heures qu'elle le raconte ?

     

    Claudine, avant mon arrivée, s'obligeait à nourrir papa. Maman n'est plus alors Claudine prend le relais. Elle n'a rien oublié de l'éducation de maman. Par contre elle a oublié la vérité : je n'étais pas la chouchoute de papa, je fuyais maman et tout autant, voire plus, la boutique.

     

    Passé l'age de l'interdit, nous devions y aller pour vendre. J'étais tellement mal à l'aise derrière le comptoir que je me réfugiai dans le fournil. J'y ai découvert que papa y travaillait beaucoup moins que cru, comme moi il s'y planquait pour fuir les foudres de maman. Alors nous sommes devenus complices, nous nous trouvions des alibis. J'ouvrais un livre, papa ses mots croisés et on dégustait le silence, le calme. Je ne tournais que très peu de pages, il ne réfléchissait qu'à de rares définitions, nous nous échappions dans des rêves sans pois, juste créés pour évacuer l'espace Terre. On laissait toujours un ouvrage en plan pour justifier que nous ne pouvions pas nous montrons. Nous ne nous parlions pour ainsi dire jamais. Il ne cherchait pas à connaître ma vie, il voulait juste vivre en paix loin de sa femme. Moi je voulais devenir invisible pour que maman ne m'oblige pas à vendre son pain et ses croissants.

     

    Je n'ai jamais réussi à voir le monde comme Claudine. Elle se sentait grande dame quand une copine de classe entrait pour lui acheter des bonbons, une baquette. Moi j'avais honte, tellement honte. Je sais que des filles m'enviaient. Comme Claudine c'était un jeu de grands, des responsabilités, mais pour moi c'était une enfance volée, une exposition forcée, une confrontation aux adultes imposées. Je n'ai jamais aimé être dans la lumière. Encore maintenant.

     

    J'ai toujours aimé l'indifférence de papa. Sa présence me suffisait. Roger entre énormément dans la vie des filles. Il veut toujours tout savoir.

    - Blanche Chérie pourquoi ton amie Audrey ne passe plus à la maison ?

    - Anastasia Chérie à qui envois-tu un sms ?

    - Chérie tu me racontes ta journée.

    - Chérie tu me racontes le film que tu as été voir avec tes copines.

    - Edwin est ton amour ?

    - Alors tu as le béguin pour Julien ?

     

    Combien de fois suis-je restée interdite devant son comportement ? Qui est le meilleur père ? Le mieux qui ne disait rien ou celui de mes filles qui s’immiscent dans tout ? La seule chose que je sache et que j'aurai détesté avoir Roger comme père. Je le lui ai dit souvent.

     

    Quelle mère suis-je ? Une qui n'a toujours pas résolu le grand problème : Comment être présent sans être oppressant ?

     

    Papa est un homme simple. Si tu lui donnes, il prend, si tu lui racontes, il écoute, si tu tais tout, il respecte. J'aime mon père comme il est. Je me voudrai comme lui. Le suis-je ?

     

    Pour Claudine il n'est que glace et insensibilité. Alors elle en fait des tonnes pour un geste qui ne viendra pas. Elle a toujours espéré qu'il la prenne dans ses bras, qu'il la couvre de compliments et elle ne reçoit même pas un merci pour tous ses efforts. Il ne sera jamais le père qu'elle se voudrait. La souffrance vient toujours du décalage qu'il y a entre ce qui est et ce que l'on voudrait qui soit. Claudine n'a jamais compris le fonctionnement de papa, elle s'en est créé un idéal, et chaque jour elle rêve que papa mute en cet idéal. Que de perte de temps ! Que de souffrance ridicule. Moi, j'ai levé mille fois, les yeux des livres que je ne lisais pas bien que j'en tirais des fiches de lecture pour l'école, et je l'observai pour découvrir qui il était. Je pense l'avoir compris assez tôt. Cela m'a évité des désillusions et cela m'a encore plus permis de respirer librement.

     

    Avant ma venue, elle lui faisait des plats chauds. Il n'en mangeait aucun. Claudine ne le sait pas. Elle récupère ses plats vides, elle est heureuse de faire son devoir de bonne fille bien élevée. Georgic s'en régale. Pourquoi papa ne les mangeait pas, les offrait au pâtissier ? Question que je ne poserai pas, question inutile, la réponse est facile. Papa libre de maman, veut enfin profiter des plaisirs culinaires. Aux bons plats équilibrés, il choisit la matière grasse et les échalotes, les épices et les crèmes fraiches épaisses. Georgic mange l'équilibré et le peu salé. Papa entretient son cholestérol.

