• 22

    Il y a des années que je n'avais pas travaillé avec mon frère.

     

    Il n'y a pas à dire, Zofia, Kara Ann et moi, nous avons super bosser. Lukasz fait un patron cool.

     

    Kara Ann avec sa jupe longue et son chemisier à  larges manches faisant du mortier cela vaut son pesant d'or. Où a t-elle été élevée pour ne même pas savoir se servir d'une pelle? 10% dans la bétonnière et 90% par terre. Enfin bon ok, 20 /80, 30/70. Oui elle a vidé la brouette de sable et les sacs de ciment mais elle les a étalés au sol. Quand Lukasz a vu ça, il était vert. Mais il est resté zen, il s'est contenté de lui retirer la pelle des mains, et de tout nettoyer. Elle a eu le diplôme du plus mauvais apprenti de France. La bonne volonté parfois ne mène qu'à ça. Mais comme dit Kara Ann, un diplôme c'est un diplôme. Elle a plus d'humour que je ne le lui imaginais. Un peu trop intello pour moi, mais, elle a de l'humour. Quand je comprends, j'aime bien.

     

    Ce que je trouve le plus fou, c'est qu'elle n'a pas un seul pantalon dans sa garde-robe. Quand Lukasz lui a conseillé d'aller se changer et qu'elle a avoué n'avoir que des jupes longues, on a tous ouvert de grands yeux, avant d'éclater de rire. Je ne pouvais pas lui prêter l'un des miens, elle est grosse. Enfin pas obèse, il y a pire, mais bon elle est ... grosse. Finalement elle a bossé en pyjama. Alors Miss Arlequin est devenue Mademoiselle Snoopy. Eclat de rire général quand elle est revenue en snoopy. Et que Lukasz, tout calme, qui lui dit dans le plus grand sérieux qu'elle a oublié le bonnet de nuit, casque sécurité oblige. Quel fou rire.

    Il est chouette mon frère.

     

    On ne pouvait pas croire qu'elle n'en possédait même pas un, aussi quand elle a fini par dire "ah si, j'en ai bien un, mais ..." et qu'elle est partie se changer, nous nous sommes mis à imaginer le modèle : fuseau à fleurs, caleçon à petits pois, jean's avec des broderies, des paillettes et des boutons. Nous n'avons pas songé au pyjama. Quel éclat de rire quand on l'a vu sortir de la maison. Kara Ann a joué la star sur un podium. Elle est chouette cette fille au final. Étrange mais chouette.

     

    Guénady l'adore. Le jour où je partirai, je ne lui demanderai pas avec qui il veut vivre son avenir, j'ai trop peur qu'il me jette. D'ailleurs je crois que je devrai lui trouver un chaton. Pas à Guénady mais à Kara Ann. Parce que le jour où on va partir, cela va lui faire drôle. Elle m'a encore dit que les 2 arbres étaient à Guénady, mais il est hors de question que je les embarque. Il faudrait que je lui trouve un chaton. Mais Guénady ne va pas aimer. A moins que ! Et si ils devenaient supers potes ? On ne pourrait plus les séparer. Cela ne résoudra rien. Il ne faut pas que je lui trouve un chaton. Peut-être que Guénady aimerait ne plus être seul. Mais pourquoi sa soeur est morte aussi ? Enfin ce n'est pas le sujet.

     

    Nous avons super bien bossé en taquinant non stop Kara Ann. Pas un mot a filtré, nous sommes restés concentrer sur les poteaux, et l'apprenti Snoopy, mais je sais qu'ils étaient tous comme moi. Nous avons parlé, travaillé pour oublier Samuel, son absence. Et cela n'a pas marcher. Je suis sûr que comme moi, Zofia, Lukasz et Kara Ann ont passé l'après-midi à ne penser qu'à lui.

     

    Au début nous l'avons attendu. Nous les avons attendus.

    Kara Ann était la seule à affirmer qu'il ne viendrait pas.

    Nous l'avons attendu.

     

    Ensuite Lukasz a commencé seul. Il voyait le temps défilé et sans son associé, il allait avoir double boulot. Il était venu poser les poteaux, aussi, il voulait le faire et pouvoir finir avant que la nuit ne soit tombée.

     

    Zofia est restée avec nous. On s'est servie une troisième tasse de thé , café, mixture épouvantable.

     

    Je voyais Lukasz par la fenêtre s'affairer. Comment allait-il faire tenir un poteau droit tout en  déposant du mortier à son pied ? J'y suis allée. Il avait besoin d'aide. 

     

    Quand elles se sont retrouvées seules, Kara Ann a raconté à Zofia les cris de Samuel, sa colère, le jour où il était venu déposer les poteaux, quand il avait vu le livre. Bien sûr elle non plus n'a pas compris pourquoi une telle violence pour une première page de couverture. Pourquoi un visage dissimulé derrière un masque blanc, le prénom Souad et un titre"Brûlée vive" peuvent déclencher en lui une fureur ?

     

    Zofia n'a pas tourné autour du sujet dix ans ni même dix heures, elle a sorti son téléphone portable de son sac à main pour contacter Marie Pierre par SMS. Elle prétendait vouloir savoir ce qui les retardait. En soit c'était vrai, mais elle voulait aussi récolter une once d'explication. Marie Pierre lui a répondu dans la seconde. Une réponse pleine de questions. Elle n'a pas compris qu'on les attendait. Pour elle, la pose des poteaux avaient été reculée, Samuel lui avait dit que la journée était annulée, d'ailleurs il était parti, il avait accepté un autre programme. Et donc elle aussi avait revu le sien. Ils n'étaient plus libre ni l'un ni l'autre.

    (Est-ce vrai ?)

     

    Zofia n'a su que lui répondre. Avec Kara Ann, elles ont décidé de tout mettre sur le dos de Lukasz. Elles ont prétendu que le report avait été annulé, que Lukasz avait du oublier de prévenir Samuel.

    Charmantes les filles !

     

    Lukasz n'a pas bronché quand elles sont venues bosser et qu'elles nous ont raconté l'échange de SMS. Je ne suis pas sûre que j'aurai aimé que l'on me colle tout sur la tête.

    Pour pas de scène au sein du couple a argumenté Zofia.

    Tu parles d'une logique mesquine.

    Enfin.

     

     

    Ce soir Kara Ann déambule dans le jardin avec Guénady. Elle admire la ligne de démarcation. Elle doit penser à Solange. A Samuel aussi.

     

    Moi le livre m’obsède. Samuel aussi, les Samuels aussi devrais-je dire, mais c'est devenu du temps plein. J'ai l'impression de les porter en moi jours et nuits. C'est dingue mais ils sont autant dans mon ventre que dans ma tête. C'est impossible à expliquer, encore plus à comprendre. C'est aussi, ils sont en moi tout le temps. Dur à admettre.

     

    Il est là devant moi, sur la table basse comme au premier jour. Ce masque blanc, le mot brûlée. Ce livre me fait peur.

     

    Quand j'ai vu des flammes j'ai hurlé "SAMUEL".

     

    Eh! c'est digne, je viens juste de réaliser que dans le mot samuel il y a samu. Est-ce qu'il y avait une équipe du samu sur place ? Est-ce que j'ai lu ce mot au moment de crier? Non non non c'est ridicule. Le samu ne viendra que dans dix ans quand je serai digue à taux plein. Quoique le jour où ils viendront me chercher, ils embarqueront Arlequin.

    Enfin je dérive.

     

    Je pensais : quand j'ai vu les flammes, j'ai hurlé SAMUEL et Samuel quand il a vu le livre, il a hurlé aussi. Alors ce livre qui me semblait sans intérêt quand Kara Ann me l'a ramenée de chez ses beaux-parents, aujourd'hui me semble dangereux.

     

    Je devrais le lire.

    C'est con, il me fait peur.

     

    Pourquoi Samuel a hurlé ?

    Pourquoi je suis si préoccupée par ce type ?

    Ordinairement je me connais, j'aurai dit "quel con" et j'aurai classé l'affaire. En plus vu sa mère, j'aurai du m'en foutre de ce type. Mais il m’obsède. Je crois que j'ai de plus en plus de mal à individualiser l'enfant Samuel qui brûle dans mes nuits en flammes et le Samuel de Marie Pierre.

    Je n'aurai jamais du rencontrer un vrai Samuel. C'est peut-être très bien qu'il ne réapparaisse jamais.

     

    Le livre m'envoute.

    Samuel enfant, le livre, Samuel ... C'est quoi son nom de famille à celui-là ?

    Je vais finir par imploser.


    2 commentaires
  • 21

    Je n'y comprends rien. Pourquoi cette violence ? Pourquoi ?

     

     - Tu peux revenir Geaidydy. Il est parti.

     

    Je vais vraiment finir par croire que cette famille n'est constituée que d'individus à double personnalité. Après Solange la mère, voici Samuel le fils. C'est terrible mais j'ai envie d'ajouter une tirade que je vois bien Halka articuler : " Dieu merci le père est mort, et il n'y a pas d'autres enfants. "

     

    La mère en personnalité première, c'est une amie merveilleuse, une femme super heureuse de me voir devenir sa voisine, mais en seconde personnalité, j'ai affaire à un bloc de glace, pire un iceberg qui migre à mille cinq cent kilomètres pour couper tout contact avec moi.