     

    Georgic s'est remis à cuisiner depuis mon arrivée. Il dit que c'est dommage. Papa lui offre quelques échalotes épluchées et la complicité affiche des sourires. Pas plus l'un que l'autre n'a envie que je les fasse asseoir, que je passe le tablier.

    Moi j'aime le midi manger deux ou trois tartelettes qui restent de la veille. J'observe les deux hommes et Oksana quand elle est là.

     

    Je deviens comme mon père, un être silencieux. Lui il découvre les longues phrases.

    La mort de maman lui va bien.

     

    Maman.

    L'ai-je toujours déçue ou ai-je été la fille qu'il lui fallait ? Jusqu'à l'accident de Benjamin, il était évident que j'avais toujours déçu ma mère, mais maintenant que je réalise comme Claudine s'est nourrie de l'accident de Benjamin, je n'en suis plus aussi certaine. Elles sont identiques ces deux femmes. Claude et Claudine utilisent l'enfer de leur enfant pour se mettre en devanture, pour être au cœur de toutes les conversations. Elles étaient faites pour avoir des enfants hors normes.

     

    Je devrais rencontrer Benjamin.


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  • C - Tu as rencontré Solène depuis que tu es revenue ?

    M - Non.

    C - Tu es là depuis un bon mois maintenant et tu n'as pas trouvé une minute pour aller t'acheter un morceau de viande ! Tu nourris papa comment ?

    M - Je ne suis pas sa cuisinière.

    C - Ah !!! Il devait être heureux ton mari. Ton départ ne doit pas le changer. Tu es revenue t'installer chez papa, tu pourrais au moins lui faire à manger. Tu ne crois pas. C'est tout de même grâce à lui que tu ne paies pas de loyer.

    M - Non.

    C - Non quoi ?

    M - Non je n'ai pas le devoir de nourrir papa. A l'age que nous avons, il n'y a plus de devoir parent / enfant. Nous sommes, disons, deux adultes qui cohabitons. On ne se doit rien.

    C - Cohabitation au frais d'un seul. Depuis la mort de maman, je lui fais chaque jour, des petits plats, qu'il congèle et qu'il n'a plus qu'à passer au micro-onde. Et toi, tu vis chez lui et tu ne fais rien pour lui. Tu n'as vraiment pas changé, tu profites toujours autant de lui. Tu as toujours su qu'il ne te refusera rien.

    M - Est-ce tout ?

    C - Qu'est-ce que tu es revenue faire ? Foutre la boulangerie en l'air ? Licenciée Oksana ?

    M - Qu'est-ce que Oksana vient faire dans cette histoire ?

    C - Tu lui voles son travail.

    M - Je lui vole son travail ! Claudine qui t'a raconté ce genre de folie. Oksana n'a pas changé ses horaires, je sais qu'elle est en CDD mais je n'ai jamais décidé de  casser son contrat.

    C - Parce que bien sûr, il n'y a que toi pour décider de l'avenir de la vendeuse. Maman a bien fait de te flanquer à la porte. Elle doit se retourner dans sa tombe en te voyant tenir son commerce.

    M - Pourquoi vous l'avez enterrée vivante ? Tu as sérieusement grossie avec les années Claudine, mais tu as encore plus pourrie. Comment va Céline ?

    C - Ne t'approche pas d'elle, laisse ma fille tranquille. De toute façon qu'est-ce que tu lui veux à ma fille ? Tu veux lui faire du mal ? Avoir abandonné tes filles ne te suffit pas ? Solène a bien raison de te fuir. Tu es nuisible ma pauvre Maxime. Tu sèmes la souffrance autour de toi. Tu devrais t'en aller avant de faire d'autres dégâts.


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  • Si il y avait un incendie la nuit, on devait pouvoir y entrer pour le sauver.

     

    Évidemment que je m'en souviens.

     

    Dès qu'il est entré à l'école j'ai senti que je le perdais. Il était mon bébé, mon bébé adoré. Edmond me reprochait de ne jamais le poser, j'étais comme une femme africaine, je le gardais contre moi. Aujourd'hui on en voit des femmes drapées qui portent leur bébé contre leur poitrine, on voit même des pères. L'époque a bien changé. On me prenait pour une folle, de toute façon quoique je fasse,  j'ai toujours été détestée. Je n'avais pas fait un bébé pour l'oublier dans un landau, pas plus pour le confier à une nourrice. François Xavier c'était mon bébé, ma vie, mon cœur, ma raison de vivre. Alors oui je ne le posais pas, jamais je ne l'aurai lâché pour le poser au sol sur un carré de tissus entre 4 barrières. Comme sur des mois je l'ai porté en moi, sur des mois je l'ai porté sur moi. Jours et nuits.