     

    Le fils, je  l'ai rencontré pour la première fois à l'enterrement de son père. Si mille fois j'en avais entendu parlé de façon bien moins élogieuse qu'il ne le mérite, je doute que Solange lui ait raconté quoique ce soit de mon existence. Pour lui, je ne suis personne. Néanmoins sans une once d'hésitation il m'offre des dizaines d'heures de sa vie pour venir poser ma clôture. Clôture qui, de surcroît,  a fait tourner la face de sa mère. Généreux, courageux, plein de joie de vivre, Samuel est un homme attachant, charmant. Quelque peu immature, pitre, tant grotesque que farceur, en un mot, farfelu. En résumé, jusqu'alors j'ai eu face à moi un être expert dans l'art des créations de fous rires chez autrui. Samuel c'est aussi  une crème avec le cœur sur la main. Enfin, en version un, car en version deux il a le poing serré qui cogne fort là où cela fait le plus mal. Et il cogne sans sommation.   

     

    Incompréhensible.

    Je suis abasourdie. Bien plus stupéfaite que consternée.

     

    Je devrais me lever, débarrasser la table, enlever son verre au moins. Je ne sais pas, je devrais faire quelque chose, reprendre le cours de ma vie, mais il m'a mise KO, je suis figée sur place. C'est impressionnant la violence, la force de percussion.

     

    Halka arrive. J'entends sa voiture se garer dans la cour. Je ne dois pas restée comme ça. Je dois me bouger. J'ai l'impression d'avoir mille kilos à soulever et zéro muscle à ma disposition. Effarant !

     

    Guénady aussi l'a entendue. Si je pouvais avoir son aisance, sa souplesse.

     

     

     

    H : - Salut je suis naze.

    KA : - Je traduis. Tu ne veux ni me voir, ni m'entendre.

    H : - Non cela veut dire : salut, j'suis naze. C'est quoi ce plateau, tu attends quelqu'un ?

    KA : - Toi.

    H : - Je ne picole pas au point d'avoir besoin de deux verres. C'est quoi tes mixtures ? Le rouge on dirait du sang de bovin et l'autre ... Sa diarrhée ? Mais elle sent bon.

    KA : -Tu es le critique gastronomique le plus lugubre que je connaisse.

    H : - Parce que tu ne connais que moi. Donc c'est quoi tes trucs là?

    KA : - Ta diarrhée est un velouté de bananes et fraises. L'autre c'est un tonique de légumes.

    H : - Carottes, poireaux, pommes de terre ! Comment ce peut être rouge sang alors ? Pourquoi tu veux que je bois ça ?

    KA : - Je ne t'oblige à rien, c'est le verre de Samuel que tu t’appropries. Il y a de la betterave rouge dedans. Du gingembre et du raisin aussi. Par contre, désolée mais il n'y a pas de poireaux.

    H : - Samuel est là !

    KA : - Etait.

    H : - Il est parti chez sa mère chercher la bouteille de martini blanc. Il est parfait ce mec. Un peu déjanté mais parfait. Il ramène les cacahouètes aussi car toi tu ne les as pas. Mais comment des fraises peuvent avoir la couleur du vomi ?

    KA : - Reste vendeuse de meubles, tu n'as aucun avenir en critique gastronomique.   Il y a des flocons d'avoine dedans, et un yaourt. Tu peux goûter si tu veux, mais je l'ai fait pour moi.

    H : - J'attends le martini.

    KA : - Et bien tu vas attendre longtemps.

     

     

    Le visage de Halka s’assombrit, ses sourcils s'abaissent, je le vois. Je me suis voulue heureuse, enthousiaste, mais je ne suis pas bonne comédienne. Elle a compris qu'il se passait quelque chose.   Si elle avait été la fille du repas de dimanche soir, la fille un peu sombre, un peu repliée sur elle-même, il m'aurait été facile de lui résumer ce qui vient de se passer, mais elle est si lumineuse, si énergique, si tout simplement elle , qu'il n'y a aucune chance qu'elle se taise ou qu'elle fasse preuve de compassion. Elle va rire à gorge déployée avant même que je n'ai fini de raconter. Et elle va en rajouter, une couche, deux couches, trois couches. Je n'ai nulle envie d'essuyer ses railleries.

     

    KA : - Tu as prévu quelque chose pour ce soir. Si on allait à Rennes. Je ne sais pas ? Au cinéma ?

    H : - Et pourquoi pas à la piscine puis à l'opéra ! Qu'est-ce qui se passe entre Samuel et toi ? Pourquoi tu ne veux pas me le dire ? Parce que c'est ça, tu ne veux pas me le dire.

    KA : - Tu vas en plaisanter. Je t'entends déjà rire. Toute La Mézière t'entend déjà rire.

    H : - Il t'a embrassée ! Sérieux ? Trop digue ! Enfin non, y'a Marie Pierre. Merde alors il t'a embrassée !

    KA : - J'aurai préféré.

    H : - Merde d'alors. Alors toi tu caches bien ton jeu. Tu lui as fait des avances et il t'a repoussée. Je n'avais pas capté que tu le voulais dans ton lit. Tu n'arrêtes pas de parler de Xavier, Xavier par si, Xavier par là, comme si il allait revenir d'un voyage d'affaire dans l'heure, comment j'aurai pu imaginer que tu fantasmais sur Samuel. Tu caches bien ton jeu toi. Purée ! Merde d'alors, mais c'est pour ça que tu étais si verte quand tu as cru qu'il me violait. Ah j'avais pas capté. Merde alors, il te plait. Il est pas moche, c'est vrai il n'est pas moche. Un peu trop , enfin pas assez, mais bon c'est que moi j'aime, enfin on se fout de moi là. C'est con y'a Marie Pierre. Et puis il y a Solange en belle-doche ! Purée ! Il t'a repoussée. Mais il t'a repoussée un peu parce que son orgueil de mâle n'aime pas les filles qui font le premier pas, ou il t'a repoussée style t'a aucune chance meuf ?

    KA : - Tu as bien plus de talent comme romancière que comme critique culinaire.

    H : - Bon, je te promets, sur les fesses de Guénady : Je ne ris pas, et cadeau immense, je me tais. Pas un mot. Pas même une onomatopée. Rien, que dalle, silence total, mais toi, parle. Que c'est-il passé entre vous ? Allez raconte. Tu vois je m'assieds, et même, docilité et soumission je vais boire ton rouge  de betteraves sans poireau. Allez déverse.

     

     

     Samuel !

    Mon téléphone portable m'annonce un SMS et je sursaute, je pense à Samuel. C'est plus fort que moi, pour l'heure lui seul occupe mes pensées. Bien sûr je n'occupe pas les siens aussi le SMS ne peut être de lui.

     

    Inutile de lever les yeux vers Halka dont le visage a plongé dans le verre. Elle a compris, je ne pense qu'à lui. Comme le verre n'est pas un rempart suffisant, elle se lève pour  filer vers le coin cuisine en emportant Guénady, afin de me laissait tout le loisir de lui répondre. Belle délicatesse. Je n'en attendais pas autant d'elle. Elle ordinairement si, rentre dedans si, percheron.

     

    Ce n'est qu'une pub de chez Orange.

    Qu'avais-je imaginé ! Il ne peut se repentir aussi rapidement. Impossible de le concevoir prendre son portable pour s'excuser. D'ailleurs comment pourrais-je l'envisager faisant quoi que ce soit, j'ai l'impression de ne plus le connaitre. Qui était le Samuel qui est entré dans le salon ? L'homme sur la terrasse était Samuel, le clown Samuel, le charmant Samuel. Mais ensuite, une fois la porte d'entrée franchit, qui fut-il ? Je ne sais pas.

     

    Pourquoi a-t-il réagi comme ça ?

    Quel mal  y a-t-il ?

    Ce n'est qu'un livre.

    Juste un livre !

     

    J'aurai compris que Halka le rejette. D'ailleurs c'est un peu ce qu'elle a fait. J'ai cru qu'il pouvait l'aider. Jocelyne aussi y a cru. Elle m'a encouragé à le sortir de sa bibliothèque pour le prêter à Halka.

    Elle ne peut pas passer toute sa vie à faire des cauchemars d'incendies, il faut qu'ils cessent.

    Tout à une raison d'être et surtout, tout a un point de départ.

     

    Qu'elle fasse des cauchemars d'incendies après avoir vu sa maison en flammes, il n'y a rien d'étonnant. Je ne suis pas psy mais il me semble qu'une personne qui voit sa maison en flammes au moment où son amoureux rompt avec elle et qui ensuite perd le sommeil pour cause de cauchemars d'incendies, est quelqu'un qui s'accroche au feu pour ne pas regarder  le coeur du problème, soit la cassure de son couple. Halka n'a abordé le sujet de sa rupture ni avec Jean Christophe, ni avec un tiers. Elle n'en parle jamais. Elle est passée d'une vie de couple, à une vie de célibataire en une fraction de seconde. Ce n'est pas normal. Elle est dans le déni. Et Jean Christophe aussi. Je le lui ai déjà dit, je suis sûre qu'elle bloque sur l'incendie pour ne pas aborder le sujet essentiel : sa rupture. Je n'affirme pas avoir raison à 100% mais je sais détenir une part de la réalité. J'en suis sûre. Les cauchemars masquent un déni.

    Un jour ou l'autre elle s'effondrera. C'est impossible autrement.Et les cauchemars disparaitront.

     

    Jocelyne pense que ma théorie est plausible, mais elle pense aussi qu'il y a fort à parier que si Jean Christophe et Halka n'ont pas cherché à se rencontrer depuis la rupture, c'est que leur amour  ne devait pas être vraiment fort.  Je n'ai jamais entendu une femme parler de son amoureux avec amour. Ni un homme d'ailleurs. Il n'y a que dans certains livres que j'arrive à relever des phrases qui touchent ma réalité. Le sujet n'est pas là. Même sans amour, une rupture aussi soudaine,  c'est un choc. Un jour Halka devra aborder le sujet.

     

    Mais il y a autre chose derrière les cauchemars, à n'en pas douter.

     

    Il y a l'enfant. L'enfant qui brûle et qu'elle nomme Samuel. Elle ne l'a pas inventé pour penser à une autre personne que Jean Christophe. Au moment où elle a hurlé son prénom pour la première fois, elle ne pouvait pas savoir que dix minutes plus tard, Jean Christophe allait l'abandonner sur le trottoir. Elle n'a donc pas inventé Samuel pour placer Jean Christophe au second plan.

     

    Quand j'ai vu ce livre dans la bibliothèque de ma belle-mère je me suis dit que peut-être, une phrase, un mot se transformerait en déclencheur et que Halka comprendrait quelle est la source de son cauchemar. Je n'ai ramené le récit que pour l'aider.

     

    Halka n'a pas été convaincue. Elle a laissé le livre sur la table de salon. Il y prend la poussière depuis lundi.

     

    H : - Tu as commencé à le lire ?

    KA : - Non.

    H : - Tu le regardes comme si il était la source de tous tes malheurs.

    KA : - Quand Samuel l'a vu, il a posé son verre pour le prendre dans ses mains. J'ai vu ses mâchoires se serrer. Et puis ensuite il a explosé. Il a articulé avec une colère froide que j'étais encore plus conne que sa mère prétendait, que je lisais vraiment n'importe quoi. Il a balancé le livre, j'ai cru que j'allais me le prendre en pleine tête, mais il a percuté le mur avant de retomber sur le canapé. Avant qu'il finisse sa course, Samuel avait quitté le salon en emportant sa colère noire.

     

    Halka ne rit pas. Halka ne répond pas. Elle reste interdite comme moi. Nous sommes là, face à face dans le salon, elle debout, moi assise. Sur la table entre nous une couverture qui ne nous aide pas à répondre à nos pourquoi.

     

    Souad  - Brûlée vive.


    5 commentaires
  • 20

    Les mecs n'ont rien dit, en même temps les mecs ne disent jamais rien. Les mecs il leur faut un tremblement de terre de 10 minutes pour qu'ils commencent à dire qu'il y a un truc qui cloche.

     

    Les filles n'ont rien dit non plus. A croire qu'elles se foutent de tout, elles aussi. Elles ont agi comme deux gamines accompagnant leur père et ravies de se retrouver ensemble pour se raconter les secrets débiles qu'ont les ados attardés. Pathétique !

     

    Voilà une bonne heure que les travaux ont commencé. Aujourd'hui les mecs éventrent la pelouse. Ce soir quand Kara Ann rentrera elle verra concrètement où finit son terrain et où commence celui de Solange.

     

    C'est dingue. Aucune des deux n'est là. Et je suis la seule à trouver ça dingue. C'est encore plus dingue. Les deux personnes concernées sont absentes et je suis la seule à trouver que ça cloche. Bien plus que les i des oignons c'est le mot entier LOGIQUE que l'on va pouvoir enlever du dico. La logique n'a plus d'existence sur ce début de siècle.

     

    Solange est au Portugal pour un mois. Déjà une semaine et demi de passée. Le temps passe trop vite.

     

    Kara Ann déjeune chez ses beaux parents. Je suis conne, mais elle m'a choquée quand elle m'a dit ça. Ses beaux parents ! Pas une seconde je n'ai pensé aux miens depuis ma séparation d'avec Jean Christophe, pourtant j'avais de bons rapports avec eux. Pas une fois je n'ai songé à leur passer un coup de fil ou à débarquer chez eux. En même temps on ne peut pas dire qu'ils se soient manifestés beaucoup, eux non plus. On vit à une époque où on a 4500 amis sur la toile et O  en chair et en os. Parfois la lucidité donne envie de se flinguer !

     

     

    On se suffisait m'a expliquée Kara Ann pour justifier l'absence d'enfant dans leur couple. Je n'ai pas envie de me demander combien d'enfants sont nés juste parce que leurs parents ne se supportaient pas. Je veux seulement un instant, me demander combien d'heures dans ma vie, je me suis oubliée pour accorder de la valeur à Angélique et Aurore qui, aujourd'hui m'ont vomie dessus ? Si j'avais un gramme de spiritualité, j'aurai probablement une réponse, tout au moins un début.

    Là je ne sais pas pourquoi, là maintenant, je me souviens d'une réflexion d'un prof de science. Il avait dit : chez les champignons (pas ceux que l'on mange, mais les mini rikiki... Les grands aussi peut-être, je ne sais pas, lui parlait des champignons levures moisissures). Il disait que quand ils avaient tout ce dont ils avaient besoin, ils grandissaient, ils s’épanouissaient. Mais si le milieu leur devenait hostile,  alors ils songeaient à la reproduction, à la survie de l'espèce, et fabriquaient des spores.

    Là en y repensant, vient s'ajouter dans ma mémoire, une chose que mes parents m'ont apprise.

    Quand on achète des petites plantes au printemps style géraniums, fuchsias, et autres dahlias, nous avons des bébés plants mais déjà fleuris. Ce qui ne devrait pas. A ce niveau de leur croissance, ces bébés plantes ne devraient avoir que des tiges et des feuilles. Mais alors les gens ne les achèteraient pas puisqu'ils ne sauraient pas la couleur de leurs futures fleurs. Aussi les horticulteurs font souffrir les plantes en les assoiffant. Se sentant en danger de mort, comme les levures moisissures, les bébés plants cessent leur croissance et songent à la reproduction en produisant des fleurs.

     

    Les enfants sont-ils fait par les gens qui ne s'épanouissent pas ! Les parents sont-ils les êtres qui ne savent pas s'accorder de la valeur, qui ne se sentent pas en sécurité ? ... Questionnement dangereux. Toujours est-il que si on enlève le sujet des enfants et de la télé au peuple, un silence s'installerait sur la Terre. L'homme n'est-il qu'un champignon primitif ... Sujet dangereux !

    Toujours est-il que j'ai passé un temps fou à m'oublier pour des gosses, des adultes, qui m'ont oublier comme moi j'ai gommé de ma mémoire, sans même m'en apercevoir (ce qui rend la chose encore plus effrayante) mes beaux parents.

     

    Je n'arrive pas à comprendre comment j'ai pu avoir une vie, une belle famille pendant près de vingt ans et comme ça du jour au lendemain, en sortir sans créer une simple vague, un peu de remous ? Sommes nous si superficiels, futiles, aveugles et sourds ? Etais-je si transparente, insignifiante ? Comment est-ce possible que personne ne se soit révolté, ait voulu savoir ce que j'étais devenue ?  Je ne songe même pas à de l'intérêt, je pense à de la curiosité. Personne n'a même envie de me voir encore, au moins de m'entendre encore, même juste pour un futur ragot, un cancan, se foutre de ma gueule derrière mon dos. Personne n'a même un peu de haine à me jeter à la figure ? N'étais-je donc ni aimée ni haïe ? J'étais la souris qui vit et meurt dans les combles dans l'indifférence de tous. Personne n'a-t-il donc réalisé ma venue, personne n'a-t-il donc pris conscience de mon départ ?

    J'ai froid.

     

    Kara Ann est veuve mais a des beaux parents. Moi je ne suis personne pour une famille entière qui fut la mienne.  Pourquoi ? Des années de vie sans Xavier se sont additionnées. Avec le temps ils auraient pu apprendre à exister en s'éloignant. Mais moi, je ne suis plus d'eux que depuis quelques semaines.

    Mon dos se gèle à la vitesse où ma lucidité se fait lumière.

    Je suis Casper le fantôme. Je n'ai jamais été autre chose que Casper.

    J'ai froid en moi. Un froid glacial.

     

     

    Par la fenêtre je vois les mecs qui bossent. Lukasz a enlevé un pull, le voilà en t-shirt. Les filles jacassent sur la balancelle, indifférentes au chantier devant elles, à moi en cuisine.

    Zofia est ma belle soeur. Mais déjà elle me préfère Marie Pierre. Elles ne se voient que pour la seconde fois, et déjà elles sont indécollables. Je sais qu'elles se sont téléphonées, que les SMS fusent entre elles. Je suis contente pour elle, mais c'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de me demander ce que j'ai qui a empêché Zofia de me considérer comme une amie, une soeur.