     

    Edmond disait qu'il n'apprendra jamais à marcher si il était toujours contre moi. Faux, il a marché au même âge que les autres, parce que je lui tenais la main, parce que mes sourires lui chantait des viens.

     

    Je me suis faire violence la première matinée d'école. Il avait presque  4 ans, Edmond n'a pas toléré que j'attends ses 6 ans. Et il y avait Jean Charles.

    Toute la matinée je n'ai pensé qu'à lui, j'avais tellement peur qu'il souffre de mon absence, que les autres enfants soient méchants avec lui, que l'institutrice ne le comprenne pas.

     

    Quand je suis allée le chercher le midi il a fait une crise, il a refusé de rentrer avec moi, il voulait rester manger à la cantine, il voulait rester à l'école l'après midi avec les autres.

    J'en ai pleuré toutes les larmes de mon corps. L'entendre, le voir me refuser... Je pouvais tout supporter sauf ça.

    Je réalise aujourd'hui que ce jour atroce  m'a probablement sauvé la vie. Si il avait été l'enfant que je me voulais, lui survivre ne m'aurait pas été possible.

     

    Ce jour là je l'ai perdu. Tous les jours qui ont suivi n'ont été qu'un éternel recommencement. Chaque matin je me levais, croyant le calendrier je me pensais sur un nouveau jour mais non, c'était toujours et encore une nouvelle répétition du premier jour de la fin de ma vie, le jour où mon fils ne me voulait pas, moi qui ne voulait que lui. Aucune mère n'aura l’honnêteté d'avouer que leur plus grand chagrin d'amour n'est pas le fait d'un homme mais d'un fils. Aussi je tais ma vérité. Mais taire n'est ni nier ni éteindre. 

     

    François Xavier ne m'a plus voulu dès son premier jour à l'école. Je sais qu'il n'a jamais particulièrement adoré l'école pourtant, il y était mieux  qu'avec moi.

    Il a grandi, il s'est affermi : Il respirait mieux là où je n'étais pas, il ne voulais rien me montrer, rien me raconter, me confier.

     

    Nous étions si proche, si fusionnel, qu'est-ce qui s'est passé ?

     

    Non je ne l'ai pas étouffé, si je le posais, il me tendait les bras, c'est même comme cela qu'il a appris à marcher, je reculais, il venait à moi.

     

    Non il ne m'en a pas voulu d'avoir Jean Charles. Je portais le bébé sur le ventre et François Xavier me montait sur le dos. Il me passait les épingles quand je mettais le linge sur le fil. Il prenait la baquette quand on allait chercher du pain. Claude me disait qu'il était grand, qu'il savait marcher, que je devais lui refuser mon dos, déjà que j'avais le petit, mais il aimait que je sois le cheval et lui mon jockey. Claudine racontait à tout le monde que Edmond était trop radin pour offrir une poussette à sa femme, il est sûre que elle, elle n'a jamais dû s'amuser à courir avec l'un de ses enfants sur son dos. Ce n'est pas étonnant que Benjamin soit devenu ce qu'il est devenu.

     

    J'ai perdu François Xavier le jour où il est entré à l'école. C'est comme si ayant découvert le monde, la famille n'existait plus pour lui, qu'il avait changé d'univers.

    Pourquoi ne voulait-il plus de nous ?

    A trois ans il me serrait le cou dans ses petits bras et il me chuchotait des " je t'aime maman chérie". Il affirmait que quand il serait grand on n'aura plus besoin de papa, que nous resterons tous les deux. Quand Jean Charles est arrivé, il ajoutait que papa partira avec le bébé, que nous resterons seuls ensemble, lui et moi. Avant son entrée à l'école mon fils était fou de moi. Je lui répondais que papa était mon mari, qu'une femme devait rester avec son mari. Il ne changeait pas d'idée, si pour demeurer ensemble il devait m'épouser à la place de papa, il le ferait. 

    " Un petit garçon n'épouse pas sa maman mon amour".

    " Moi je feserai comme çà".

     

    Il en avait une longue et merveilleuse liste de choses qu'il feserait quand il sera grand. Si il avait su la lune, il me l'aurait décrochée aussi.

     

    Jean Charles n'avait que un an quand son frère a arraché mon cœur. Sans m'en rendre compte j'ai du l'élever en gardant une distance entre nous pour ne pas souffrir autant le jour où lui aussi, ne voudra plus de moi. Et puis j'avais si mal, si mal, mon malheur a du s'immiscer entre nous. C'est probablement pour cela que Jean Charles a toujours voulu me protéger, et est si en colère contre son frère.

     

    Être mère est le métier le plus difficile au monde.

    Je dois le dire à Charlotte.


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  • Il ne l'aimait pas.

    Il ne m'aimait pas.

    Qui aimait-il d'ailleurs ?

     

    Il nous méprisait tous.

     

    Papa c'était la grosse meule à cause des meules de fromages qui partent en affinage chez Entremont.

    C'est vrai que papa sent le fromage certains soirs, c'est vrai qu'il  ne parle presque que de son travail, mais il sait changer de sujet, il sait écouter, accorder de la valeur à ce qu'on lui dit. Comment François Xavier aurait pu le savoir vu son refus de communication ? Dès qu'il a pu, il nous a fui. Alors c'est vrai que quand il venait à table avec nous, pour casser le silence qu'il induisait, papa racontait sa journée. Moi aussi je trouvais cela rasoir. Aujourd'hui je comprend qu'il cherchait à nous sortir du vide, qu'il prenait ce qu'il aimait pour nous entrainer dans son monde.

    Je suis comme lui. Je m'aperçois que souvent je raconte n'importe quoi comme si mes mots empêchaient que jaillissent ceux des autres ou à l'opposer pour les inspirer à se faire entendre. Oui je suis comme papa, je m'en aperçois, je le suis encore plus avec lui qu'avec n'importe qui. Lui et moi... On n'y arrive jamais du premier coup, il nous faut des mots vains, du baratin. Quand le temps nous manque, on n'en décolle pas, et c'est dommage. Mais chaque fois qu'il reste un peu plus, que rien ne m'oblige ailleurs, on s'ouvre, on se trouve. Et c'est bien.

    Papa n'est pas maman, il faut le mériter. François Xavier était trop con, trop brut, arrogant et orgueilleux pour seulement parvenir à soupçonner la richesse du père. 

    Papa n'est pas très doué pour communiquer, il est l'opposé de maman. On ne voit qu'elle, il est invisible. On n'entend qu'elle, il est silence. Mais c'est un père qui regarde, qui écoute. Non ce n'est pas une grosse meule. Non son cerveau n'est pas un trou d'emmental.

     

    Maman le sapin de noël.

    Elle possède plus de bijoux qu'un magasin et chaque matin elle s'en couvre. Aucune mère ne s'habille de perles, de broches et autres breloques. Oui à moi aussi, à une époque elle me faisait honte. Trop voyante. Non ce n'était même pas cela. Je n'ai jamais eu honte d'elle, je ne l'ai jamais trouvée laide ou folle, mais j'avais honte de ce que les autres mères et donc leurs enfants bavaient sur elle. Il faut des années pour comprendre la logique de la jalousie. En attendant oui, ne comprenant rien, seul avec elle j'étais bien, mais en public, je lui lâchais la main.

    Elle n'est pas un sapin de noël, elle est féminité à outrance et elle a les moyens de ses lubies. Maman est une femme très féminine. Elle était faite pour vivre à Paris, à New York ou à Berlin. Saint-Meen-le-grand est trop petit, trop rural pour elle. Elle est belle maman. Les femmes détestent juste que sa beauté mettre en lumière leur laideur, et leur gros cul. Maman ressemble à un mannequin. Il ne lui manque que des centimètres. La beauté, la prestance elle les a. Même encore à son âge, elle est très belle. Elle n'a rien d'un sapin de noël.

     

    Moi le jeune morveux je n'oublie rien. Maman fait comme si François Xavier avait toujours été un ange. Au quatrième mois il ne devait déjà plus l'être. Il a toujours été trop con pour avoir pu être un ange bébé. Il a toujours été trop con.

     

    Mon frère ne m'a jamais aimé. J'ai toujours été trop petit, trop idiot pour lui. Si j'avais eu un frère de trois ans mon cadet, il est probable que cela ne m'aurait pas trop plus qu'il me colle. Mais jamais je n'aurai eu de la haine envers lui. François Xavier se jouait de moi, il me piégeait. J'étais son esclave. Corvéable.

     

    Pourquoi m'a-t-il emmené à cette soirée là ? J'avais dit non. Ils picolaient toujours beaucoup trop. Leurs soirées finissaient toujours mal. Il voulait que je les suive. Qu'avait-il en projet ? Maman s'en est mêlée comme toujours, elle m'a dit que cela me ferait du bien. Trop dans les nuages, trop dans mes bandes dessinées.

     

    Me faire du bien de suivre toute une soirée une bande de connards qui picolent pour s'échauffer, puis qui cognent pour se calmer !