    Enfin si, elle me considère comme sa soeur puisqu'elle a coupé presque tout contact avec ses soeurs. Je suis donc bien une de ses soeurs pour son coeur, un coeur qu'elle a enfermé dans un tiroir qu'elle n'ouvre que très peu.

     

    Mon gâteau au noix n'avance pas.

     

    - Eh Guénady , tu ne vas pas manger mes trois jaunes d'oeufs tout de même ! Je t'en ai donné un, ceux-là sont à moi. Ok je ne m'en occupe pas. Mais ils sont à moi. Va sur ton arbre, laisse moi le plan de travail. Allé pousse tes fesses, c'est un gâteau au noix que je veux faire, pas aux poils de chat russe.

     

    A quoi bon  appeler mes beaux-parents aujourd'hui ? Le temps a passé. Il n'y aura aucune trace de mon passé dans mon avenir. Quel avenir j'ai ? Je vais me coller à des gens qui ne vont pas s'en apercevoir ? Et je vais me transformer en leur esclave pour qu'ils me gardent encore un peu ?

     

    Les mecs s'amusent bien avec leur mini-pelleteuse. Les filles sont décontractées au soleil sur la balancelle. Kara Ann est chez ses beaux parents et moi je passe mon dimanche après midi pour qu'ils aient tous les cinq, un bon repas ce soir. Mais  mon gâteau n'avance pas.

     

    Eh  Solange

    Mais, vieille rombière
    Pour ta mise en bière
    Préfères-tu qu'on creuse
    A la pelle…?

    Mais, vieille rombière
    Pour ta mise en bière
    Préfères-tu qu'on creuse
    A la pelleteuse ?! *

     

     

    Shiroishi.

    Sur le mur, au côté du prénom Shiroishi il y a ET???.

     

    Kara Ann ne voulait pas d'oie.

    Après avoir trouvé le prénom Shiroishi, elle m'a affirmée qu'il n'y aura chez elle ni oie ni poule. Les prénoms ont été trouvé pour rien. Mais voilà, depuis elle a eu au téléphone une limitante du Périgord noir qui va aux manifs de L214 comme elle, voilà que non seulement Kara Ann veut Shiroishi mais en plus, maintenant il faut une copine pour Shiroishi. "Pauvre  Shiroishi, elle va être malheureuse toute seule, il lui faut une copine". 

     

    SOS

    Recherche pour Halka une copine.

    Suis ok pour faire les 6 heures de route pour aller la chercher.

    Si le Périgord noir a une copine pour Shiroishi,

     Y existe-il une copine pour Halka ?

    Je la veux bien née dinde.

     

     

    Shiroishi ne doit pas être seule, elle ne doit pas être malheureuse.

    Et moi ? Qui songe à ma souffrance ?

     

     

    Est-ce que Kara Ann va dire à ses beaux-parents qu'elle va descendre dans le Périgord pour récupérer deux bébés oies. Des bébés échantillons.

    Des oies naissent pour qu'un jour les hommes puissent manger du foie gras. Elles naissent toutes en couveuses. Après leur naissance, un échantillon, soit un pourcentage des bébés doit mourir pour autopsie, pour savoir si le lot est sain, comme on tire sur les yeux d'un nounours en labo pour savoir si les nounours de la production du jour ne sont pas dangereux pour les enfants. Je ne savais pas que certains devaient juste naitre pour que d'autres puissent être dit apte à suivre la voie qu'on leur à tracer. Bref, Shiroishi et X vont être récupérées entre la sortie du couvoir et l'entrée au labo. Elles éviteront ainsi la mort par autopsie après avoir éviter une vie de gavage. Deux petites chanceuse sauvées d'un monde de brutes.

    Est-ce que Kara Ann va raconter son projet à ses beaux-parents ?

     

    Les poules Vézane et Eschéa aussi vont être récupérées par  une fille de l'équipe des militantes, mais elles, elles arriveront adultes , elles seront sauvées juste avant l'abattoir, après une "carrière" de poule pondeuse.

     

     

    Est-ce que Kara Ann va raconter l'histoire de ses oies et poules à ses beaux-parents ?

    Est-ce qu'ils vont la juger folle de vouloir faire des centaines de kilomètres pour deux oies ?

    Est-ce qu'ils vont lui faire comprendre que ce serait plus économique pour elle d'acheter ses 4 bestioles dans une ferme bio du département ?

     

    Kara Ann est mille fois plus excentrique que moi, mais elle a des beaux parents qui se soucient d'elle.

     

     

     

    Il faut que je monte mes blancs d'oeufs en neige.

    Il faut que je remonte mon moral. Il plonge.

     

     

    Lukasz n'a même plus son t-shirt. Samuel a toujours son petit pull à manches longues et col roulé. Le soleil est immense. Les filles rigolent entre elles. Guénady les a rejointe, il s'étale au soleil.

     

     

    J'ai froid.

     

     

     

    * extrait de la chanson  de Renan Luce


    1 commentaire
  • 19

    Je suis lasse.

    Cela ne cessera donc jamais.

     

     

    Non seulement toutes ces images sont éprouvantes, mais les turbulences de mes nuits cassent mon sommeil. Chaque matin, je me lève un peu plus fatiguée. J'en suis réduite à faire des siestes avant le repas du soir, après celui du midi. Et pour aucun profit. Jamais de ma vie je ne me suis sentie aussi exténuée qu'aujourd'hui.

     

     

    Comme je fus naïve de croire que quelques nuits d'absence annonçaient la fin définitive des cauchemars. Comme je fus naïve !

     

     

    Aujourd'hui j'ai l'impression que ma tête, le fou qui y siège, a stoppé les émissions de cauchemars suite à la rencontre avec un vrai Samuel. A croire que j'ai réussi à le désarçonner. Je ne sais pas pourquoi je pense comme ça, mais c'est ce que je ressens.

    C'est comme si le fou là-haut se sentant tout puissant s'amusait à bombarder mes nuits d'appel de détresse sur fond de flammes. Comme si plus je perds pied, plus il se renforce. Alors quand  je lui offre un vrai Samuel, il en est perturbé. C'est un peu comme si j'avais changé de stratégie et qu'il ne s'y était pas attendu.

    Fini les implorations de paix.

    Cadeau d'une livraison de Samuel.

     

    Je sais, cela semble crétin ce que j'essaie d'exprimer mais c'est comme ça que je le ressens maintenant. Le fou de mon cerveau a cessé de me bombarder quand je lui ai offert l'exact opposé à ce qu'il attendait de moi.

     

    Mais il a repris ses esprits, il a repris la guerre.

     

    Je suis découragée.

     

    Quand on a un ennemi il ne faut pas l'éviter, le fuir, il faut l'analyser puis ensuite lui rentrer dedans en passant par son point faible, sa porte d'entrée.

    Quand on a une maladie, il faut confier son corps à la science, et s'empoisonner à coup de médocs pour la faire fuir.

    Mais là, quelle est la solution ?

    Contre qui je me bats ?

    Qui est ce fou logé dans mon cerveau ?

     Comment mener une guerre contre un créateur de cauchemars ?

     

     

    Il n'a pas aimé que je pactise avec un vrai Samuel. Il a été désarçonné d'abord, mais l'essentiel est qu'il n'ait pas aimé. J'en paie le prix aujourd'hui. Les attaques, les cauchemars sont plus violents. La danse des flammes ne faiblit pas. Au contraire.

     

    D'ailleurs, détail surprenant :

    Je ne l'ai réalisé que récemment, il y a quelque chose d'étrange. Les flammes n'ont aucune chaleur. C'est un peu comme si il y avait un écran entre elles et moi. Je me demande si il s'agit bien d'un écran de protection ou un fait me permettant de mesurer mon éloignement au brasier. Est-ce que cela n'annonce pas simplement la distance qui me sépare de ma chute finale ?

     

     

    C'est comique. C'est vraiment comique.

    Zofia, maman, papa, Lukasz, et même Kara Ann m'invitent à prendre rendez-vous chez un psy. Ils ont tous la même obsession. Mais il va m'interner d'office si je lui résume ma réalité.

     

    " Bonjour doc, alors voilà. Un soir mon mec m'a plantée dedans notre maison en flammes. Pourquoi ? Car c'est un con. Déjà.  Ensuite parce que je n'ai pas comme lui pensé "merde la TV, l'ordi, le canapé dont on n'a pas fini de payer le crédit ..." Non, voyez vous doc, moi quand j'ai vu la maison en flammes j'ai hurlé mille fois le prénom de Samuel.

    Qui est Samuel ?

    Je n'en sais rien.

    Non non doc, ce n'est pas là qu'il faut vous mettre à me prescrire des trucs pour tuer ma folie, attendez la suite, vous allez pouvoir tripler la dose.

     

    Donc là, face à ma maison qui brûle, je me fous de ma super paire de bottes que je viens de m'acheter 89€, de mes dizaines de jeans, et de mes robes super classes, moi j'appelle Samuel, un mec que je ne connais pas.

    Pourquoi ?