     

    Clément est un idiot.

    Benjamin est un abruti.

    Pierre, Damien deux alcooliques qui ne dessoulent jamais.

    Régis, Christophe, Lucas, des petites frappes, des suiveurs.

    Yannick et Daniel , aucune cervelle ces deux là.

    Et Fabrice et Romuald deux derniers de classes incapable d'articuler une phrase, de te regarder dans les yeux, toujours en train de parler de baise. Des puceaux qui se rêvaient violeurs.

    Mais le pire du pire c'était Gaétan. Un fou fêlé celui-là. Maman ne s'y trompait pas, elle n'aimait pas le voir à la maison.

     

    Elle a tout oublié.

    Comment peut-elle avoir tout oublié ?

    Trop facile.

     

    Benjamin ne vaut rien mais il n'est pas coupable de tout. C'est trop facile de tout lui coller sur le dos parce qu'il est en vie, parce que François Xavier est mort.

     

    L'accident ne m'a pas amputé de ma mémoire. Et il y a le témoignage du chauffeur du camion de chez STR la société de transport Rouillé de Saint Pol de Léon.

     

    Nous revenions d'un anniversaire à Broons.

    Nous étions à trois voitures.

    Régis conduisait la première. Pierre, Damien et Yannick sont montés avec lui.

    Mon frère conduisait la seconde. Christophe s'est assis devant, je suis allé à l'arrière avec Fabrice et Romuald. Jamais je n'aurais du me placer derrière mon frère.

     

    François Xavier et Régis ont voulu se marrer, ils sont partis sans prévenir les cinq débiles. Alors bien sûr sur la RN12 Benjamin a du foncer pour nous rattraper. J'imagine bien Lucas, Daniel et Gaétan sur le siège arrière hurlant dans les oreilles de Benjamin et de Clément des "plus vite, plus vite, plus vite, fonce mec".

     

    Nous, dans la seconde voiture, on ne hurlait pas. Tout le monde, même moi, chambrait Romuald qui avait levé une fille. Il y avait longtemps qu'il la voulait. Alors tout le monde se foutait de sa gueule.

     

    Et puis on a raté la bretelle de sortie. Christophe  qui était devant a tendu le bras en hurlant. Mais il était trop tard. Il voyait, nous montrait la voiture de Fabrice sur la bretelle, mais c'était trop tard pour nous. C'était trop tard pour tout le monde, sauf pour mon super frère si mature et intelligent. Il s'est placé sur la bande d'arrêt d'urgence et il a reculé. La bande de cons l'a félicité. "Bien joué mec".

    Bien joué mec.

    Bien joué mec.

     Reculer sur la bande d'arrêt d'urgence pour récupérer la sortie Saint-Meen-le-grand.

    "Bien joué mec". Pauvre connard oui !

     

    Ma vie a été foutu en l'air sur un "bien joué mec".

     

    Monsieur Timitri Gentil l'a raconté aux flics, l'a écrit dans sa déposition, me l'a raconté en menu quand il est venu me voir à l'hôpital.

     

    Devant lui, sur la bande d'arrêt d'urgence, une voiture qui reculait pour récupérer la sortie qu'elle avait raté.

    Sur sa gauche, une voiture en super excès de vitesse qui le doublait.

    Entre les deux, Monsieur Gentil avec son 19 tonnes contenant 20 palettes d'herbes aromatiques fraiches. Il a pensé, dépité "Où va le monde!". Il y avait longtemps qu'il avait compris que le A au cul des voitures signifiaient Abrutis.

     

    Et puis La voiture de gauche en excès de vitesse, lui a fait une queue de poisson, elle a fait un virage à l'angle droit. Il a eu la peur de sa vie. Un 19 tonnes ne pile pas, on ne peut pas freiner comme avec une voiture.  Et puis il y a eu le grand BOOM alors que son camion roulait sans gène. Au début il a cru que c'était lui, le camion n'avait pas été déporté mais il avait du heurter la voiture qui lui était passée devant. Et puis il a compris, son camion avait masqué au conducteur fou, la voiture qui reculait sur la bande d'arrêt d'urgence. Le camion n'avait rien mais les deux voitures s'étaient percutées.

     

    C'était la nuit, il n'y avait pas d'autres véhicules sur la route.

     

    C'est lui qui a prévenu les flics. C'est lui qui est venu à nous en premier. Clément et François Xavier ont été écrasé dans les toiles. Benjamin ne réagissait pas, moi j'étais conscient puis je ne l'étais pas. Monsieur Timitri Gentil a sorti tout le monde, leur a fait monter la sortie pour s'éloigner de la national. Quand les pompiers sont arrivés il ne restait que Benjamin dans le coma, Clément et mon frère déjà morts et moi à qui Monsieur Gentil parlait pour que je reste conscient.