    Et bien voilà, on y arrive : parce que dans ma tête il y a un créateur de cauchemars qui n'aime pas les gens qui dorment. Je ne sais pas comment il est entré dans ma tête, mais je vous jure qu'il y est.

     

    Au début le créateur a été cool. Il a commencé en douceur. Des flammes, juste des flammes. Et puis il a donné un tour de vis. Les flammes cachaient Samuel, un Samuel qui brûle. Mais les flammes le cachent si bien que je ne le vois pas. Je sais juste qu'il brûle.

    Comment je le sais ?

    Le créateur est dans ma tête, il n'a donc pas de difficultés pour me passer une info. Bref voilà, la nuit je suis réveillée car il y a des flammes qui cachent un Samuel qui brûle, et moi, cloche, j'y crois chaque fois, et donc chaque fois, je hurle sur le pauvre Samuel qui brûle.

     

    J'ai fait un sale coup au créateur.

    Par mes yeux, je lui ai présenté un Samuel. Un vrai. Hasard de la vie. 

    Bon c'est comme sur la connerie de Jean Christophe, il y a beaucoup à dire, mais ce n'est pas le sujet, donc on ne va pas perdre de temps à savoir si le hasard bosse dans mon camp ou dans celui du créateur de cauchemars.

     

    Le Samuel qui s'est placé devant mes yeux, et mes oreilles, je ne vais pas vous dire que c'est un super beau mec, quoique j'en sais rien. De toute façon on s'en fout. Bref, revenons aux moutons que je ne peux pas compter puisqu'ils sont tous brûlés.

     

    Donc le créateur de cauchemars qui bosse pour mes insomnies, n'a pas aimé que je me moque de lui en lui offrant un Samuel. Et un Samuel bon vivant qui plus est. Après quelques nuits de trêve, il a donné un tour de vis de plus.

     

    Me voilà donc toujours face aux flammes qui ne me chauffent pas mais qui brûlent un Samuel que je ne vois pas, et comme si cela ne suffisait pas, un élément a été ajouté au scénario de mes insomnies :  une voix. Non pas une voix. Des pleures. J'entends Samuel qui pleure. Oui je l'entends qui pleure. Il ne crie pas au feu, il ne hurle pas je brûle, au secours, non il pleure. Il pleure comme en petit enfant pleure parce qu'il est tombé. Il n'y a pas de peur ou de rage dans ses larmes, il pleure de peine, juste de peine. J'ai presque envie de dire, il pleure en douceur.

     

    Alors doc, suis-je bonne pour une dose létale où dois-je encore attendre un tour de vis de plus ? "

     

     

    Je suis épuisée.

     

    Kara Ann est venue dans ma chambre, pour m'aider à sortir du brasier. Elle a eu la bonté de m'accompagner sur la terrasse pour que je prenne l'air, change d’atmosphère. Elle m'a posée la même question que Zofia : qui est Samuel ?

    Qui est Samuel ? Qui est Samuel ?

    Mille fois je me suis posée la question. Je n'en connais aucun. Maintenant il y a le fils de Solange, mais il ne compte pas puisque je l'ai connu après. Je n'en connais aucun, je n'en ai connu aucun.

     

     

    Je ne l'ai raconté à personne, je leur semble déjà assez dingue comme ça, mais je suis allée jusqu'à me dire que je ne devais peut-être pas voir samuel comme un prénom mais comme un message. Alors je suis allée sur internet lire ce que ce prénom voulait dire.

     

    Samuel prénom hébraïque qui signifie issu de Dieu.

    Les flammes viennent de l'enfer, samuel de Dieu. L'enfer détruit ce qui vient de Dieu. Cela n'a aucun sens pour moi. Je n'ai aucune religion. Mes parents ne nous ont rien enseigné et la vie ne m'a rien inspirée.

     

     

    Quel est le talon d’Achille d'un créateur de cauchemars ? 

     

     

    Et si j'allais voir un pompier ? Ils ont peut-être un truc pour ne plus voir de flammes la nuit après un incendie ? Je risque quoi ? Je devrais peut-être aller voir un pompier.

     

     

    J'ai froid sur la balancelle. Il doit être bientôt deux heures. Encore une nuit où je n'aurai pas mon compte de sommeil.

     

    Je suis épuisée. Epuisée.

    Quand cela cessera-t-il donc ?


    4 commentaires
  • 18

    J'avais complétement oublié cette histoire.

    Oksana a eu raison de me la rappeler. Que la mémoire peut être sélective !

     

    Oksana et Solange ne se sont jamais vraiment bien entendues, aussi Oksana n'a archivé que les moments où Solange s'est comportée sans peu d’élégance. Moi j'ai toujours apprécié Solange, aussi comme si je n'avais pas voulu ternir son image, j'ai gommé ses imperfections.

    Samuel m'a appris le départ de Solange pour le Portugal. Elle songe, dit-il, a y demeurer tout mars.

     

    Elle a refusé le repas chez moi.

    Elle est partie pour un mois sans m'avertir.

    Je suis choquée. Peinée. Déçue. Je vais faire comme Lukasz l'a suggérer. En plus de poser des panneaux de grilles rigides de 2 m de haut, idée première de Samuel, pour l'opacité, nous allons, enfin ils vont récupérer les pieds de bambous des jardinières de bétons créées par Gérard pour planter devant le grillage. Et je suis aussi d'avis de mettre du grillage en WWW pour slalomer autour des jardinières pour qu'il n'y ait plus d'ouverture d'une propriété à l'autre.

     

    Solange en partant au Portugal me donne carte blanche, et bien c'est une frontière infranchissable qu'elle va gagner, qu'elle va payer pour moitié. Elle n'aurait pas du me faire pleurer.

     

     

    Maintenant qu'Oksana a réveillé ma mémoire, j'entends la voix de Solange affirmer "on ne va pas en faire toute une histoire". Nous étions toutes remuées, au bord des larmes, voir en révolte et Solange qui sort de la pièce pour retourner à son bureau et qui jette à l'assemblée : on ne va pas en faire toute une histoire. Je me souviens que le soir j'en avais pleuré dans les bras de Xavier, rien que d'y penser, le trouble me revient. Xavier si royal. Plus je fondais en larmes, plus il devenait un concentré de colère. Au final il m'a repoussé trop violemment pour faire le geste de l'adoption. Ses poings étaient si serrés qu'ils blanchissaient. Il l'a refait une seconde fois, avec encore plus de détermination. Et ensuite il a pris le téléphone, et m'a invitée à le dire à Gildas. Oh! il faudrait vraiment que je le rappelle, je deviens impardonnable. Il sera sorti de l'hôpital que je n'aurai toujours pas pris de ses nouvelles. D'ailleurs il doit déjà en être sorti.

    J'aimerai savoir comment il connait Lukasz aussi.

     

     

    J'ai eu Gildas au téléphone, il m'a annoncée qu'il n'y aurait pas d'adoption possible, qu'elle était morte. Alors j'ai pleuré à nouveau. Le lendemain j'ai annoncé la nouvelle à tout le monde, et tout le monde a été sous le choc. Solange est entrée dans la salle de réunion, a demandé ce qui se passait, pourquoi ce silence total, pourquoi nos têtes d'enterrement ? Oksana lui a annoncé la mort du petit bouchon. Elle nous a toute regardée tour à tour, comme si nous étions stupides, et elle a tournée les talons. Dans le couloir sa voix a laissé derrière elle un filet de mot monstrueux : On ne va pas en faire toute une histoire, on voit ça tous les jours.

     

    C'est vrai tous les jours des enfants meurent suite à la violence d'un de leur parent. Mais pour nous c'était la première. Pour moi. Je venais de commencer dans le métier quand j'avais du rejoindre la police à l’hôpital. Une petite fille muette venait d'y être amenée. Elle avait été trouvée en sang, dans un buisson au parc du thabor à Rennes. C'était ma première rencontre avec Gildas Monnier, pas la dernière mais ma première. C'était aussi la première fois que je devais communiquer avec une enfant battue. Elle avait cinq ans. Tout naturellement elle m'a racontée que sa maman était très fâchée parce qu'elle n'avait pas de mots dans sa bouche. Alors pour faire sortir les mots elle la battait, mais les mots ne sortaient pas. Elle m'a demandée où ils étaient cachés les mots en elle ? Pourquoi ils restaient cachés ? Est-ce qu'ils avaient beaucoup peur de sa maman et que c'étaient pour ça qu'ils ne sortaient pas ? Fany. Fany est morte dans la soirée. Un caillot de sang a bougé dans son cerveau. Elle est morte de n'avoir jamais su dire maman. 

     

    On ne va pas en faire toute une histoire.

     

    Comment ai-je pu oublié la réplique de Solange. Quand à midi Oksana et moi nous avons reparlé de cette histoire vieille de vingt ans, nous ne sommes pas parvenues à demeurer normales. Nos yeux piquaient, nos gorges se nouaient, comme nos estomacs.

     

    Fany.

     

    Que n'ai-je pas voulu voir chez Solange ?

    Qui est-elle ?

     

    Et Halka qui est elle ? Elle me fait rire. Voilà qu'elle veut que je pose mes vacances en même temps qu'elle pour que nous allions en camping-car en Serbie ensemble voir la mère de Guénady son chat.