     

    Maman sait tout ça. Elle a lu la déclaration de Monsieur Gentil. Il lui a raconté à l'hôpital ce qui s'était passé, mais pour elle, Benjamin a tué son fils en entrant sur la bretelle après avoir couper la route au camion.

     

    Benjamin vivant : coupable.

    François Xavier mort : victime.

     

    Oui c'est la voiture de Benjamin qui nous a percuté et qui m'a fait perdre mes deux pieds, mais si François Xavier n'avait pas reculé sur la bande d'arrêt d'urgence, si il avait accepté d'avoir raté la sortie, qu'il avait accepté de faire quelques kilomètres de plus pour prendre la suivante, aujourd'hui je marcherais.

     

    Sa mort ne l'innocente pas. Pour maman peut-être mais certainement pas pour moi. Mon frère est largement autant coupable de la mort de Clément que ne l'est Benjamin.

    Pourquoi maman ne veut-elle pas le reconnaître ?

     

    Elle veut mon bonheur, elle veut que je sois heureux. Qu'elle commence par cesser d'innocenter mon bourreau.


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  • JC- Pourquoi Maman ?

    MN- Pourquoi quoi Jean Charles ?

    JC- Pourquoi tu passes des heures assise dans la chambre de François Xavier.

    MN- Je m'y sens bien. J'y suis bien. Je ne fais rien de mal.

    JC- Cette chambre n'est plus la sienne, Maman.  La sienne était toujours fermée à double tour. On n'en connaissait que la musique qui transpirait des murs. Si on voulait lui parler, il nous criait qu'il arrivait et il venait dans le couloir, il gardait la poignet de la porte dans sa main. Tu te souviens comme on a tous été surpris de ne rien y trouver d'anormal ? J'ai toujours pensé comme papa, que tu y étais entrée pour y faire le ménage, pour nous dissimuler ce qu'il y cachait. Tu te souviens combien de fois tu lui criais de ne pas s'y enfermer la nuit, que si il y avait un incendie la nuit, on devait pourvoir entrer pour le réveiller.

    MN- Je ne lui criais pas dessus.

    JC- Tu lui criais dessus. François Xavier avait l'art d'exaspérer tout le monde. J'ai perdu mes pieds pas la mémoire. Dix milliards de fois tu lui as crié dessus.

    MN- Ne dis pas des choses comme ça. J'ai toujours aimé ton frère, ton père a toujours aimé ton frère et lui nous a toujours aimé aussi. Il t'adorait.

    JC- La grosse meule, le sapin de noël et le morveux.

    MN- Ce n'était pas méchant, ton frère a toujours eu un humour particulier, mais il n'était pas méchant.

    JC- Et il ne faisait jamais de bêtises, comme il n'a jamais reculé.

    MN- Jean Charles ne soit pas en colère contre ton frère. Tu sais bien ce qui c'est passé, c'est Benjamin qui allait trop vite.

    JC- Maman il a reculé.

    MN- Pourquoi faut-il que tu sois toujours en colère contre ton frère ? Il est mort cela ne te suffit pas.


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  • Les peaux-rouges ! Je les avais complétement oubliés ceux-là.

     

    Pourquoi  les frères Truiten les cassaient tout le temps ? Ce n'est même pas ça la bonne question : Qu'est-ce que je faisais avec eux ?

     

    C'est étrange la mémoire, je me souviens parfaitement de Marie Nelly qui était folle amoureuse d'Edmond qui ne la regardait pas, qui changeait de copines plus souvent que de chaussettes, mais je ne parviens pas à me souvenir duquel des frères, Solène était amoureuse. Le fait qu'elle ait couché avec les 4 sur la même période explique peut-être ma confusion.

     

    Solène ! Une si gentille fille disait maman. Elle l'aurait mise sous cloche si elle n'urinait pas. La sainte Solène ! Juste une bonne petite pute gratuite pour les Truiten. Il y a ce qui se voit et la face cachée beaucoup moins recommandable.

     

    Solène a toujours couché avant de discuter. Les commerciaux de ses fournisseurs doivent l'adorer. A moins qu'elle ait changée. Personne ne change, on devient juste un peu plus soi en se ridant. La question est : était-ce elle qui couchait ou était-ce l'anti-elle ?  J'ai toujours pensé que ce n'était pas elle, qu'elle subissait un endoctrinement quelconque. Il faut dire que comme maman, je voulais tellement la canoniser !

     

    Pourquoi Yves l'a épousée ? Il savait qu'elle couchait avec ses frères.

     

    Pourquoi suis-je étonnée d'avoir une vie si vide au regard de mon adolescence ?

     

    Je n'ai jamais ressenti avec Mickaelle ce que je ressentais avec Solène. Elle était ma soeur, ma confidente, bien plus que Claudine. Je crois qu'encore aujourd'hui je me sens liée à cette fille. Enfin cette femme. Je crois qu'au fond de moi je n'ai jamais cesser de pleurer notre désunion.

     

    Je ne souffre pas de ma séparation avec Roger. Je souffre encore du rejet de Solène.

     

    Claudine et moi, nous sommes sœurs mais cela ne va pas plus loin. Le sang nous uni, juste le sang.

     

    Petite, nous faisions des choses ensemble car les parents l'exigeaient, parce qu'il n'y avait personne d'autre. Et puis j'ai connu Solène et c'est un peu comme si enfin il y avait une personne pour moi sur cette Terre. Alors quand elle s'est amourachée d'un des Truiten, je l'ai suivie. Je suis devenue une truite.

    Claudine m'a collée car elle s'intéressait à Luc. Luc ! Luc et Paul les deux potes inséparables des quatre frères tant et si bien, que pour beaucoup ils étaient des Truiten aussi. Luc ! C'était le seul qui était assez beau. Mais ce qu'il était vulgaire. Non pas vulgaire, dérangé, oui dérangé. Incohérent aussi. C'est fou, nous étions de la même bande et je n'ai jamais dû lui parler. Il était le toutou des frères, moi celui de Solène, mais nous étions des toutous qui ne jouaient pas à la baballe ensemble.

    C'est fou comme mon adolescence me semble miséreuse tout à coup.

     

    Solène a rejoint les frères pour approcher celui qu'elle voulait. Ils l'ont gardée puisqu'elle servait de pute gratuite aux quatre. C'est étrange quand on y pense, pourquoi Paul et Luc ne lui passaient pas dessus aussi ? Luc, trop bizarre. Il devait resté puceau pour une quelconque gloire ! Il l'est peut-être encore aujourd'hui d'ailleurs ? Oh ! Je n'avais pas appris qu'il était mort ? Ah je ne sais plus. Je ne sais plus, c'est si vieux tout ça.

    Qui est mort ? Je ne sais plus. Personne peut-être.

     

    Je collais Solène donc je suis entrée dans la bande.

    Claudine m'a collée pour fréquenter Luc mais tellement perdu dans sa nébuleuse qu'il n'en a rien su, et en consolation ou en solution d'attente, c'est avec Paul qu'elle a couché.

    Que c'est beau la jeunesse !!! Triste temps de misère mentale.

     

    Claudine et Solène couchaient avec les mecs comme elles vidaient un Gin Tonic, sans réfléchir, parce que cela faisait bien, parce que l'âge le voulait, parce qu'il faut faire comme tout le monde, ne surtout pas être de celles que l'on montre du doigt car trop dans la marge soit coincées.

     

    Et moi ! Moi !

    Je me suis réfugiée dans une logique de supériorité. Aucun des douze mille garçons du département ne voulaient de moi, alors pour ne pas m'en réduire, je me suis créée un personnage méprisant. Ils étaient trop médiocres pour moi. Moi je ne couche pas, moi je fais l'amour. Enfin je ne faisais surtout rien.

    "Madame veut rester vierge pour son prince charmant" se moquait Solène.

    Bien sûr elle ne pouvait pas comprendre, elle qui avait instauré une logique de roulement pour discipliner les frères. Ordre alphabétique : Loïc - Raoul - Yannick - Yves. Première semaine du mois: Loïc, Deuxième : Raoul, etc. La cinquième en équilibre sur deux mois, elle s'offrait une nouveauté, l'un des douze mille. Et pendant ce temps Claudine et Paul sortaient ensemble pour rendre Luc jaloux.

     

    Dire que mes filles sont arrivées à cet âge de profonde débilité !

     

    Qu'est-ce que je faisais à suivre cette équipe là ?

    Je rêvais d'une Solène pour moi toute seule. Avait-elle un peu d'amitié pour moi, seulement ?

    Je les suivais pour ne pas demeurer à la boulangerie où être présente signifiait travailler.