     

    Bon, j'appelle Gildas.


    3 commentaires
  • 17

    Trois nuits que je dors sans voir de flammes, sans hurler son prénom. Bonheur. Soulagement. Ravissement.

     

     

    J'ai eu si peur, si peur qu'en rencontrant un vrai Samuel, que d'entendre prononcer son prénom à divers reprises me fasse basculer sur lui. J'imaginais des images d'horreur, j'imaginais qu'au travers des flammes j'allais voir Samuel, le fils de Solange surgir en hurlant, les vêtements en feu.

     

    Mais non. Rien.

     

    Rien. Nuits sans cauchemar.

     

     

    Depuis trois nuits, rien. Tous mes feux sont éteints. Immense bonheur. Quel soulagement !

     

     

    C'est fou comme les choses ne se passent jamais ni comme on les espère ni comme on les craint. C'est à se demander pourquoi on continue à se monter des films. A croire que l'âge ne nous apprend jamais rien. On nait con, on meurt con. Vivre c'est juste cultiver sa connerie en sommes. Désespérance quand tu y penses ...

     

     

    Ce repas n'a présenté aucun point commun avec le scénario que j'avais imaginé.

     

     

    Déjà mon frère.

     

    J'ai été très surprise qu'il s'invite avec Zofia. Je lui en avait parlé comme je lui parle de mon boulot au magasin, de mes collègues. C'est vrai qu'il est pour beaucoup dans mon aménagement chez Kara Ann, c'est vrai aussi, qu'il n'est jamais passé nous voir depuis mon arrivée. Enfin si une fois il est passé en coup de vent. Je ne sais même plus pour quel motif, c'est dire l'absence d'importance que cela avait. En tout cas pour moi.

     

    Lukasz s'est invité prétextant qu'il est paysagiste. C'est vrai que dans son métier il n'est pas rare qu'il doive poser une clôture. Mais ce n'est pas parce que je vends des meubles toute la journée que j'ai envie de m'occuper de la décoration intérieur de chez des inconnus. Si encore il avait espéré décrocher un contrat j'aurai compris, mais là, il n'y en avait aucun. Samuel avait prévenu qu'il viendrait avec un ami maçon ou quelque chose comme ça, pour le gros œuvre. Lukasz n'avait aucun espoir financier.

     

     

    Enfin bref il s'est invité avec Zofia et cela m'a soulagé. Je me voyais vivre l'enfer entre Kara Ann boudeuse, Solange furibarde prouproute et Samuel en feu.

     

     

    Non seulement il est venu, mais il a joué au parfait professionnel. Il était dans son élément. C'est agréable de voir mon frère heureux. Je crois que je n'avais jamais  réalisé qu'il aimait autant son métier.

     

     

    Nos parents travaillent pour un horticulteur, nous y avons tous fait des saisons pour pouvoir nous offrir nos permis, nos premières voitures. Je ne peux pas dire que j'en ai gardé de mauvais souvenirs, mais je n'y ai pas vécu les meilleurs moments de ma vie, non plus.

     

    Je crois que j'ai toujours pensé que Lukasz avait fait plaisir aux parents, qu'il avait assuré la sécurité, qu'il avait été à l'école d’horticulture pour ne pas sortir de la voie familiale. Un truc comme ça.

     

    Certes il n'a pas passé beaucoup d'années chez le patron des parents, certes avec un copain de promo il a créé sa boite de paysagiste, mais je ne sais pas, je crois que je n'ai jamais vraiment réfléchi à sa vie, ses envies, ses passions. Je pense que tout simplement j'ai posé sur mon frère, mes non affinités avec les végétaux, et un pseudo sentiment de devoir du fils ainé. Il faut dire qu'il n'a jamais fait de vagues Lukasz. Il n'a jamais été le mouton noir de la famille comme Janko.

     

     

    Lukasz a joué le professionnel offrant ses services et son savoir faire au couple Samuel et Kara Ann.

     

     

    Si un inconnu s'était joint à nous, il aurait vraiment cru qu'il était chez Samuel et Kara Ann. C'était leur future clôture et leurs futures oie et poules.

    L'oie et les poules !!! Quel cirque ! Quel spectacle auquel on a assisté ! Morte de rire. Morte de rire.

     

    Samuel comme moi d'ailleurs, avait vraiment cru que Kara-Ann tenait à son oie. La vérité est qu'elle n'en a jamais voulu. Mais elle va l'avoir son oie. Quel délire ! Un singe ce Samuel.

     

    Donc Samuel a d'abord passé son temps à convaincre Kara Ann que puisque oie, il fallait au moins avec elle, une poule pondeuse, que quitte à investir dans un poulailler, autant avoir des oeufs.

    " Il faut vraiment être dingue pour avoir une oie sous ses yeux jour après jour et ne jamais la passer au four, quand on n'a que de la salade et du riz dans son assiette".

    Morte de rire. Quel singe !

    "Kara Ann t'es  végétarienne, Dieu merci ce n'est pas contagieux."

    " Il faut au moins que tu aies  un oeuf à la coque au petit déj, avant tes salades de riz".

    Quel zouave celui-là. Dieu merci ce n'est pas contagieux. Dieu merci ce n'est pas contagieux  !!! Quel débile.

     

    Solange a du l'adopter.

    Ce n'est pas possible qu'une prouproute pareil ait engendré un singe glorieux. Et quel bagout il a !!! Mais quel bagout. Il n'y a que les steaks qui savent lui clouer le bec.

     

    Et Kara Ann. Elle, elle rigole, elle ne se fâche pas. Passer vingt ou trente ans avec un muet cela doit aider à se taire. Si il m'avait dit un tiers de ce qu'il lui a envoyé dans les dents, comme je lui aurais volé dans les plumes, à ce con. 

     

    Dieu merci ce n'est pas contagieux. Ce type est un singe, oui un singe. Morte de rire.

     

    Solange doit tourner dingue avec lui. Non. Non, non. Non, il ne doit pas se permettre d'être libre de lui devant elle. Limite il doit répondre "oui Mère" en baissant les yeux. Elle est bien capable de l'obliger à la vouvoyer. Il est si emmuré chez elle, qu'il explose chez les autres. Ce doit être un truc comme ça. Il n'est pas mature ce mec. Un môme. Mais un môme qui tient à son steak. Quel réparti il a ! Sa mère ne mérite pas un fils pareil. Il est trop bien pour elle.

     

     

    Au moment le plus fort de sa folie, Kara Ann et Samuel ressemblaient à un vieux couple qui ne sait plus communiquer qu'en se chamaillant. Et au final ce fut un feu d'artifice quand ils ont trouvé les noms des volatiles.

     

    Shiroishi c'est l'oie.

    Vézane & Eschéa les poules.

     

    Ils sont passés par un laryngite de micmac pour trouver des noms impossibles. Si ils n'étaient pas notés sur le tableau dans la cuisine, je serais bien en peine de m'en souvenir.

     

    Shiroishi !!! Du grand n'importe quoi. Quel délire. L'oie va se coller la tête dans le four toute seule quand elle va savoir le nom qu'elle a. Shiroishi ! Les SPA ont été inventées pour moins que ça.

     

     

    Je ne me suis pas torturée l'esprit autant pour trouver le prénom de Guénady. Quand je suis allée en Serbie en vacances, j'ai vu un gosse assis au sol, avec des chatons dans les bras. L'image était d'une beauté absolue. Je les ai pris en photo, me suis approchée ensuite. Sa mère m'a vue, elle s'est jointe à nous. Je suis restée un long moment avec elle, avec eux. Je suis repartie avec leur adresse pour pouvoir leur écrire, leur envoyer des nouvelles des deux chatons qu'ils m'ont donné, et que j'ai nommé comme eux. Guénady comme le petit garçon qui a douze ans maintenant puisque mon chat va en avoir neuf . Et Cveta comme la maman pour ma pauvre petite chatonne qui n'a pas vécu près longtemps.

     

     

    Kara Ann m'a énormément surprise. Stupéfiée. Elle, si "love & peace" en tête à tête, si hésitante aussi, souvent, limite cruche même au pire moment, a présenté une joie de vivre, une énergie que je ne lui soupçonnais pas. Dès qu'elle a digéré l'absence de la prouproute Solange, elle s'est métamorphosée. Entre mon frère et Samuel, il fallait la voir. Plus d'une fois elle les a fait rire, les a ramené dans le droit chemin de la conversation. La folie de Samuel ne l'a pas fragilisée. Shiroishi c'est d'elle.

     

    Je suis super heureuse d'avoir découvert sa face cachée. Je ne sais pas pourquoi, mais la voir comme ça, si éclatante, m'a  donnée envie de partir en vacances avec elle. Plus j'y pense, plus cela me semble une évidence, plus j'ai hâte.

     

    Excepté  la Serbie, avec Janko, jamais  je n'ai pris de vraies vacances. Nous n'avons fait que des mini séjours en famille pour plaire aux filles. J'avais promis à Guénady, l'enfant, que je reviendrai le voir avec les chats devenus adultes. Et si ce voyage je commençais sérieusement à l'envisager ? Je sais que Patricia la comptable du magasin me prêterait son camping-car. Elle le loue déjà à trois personnes. Pourquoi pas à moi ? Et si on partait avant l'arrivée de l'oie et des poules ? Samuel lui a dit qu'il lui offrirait son oie pour noël. Nous ne sommes que le 3 mars. On a le temps de faire la clôture puis de partir en Serbie et de revenir. 

     

     

    C'est fou la vie.

    Avant ce repas je redoutais la rencontre avec Samuel.

    Avant lui, j'ai dit à Évelyne ma collègue que j'allais bientôt quitter ma collocation, qu'il fallait que je me trouve un appart près de la route du meuble. La Mézière s'est très bien, mais La chapelle-des-fougeretz, ou La Gaudière me conviendrait aussi, voir mieux. 

    Avant le repas, je ne voulais plus de Kara Ann, et voilà que maintenant j'envisage de partir à Opovo en Serbie avec elle et Guénady.

     

     

    C'est fou quand j'y pense.

    Il y a des années lumière que je n'ai plus songé à partir en Voïvodine et là, Boom mon désir me revient de plein fouet. Je ne sais vraiment pas comment fonctionne ma tête, mais pas de doute qu'elle habite une dingue.

    Mais je suis heureuse.

    Ce rêve, ce projet me fait oublier les incendies de mes nuits.

     

     

    C'est fou comme je me sens loin de ma vie de famille avec Jean Christophe, Angélique et Aurore.

     

    Parfois au magasin je vois des scènes familiales, j'entends des phrases qui me projettent dans mon passé. Mais cela ne me fait pas mal. Ce qui est plus fou me semble t-il, c'est que sans l'incendie je suis sûre que je serais encore dans mon ancienne vie et que j'y serais bien. C'est un peu comme si il y avait eu une explosion dans la bibliothèque des destinées et que Boom mon personnage avait sauté d'un dossier à l'autre sans que personne ne s'en aperçoive. Je vis sur une vie parallèle aujourd'hui. Il n'y a aucune blessure, aucune souffrance, c'est comme ça, personne ne trouve à redire, personne ne s'en plait.

    C'est horrible quand on y pense. J'ai disparu d'une vie et personne ne relève les yeux de sa routine pour dire "mais elle est passée où Halka ?" Je n'étais donc personne pour personne.

    Et ce qui fait encore plus froid dans le dos, c'est que personne n'était personne pour moi puisque que je suis sans souffrance. C'est à se demander si j'ai une quelconque sensibilité.

    Ne suis-je qu'un automate ?

    Ne sommes nous que des pions qui agissent sans prendre conscience ?

     

     

     

    Zofia m'a envoyée un SMS alors qu'elle rentrait chez elle, suite au repas. Elle y note qu'elle y est venue sur la décision de Lukasz, qu'elle s'était juste dit un "pourquoi pas" sans enthousiasme et qu'elle porte en elle maintenant, le sentiment d'avoir en Marie Pierre trouvée une amie de toujours.

    C'est vrai que ces deux là ont passée la soirée ensemble. On a même dû changer de place à table pour qu'elles se retrouvent côte à côte car elles n'arrivaient pas à se parler au milieu du brouhaha infernal.

     

     

    Un moment je les ai regardées et j'ai presque été jalouse de Marie Pierre.

     

    Quand j'ai rencontré Zofia je me suis dit "chouette j'ai maintenant une grande sœur". D'une certaine façon c'est vrai, mais une sœur mère non une sœur amie. Je n'ai rien à lui reprocher. Comme Lukasz, je sais qu'elle est là pour moi, et qu'elle le saura toujours, quoique je fasse. C'est énorme, merveilleux, il faut le reconnaitre. J'en suis consciente. Tout le monde n'a pas ma chance.

     

     

    Mais je n'ai jamais ressenti de complicité avec elle. Si je lui raconte un truc, elle m'écoute non comme une égale à qui cela aurait pu arriver, mais comme une mère toujours à chercher  dans quels détails de l'histoire où sont nichées mes fautes. Elle me parle comme elle parle à Charles et Aloïse.

    Voir Zofia avec Marie Pierre m'a fait réaliser comme j'étais loin d'elle. Comme un océan nous tenait éloignée l'une de l'autre.

     

    J'ai été jalouse un peu, mais surtout heureuse pour elle.

     

    Zofia n'a pas la même histoire que nous. Nous nous sommes unis, nous sommes d'ici, ensemble. J'ai 47 ans mais pas un jour je n'ai posé le pied en Pologne. Mon seul voyage à l'étranger fut vers la Serbie.  Janko est le seul à avoir la Pologne vivante en lui. Il y va régulièrement, il y  emmène les parents.

     

    Zofia est descendue de Pologne avec Janko pour venir travailler une saison en horticulture. Elle a vécu chez nous.

    Sa grand-mère est la cousine de la mère de maman. Elle a huit sœurs, elle est l'ainée, son père boit trop.

    Zofia est l'ainée qui s'est sacrifiée. Elle est venue en France pour nourrir sa famille, contre sa volonté. Quand nous avons compris que Lukasz lui tournait autour, sa famille l'a sacrifiée, ma mère a vu nos racines renforcées. Je me souviens des conversations téléphoniques entre maman et la mère de Zofia, j'avais l'impression qu'elles négociaient une vente. Je me suis toujours demandé si Zofia aimait mon frère. Très vite elle a été enceinte, très vite ils se sont mariés. Lukasz me donnait l'impression d'avoir décrochait un trophée, et Zofia pleurait. Elle n'a jamais revu ses huit sœurs, ses parents. Janko lui a souvent proposé de monter à Mroczno. Elle a toujours refusée.

     

    Jamais je n'ai vu Lukasz et Zofia s'insulter, ils forment un couple harmonieux, comme celui de mes parents. Papa domine maman bien plus que Lukasz sa femme. Mais quand je vois ce qu'il reste de mon couple sans vague, je me demande quelles racines a celui de mon frère.

     

    Zofia avait 25 ans , elle n'avait jamais fait autre chose que d'aider sa mère à gérer la maison, à élever ses sœurs. Et puis l'opportunité de fuite, de rapporter de l'argent. Elle monte dans la voiture de Janko qui a son age et qu'elle voit pour la trois ou quatrième fois. Elle  descend en France pour une saison de travail. Mars, avril, mai, juin.

     

    Lukasz a 33 ans. Dès qu'il la voit, il la veut. Zéro discrétion le grand frère. Limite bouc en rûte. Il la prend comme il en a prise tant et tant d'autres avant elle. Mais elle, elle tombe enceinte. Accident ou volonté ?

     

    Alors elle ne repart pas.

    Où est l'amour ? Où est le calcul ? Où est le sacrifice ? Quel pourcentage pour chaque ?

     

    Maman dit souvent de Zofia  est une doskonala zona. Ce que je ne suis pas. Chaque fois que j'entends doskonala zona je me demande c'est quoi d'être l'épouse parfaite ? De se taire quand son mari nous trompe ? De n'avoir aucune vie personnelle ? De ne vivre que pour sa maison, sa famille ? Je sais que Zofia verse toujours une partie de son salaire à sa mère. Je sais aussi que c'est Lukasz et elle qui ont financé l'enterrement du père.

     

    Pourquoi n'a t-elle jamais voulu revoir son pays, sa mère, ses sœurs ? Elle a payé mais elle ne s'est pas déplacé pour dire adieu à son alcoolo de paternel. Pourquoi ? Quand sa soeur est tombée malade, idem elle a payée, mais elle n'a pas bougé. Elle n'a pas traversé la frontière pour enterrer sa petite soeur de treize ans. Pourquoi ?

     

    Moi, que je m’indiffère de la Pologne c'est compréhensible. Je suis née en Bretagne, je suis française. Bilingue mais française. Mais Zofia !

     

    Zofia y a vécu 25 ans. 25 ans !

     

    Elle est arrivée en France sans savoir un seul mot de français. Pourquoi a-t-elle refusé que ses enfants portent un prénom polonais ? Car ça, ce n'est pas l’empreinte de Lukasz, c'est elle. C'est la seule fois où maman n'a pas dit Zofia jest doskonalym panna mloda.  Elle était peut-être pourtant toujours l'épouse parfaite, mais plus la polonaise parfaire. Je sais que maman et papa n'ont pas aimé le choix des prénoms.

     

    Les pauvres ! Janko et moi ne leur avons pas donné de descendant. Pas gâtés de ce côté là, les parents. Mais ils sont si fiers de Janko qui vit au pays. Il n'y a plus que moi pour tenir le rôle du mouton noir.

     

    Du plus profond de mon coeur je souhaite à Zofia de ne pas s'être trompée, d'avoir enfin rencontrée une véritable amie. On a tous besoin de quelqu'un a qui l'on puisse tout confier. Elle n'a probablement jamais eu personne. Alors oui, du plus profond de mon coeur sec, je lui souhaite de vraiment avoir trouvée une amie éternelle.


    3 commentaires
  • 16

    Elle rêvait de quoi ?

    En venant s'installer à deux pas de moi, elle pensait quoi ?

    Elle espérait quoi ?