     

    Oui j'avais honte d'être la fille des boulangers, non pas honte que mes parents le soient, mais honte d'être une enfant qui travaillait alors que les autres s'amusaient. Madame Huon, qui chaque retour de vacances nous demandait en sujet de rédaction, le résumé de nos vacances. Marie Nelly écrivait merveilleusement bien, alors toujours au final la Huon nous lisait sa rédaction. Comme elle était fière Marie Nelly que sa rédaction expose ses avions pris, ses promenades en barques, ses nuits d'hôtel en des pays impossibles à situer sur la carte. C'est peut-être bien ma jalousie qui a fait l'équipe des truites attaquer les peaux-rouges. J'aurai tellement voulu être elle.

     

    Moi je me payais un carton car je ne voulais pas, une fois de plus raconter combien la Huon mangeait de pain par semaine, la livraison que j'allais faire à vélo chez la vieille Yvonne qui m'accusait toujours d'avoir volé la pièce qu'elle avait mise de côté pour offrir des carambars à ses petites filles qui ne venaient jamais la voir.

    Claudine aimait le travail à la boulangerie, elle n'a jamais eu de problème avec les sujets de la Huon, elle racontait la fabrication des tartelettes, le bonheur d'accompagner papa à la maison de retraite pour livrer le pain.

     

    Moi, je voulais une vie de vraie petite fille, et je me suis donnée une vie d'ado déplorable.

    Étant d'une bande de mecs, aucun garçon ne m'approchait. Je n'ai jamais rencontré mon prince charmant.  Ai-je seulement été l'amie de Solène ?

     

    Il est impossible qu'elle ignore mon retard, la boucherie jouxte la boulangerie. Marie Nelly me savait revenue, elle ne peut l'ignorer.

    Je sais qu'au fond de moi je l'attends. J'attends qu'elle vienne s'acheter une baquette, un croissant, des chouquettes, n'importe quoi. J'ai quarante six ans et je ne suis pas capable de pousser une porte pour aller saluer mon amie d'enfance. Mickaelle s'est jetée à coeur et corps perdus dans les bras d'un Russe qui ressemble à un tueur de tchétchène en cavale. Moi je ne suis pas capable d'aller saluer une camarade de classe.

    Que je suis médiocre !

     

    Comment Marie Nelly fait-elle pour marcher dans la rue avec des bottines à talons, dans une mini-jupe rose sur bas bleu roi, et un chemisier qui compte autant de fleurs que de volants mais qui ne s'envole pas puisqu'il est lesté par dix kilos de bijoux ? Comment peut-elle sortir dans la rue avec des cheveux blond sable, et deux grosses mèches de couleur voilette ? Il doit falloir vraiment aimer sa vie et s'aimer pour réussir à tout assumer.

     

    Je pense que je n'ai jamais aimer ma vie. Je n'ai pas aimer être enfant de commerçants. J'ai cru trouver en Solène mon sauveur et je l'ai suivie et j'ai détesté sa conduite avec les quatre frères, alors je suis devenue son opposées, pas moi, son opposée et je n'ai pas aimé mon adolescence, mon début de vie d'adulte.

     

    Quand ai-je vraiment décidé de ma vie ?

     

    Pourquoi ai-je épousé Roger ? Pour fuir ? Non j'étais déjà partie. Parce qu'il n'avait aucun point commun avec la bande des truites ? C'est affligeant de constater comme je suis incapable de savoir pourquoi je me suis mise avec lui. Mickaelle aime Cole de tout son corps, ses tripes et son âme. J'ai quarante six ans et je pense que la vérité est que j'ignore tout de l'amour. Je n'ai jamais aimé personne. Pourquoi ? Parce que personne ne m'a aimé ou parce que je ne me suis jamais aimée ?

     

    Ai-je été heureuse un jour ?

    Je crois que je me suis comportée comme une chef avec Mickaelle car j'avais peur de découvrir la vérité : qu'elle savait toucher le bonheur et pas moi. Je crois que j'avais peur aussi qu'en la suivant je la perde comme j'ai perdu Solène. En l'obligeant à me suivre, je l'empêche de partir en des lieux où je ne puis entrée . Je ne suis qu'une paralysée.

     

    Maintenant que Mickaelle court après son russe, elle ne se soucie plus de moi comme Solène dans les bras des frères m'oubliait plus souvent que son gilet. C'est fou comme Solène perdait ses blousons, écharpes, gilets...

     

    Papa est heureux que je sois revenue. Il ne veut pas qu'Emile hérite de ses boulangeries. Papa n'est pas heureux que je sois revenue. Mon retour l'arrange. Nuance d'importance.

     

    Roger a probablement raison, j'ai probablement fait une immense erreur en quittant mon emploi.

     

    Ma vie me semble si vide.

    Comment Marie Nelly peut être aussi rayonnante ?


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