     

    Kara Ann n'a jamais eu aucune autonomie. Elle passe un bac littéraire comme sa sœur, sort avec la bande de copains de sa sœur, s'amourache du frère du garçon que celle-ci convoite. En toutou fidèle qui change de maître, elle abandonne la littérature pour suivre les mêmes études que Xavier. Il est sourd et muet, elle le devient aussi. Il n'y a plus que le langage des signes qui compte dans sa vie. Elle décroche donc un emploi dans le monde de son mari, celui des malentendants. Elle n'a jamais eu aucune autonomie.

     

    Kara Ann n'a jamais eu aucune, d'aucune autonomie. Et aucun discernement.  Elle est végétarienne. Cela rime à quoi d'être végétarien, excepter de déranger tout le monde ? Elle est végétarienne comme sa copine, milite pour une asso anti viande, comme sa copine, va aux manifestations pour que sa copine n'y aille pas seule. Elle est tellement suiveuse que même quand Bénédicte délaisse son militantisme, elle le continue. Kara Ann n'a jamais eu aucune autonomie. 

     

    Combien de fois a-t-elle articulé les idées de son mari ? Quand elle est devenue veuve, j'ai su que Dieu avait fait là une très bonne chose. Il fallait les séparer ces deux là. Ce n'est pas possible d'être si inexistante. A trente ans, être aussi dépendante de son mari qu'un enfant de six mois l'est de sa mère, en fin du 20ème siècle, début du 21ème, c'est pathologique tout de même. Encore les premiers mois, je peux comprendre, c'est tout feu tout flamme, mais elle était à peine majeur quand elle l'a rencontré.

     

    Il faut savoir se remettre en question, voir les choses qui ne vont pas. Kara-Ann n'a jamais été que du vide emplit de la personnalité de Xavier. Elle n'avait, et n'a encore que les idées de son mari. La mort de Xavier, si tôt, était une chance pour Kara Ann. Chance qu'évidemment elle n'a pas su saisir.

     

    Elle se nomme Kara Ann mais elle n'est ni Ann ni Kara elle est un alliage Bénédicte Xavier. Toute sa vie elle ne sera que le disciple de deux vrais gourous. Deux vampires.

     

    Elle n'a même jamais voulu mettre un enfant au monde. Pour une femme, c'est tout de même grave. Pas besoin d'être psychanalyste pour savoir qu'il y a là, un vrai problème d'équilibre mental.

     

    " On se suffit" articulait-elle au temps heureux.

    Idiotie suprême.

    On se suffit !

    On se suffit !

    Mais enfin ce n'est pas parce que l'on est fou du chocolat qu'on ne va plus se nourrir que de tablettes et de pâte à tartiner.

     

    " A nous deux on ne forme plus qu'un" ajoutait-elle triomphante.

    Même source d'idiotie.

    On ne forme plus qu'un !

    On ne forme plus qu'un !

    A oui lequel ? Si elle avait été moins idiote elle aurait réalisé que l'être unique qu'ils formaient ensemble c'était lui. 

     

    Il n'y a qu'une vérité. Xavier l'a toujours voulu toute à lui. Mais ça, pour le comprendre, il lui aurait fallu un peu plus de jugeote. Et il ne fallait pas compter sur Bénédicte pour lui ouvrir les yeux. Aussi gourous l'un que l'autre, aucun n'avait d'intérêt de la voir s'émanciper.

     

    Quand Xavier est mort, Kara Ann devait avoir dans les 35, 36 ans ? Il était grand temps qu'elle se prenne en main, qu'elle trouve ses idées propres. Mais non, elle a continué comme du temps de Xavier. Le seul changement c'est qu'elle avait adopté la tête d'un chien du fond d'une SPA. C'est épuisant les gens sans problème au faciès exhibant la  misère.

     

    " On se suffit " . Idiotie. " On se suffit ".

     

    Quand Gérard est mort, en ai-je fait tout un plat ? Non. Une vie sans dignité ne se peut. Dieu l'a repris, il en est ainsi. Je ne vais tout de même pas aller contre la volonté de Dieu. Gérard n'est pas. Il faut admettre. Bien sûr c'est dur au début. On vit tellement englué dans les routines et habitudes, mais quand Dieu veut le changement, il faut le prendre comme Il le veut.

     

    Kara Ann a voulu acheter la grange. Après tout pourquoi pas ? C'était l'idée de Gérard d'avoir une location. Il n'est plus là pour s'en occuper, la vente me semblait opportune.

     

    Kara Ann a voulu acheter la grange. Une fraction de seconde j'ai cru à une élévation d'elle. J'ai pensé "Enfin une décision personnelle pour enfin de l'autonomie".

     

    Une fraction de seconde, une seule fraction de seconde.

     

    Juste une fraction de seconde, car elle n'a pas pu s'empêcher d'ajouter une perle de glu du stick géant de colle qu'elle est :

    "Je serai un peu comme la fille que tu n'as pas eu".

     

    Mais qu'ont-elles toutes à vouloir être ma fille? Marie Pierre m'avait sortie la même sottise, le jour où ils sont venus dîner pour nous annoncer leur future mariage.

    " Vous gagnez une fille en moi, Solange".

     

    Ma chère petite, saches que pour devenir la fille d'une femme, ce n'est pas en couchant avec son fils que l'on y parvient. La sexualité entre frère et sœur est contraire à la loi biblique.

     

    Mon fils. Cet ingrat.

     

    Mon mari et moi, nous avons sacrifié nos vies pour lui.

    Pour lui, j'ai quitté, vendu, ma belle maison bretonne.

    Pour lui, j'ai supportée de vivre quinze années enfermée dans cet affreux immeuble de banlieue parisienne.

     

     

    Et pour quelle récompense ? Un énorme coup de gueule et une disparition de cinq ans. 

     

    Je me suis saignée aux quatre veines pour qu'il ait un avenir. Il a appelé ça l'avoir étouffé. Si seulement il avait été père, il aurait su ce que c'est que de perdre sa vie, pour un autre. Mais non, il n'a pas eu d'enfant. Marie Pierre avait assez du sien. Elle n'en a pas voulu d'autre. Et il n'a pas su s'imposer face à elle.

     

    Suite au départ de Samuel, j'ai été forte, j'ai accepté la volonté de Dieu.  Je n'ai pas pleuré sur mon sort. Je suis restée digne. J'ai fait mes valises, suis rentrée en Bretagne pour reconstruire ma vie.

     

    Samuel a très bien su nous retrouver à La Mézière.

     

    Cinq années de silence et d'absence totale, et il revient frapper à notre porte  pour nous présenter Marie Pierre et Coline qui avait alors quoi ? 8 / 10 ans. Grand seigneur il nous invitait à son mariage qui avait lieu sur la fin du mois. Mariage programmé, organisé, ficelé. Notre présence, comme notre absence n'y changerait rien. Nous n'avions pas notre mot à dire. Ai-je hurlé ? Non. Une nouvelle fois j'ai gardé la tête haute, ma dignité. Et ma foi en Dieu.

     

    Et cette femme de douze ans son aînée qui ne trouve rien de mieux à me dire, le jour de notre première rencontre, qu'elle se voulait être ma fille. Ma fille. Elle me prend pour qui ? Je n'avais pas une vie dissolue à quatorze ans, je ne pouvais pas être mère à quinze ans. Et pourquoi pas devenir la grand-mère de Coline tant que l'on y est !

     

    Heureusement cela lui a vite passé. Marie Pierre n'a plus jamais voulu être la fille que je n'avais pas eu. Elle a su restée à sa place. Elle est une belle-fille convenable et serviable. Et je dois dire qu'elle a fait de mon fils, un homme droit. Certes un peu lâche, mais tous les hommes ne le sont-ils pas ? Gérard n'avait rien d'un chevalier Bayard. De toute façon je ne le lui aurais pas admis.

     

    Après avoir été l'esclave de Xavier, voilà Kara Ann au service de sa colocataire. Mais en quoi avait-elle besoin d'aller prendre cette insolente chez elle ?

     

    Maintenant elle veut mon argent pour couper ma pelouse en deux. Est-ce là l'acte d'une fille aimante ? J'en doute. Seule une fille ingrate peut exiger une telle chose. Alors qu'elle ait au moins la décence de ne pas me déranger avec des détails techniques.  Que Samuel s'en charge.

     

    Kara Ann est lassante. Il faut toujours la rassurer, lui affirmer qu'elle a bien travaillé, qu'elle est bien courageuse. Elle a toujours eu ce côté immature qui m'agace tant et qui si incompréhensiblement, la rend populaire. 

     

    J'ai dit à Samuel et Marie Pierre que je n'irai pas à ce repas. Pourquoi devrais-je m'asseoir à la même table que la polonaise, et sa famille. D'ailleurs pourquoi sont-ils invités ceux-là ?

     

    Insatisfaite par ma volonté, il faut encore que Kara Ann me téléphone pour me supplier de me joindre à eux. Mais je n'en ai aucune envie. Qu'elle le comprenne. Je ne suis pas son obligée que je sache !

     

    Je vais téléphoner à mon frère pour savoir si leur appartement de Caloura est libre sur mars. Je n'ai pas du tout envie d'assister au saccage de ma pelouse. J'aime mis passer un mois en paix, au Portugal.

     


    2 commentaires