• 16

    Elle rêvait de quoi ?

    En venant s'installer à deux pas de moi, elle pensait quoi ?

    Elle espérait quoi ?

     

    Kara Ann n'a jamais eu aucune autonomie. Elle passe un bac littéraire comme sa sœur, sort avec la bande de copains de sa sœur, s'amourache du frère du garçon que celle-ci convoite. En toutou fidèle qui change de maître, elle abandonne la littérature pour suivre les mêmes études que Xavier. Il est sourd et muet, elle le devient aussi. Il n'y a plus que le langage des signes qui compte dans sa vie. Elle décroche donc un emploi dans le monde de son mari, celui des malentendants. Elle n'a jamais eu aucune autonomie.

     

    Kara Ann n'a jamais eu aucune, d'aucune autonomie. Et aucun discernement.  Elle est végétarienne. Cela rime à quoi d'être végétarien, excepter de déranger tout le monde ? Elle est végétarienne comme sa copine, milite pour une asso anti viande, comme sa copine, va aux manifestations pour que sa copine n'y aille pas seule. Elle est tellement suiveuse que même quand Bénédicte délaisse son militantisme, elle le continue. Kara Ann n'a jamais eu aucune autonomie. 

     

    Combien de fois a-t-elle articulé les idées de son mari ? Quand elle est devenue veuve, j'ai su que Dieu avait fait là une très bonne chose. Il fallait les séparer ces deux là. Ce n'est pas possible d'être si inexistante. A trente ans, être aussi dépendante de son mari qu'un enfant de six mois l'est de sa mère, en fin du 20ème siècle, début du 21ème, c'est pathologique tout de même. Encore les premiers mois, je peux comprendre, c'est tout feu tout flamme, mais elle était à peine majeur quand elle l'a rencontré.

     

    Il faut savoir se remettre en question, voir les choses qui ne vont pas. Kara-Ann n'a jamais été que du vide emplit de la personnalité de Xavier. Elle n'avait, et n'a encore que les idées de son mari. La mort de Xavier, si tôt, était une chance pour Kara Ann. Chance qu'évidemment elle n'a pas su saisir.

     

    Elle se nomme Kara Ann mais elle n'est ni Ann ni Kara elle est un alliage Bénédicte Xavier. Toute sa vie elle ne sera que le disciple de deux vrais gourous. Deux vampires.

     

    Elle n'a même jamais voulu mettre un enfant au monde. Pour une femme, c'est tout de même grave. Pas besoin d'être psychanalyste pour savoir qu'il y a là, un vrai problème d'équilibre mental.

     

    " On se suffit" articulait-elle au temps heureux.

    Idiotie suprême.

    On se suffit !

    On se suffit !

    Mais enfin ce n'est pas parce que l'on est fou du chocolat qu'on ne va plus se nourrir que de tablettes et de pâte à tartiner.

     

    " A nous deux on ne forme plus qu'un" ajoutait-elle triomphante.

    Même source d'idiotie.

    On ne forme plus qu'un !

    On ne forme plus qu'un !

    A oui lequel ? Si elle avait été moins idiote elle aurait réalisé que l'être unique qu'ils formaient ensemble c'était lui. 

     

    Il n'y a qu'une vérité. Xavier l'a toujours voulu toute à lui. Mais ça, pour le comprendre, il lui aurait fallu un peu plus de jugeote. Et il ne fallait pas compter sur Bénédicte pour lui ouvrir les yeux. Aussi gourous l'un que l'autre, aucun n'avait d'intérêt de la voir s'émanciper.

     

    Quand Xavier est mort, Kara Ann devait avoir dans les 35, 36 ans ? Il était grand temps qu'elle se prenne en main, qu'elle trouve ses idées propres. Mais non, elle a continué comme du temps de Xavier. Le seul changement c'est qu'elle avait adopté la tête d'un chien du fond d'une SPA. C'est épuisant les gens sans problème au faciès exhibant la  misère.

     

    " On se suffit " . Idiotie. " On se suffit ".

     

    Quand Gérard est mort, en ai-je fait tout un plat ? Non. Une vie sans dignité ne se peut. Dieu l'a repris, il en est ainsi. Je ne vais tout de même pas aller contre la volonté de Dieu. Gérard n'est pas. Il faut admettre. Bien sûr c'est dur au début. On vit tellement englué dans les routines et habitudes, mais quand Dieu veut le changement, il faut le prendre comme Il le veut.

     

    Kara Ann a voulu acheter la grange. Après tout pourquoi pas ? C'était l'idée de Gérard d'avoir une location. Il n'est plus là pour s'en occuper, la vente me semblait opportune.

     

    Kara Ann a voulu acheter la grange. Une fraction de seconde j'ai cru à une élévation d'elle. J'ai pensé "Enfin une décision personnelle pour enfin de l'autonomie".

     

    Une fraction de seconde, une seule fraction de seconde.

     

    Juste une fraction de seconde, car elle n'a pas pu s'empêcher d'ajouter une perle de glu du stick géant de colle qu'elle est :

    "Je serai un peu comme la fille que tu n'as pas eu".

     

    Mais qu'ont-elles toutes à vouloir être ma fille? Marie Pierre m'avait sortie la même sottise, le jour où ils sont venus dîner pour nous annoncer leur future mariage.

    " Vous gagnez une fille en moi, Solange".

     

    Ma chère petite, saches que pour devenir la fille d'une femme, ce n'est pas en couchant avec son fils que l'on y parvient. La sexualité entre frère et sœur est contraire à la loi biblique.

     

    Mon fils. Cet ingrat.

     

    Mon mari et moi, nous avons sacrifié nos vies pour lui.

    Pour lui, j'ai quitté, vendu, ma belle maison bretonne.

    Pour lui, j'ai supportée de vivre quinze années enfermée dans cet affreux immeuble de banlieue parisienne.

     

     

    Et pour quelle récompense ? Un énorme coup de gueule et une disparition de cinq ans. 

     

    Je me suis saignée aux quatre veines pour qu'il ait un avenir. Il a appelé ça l'avoir étouffé. Si seulement il avait été père, il aurait su ce que c'est que de perdre sa vie, pour un autre. Mais non, il n'a pas eu d'enfant. Marie Pierre avait assez du sien. Elle n'en a pas voulu d'autre. Et il n'a pas su s'imposer face à elle.

     

    Suite au départ de Samuel, j'ai été forte, j'ai accepté la volonté de Dieu.  Je n'ai pas pleuré sur mon sort. Je suis restée digne. J'ai fait mes valises, suis rentrée en Bretagne pour reconstruire ma vie.

     

    Samuel a très bien su nous retrouver à La Mézière.

     

    Cinq années de silence et d'absence totale, et il revient frapper à notre porte  pour nous présenter Marie Pierre et Coline qui avait alors quoi ? 8 / 10 ans. Grand seigneur il nous invitait à son mariage qui avait lieu sur la fin du mois. Mariage programmé, organisé, ficelé. Notre présence, comme notre absence n'y changerait rien. Nous n'avions pas notre mot à dire. Ai-je hurlé ? Non. Une nouvelle fois j'ai gardé la tête haute, ma dignité. Et ma foi en Dieu.

     

    Et cette femme de douze ans son aînée qui ne trouve rien de mieux à me dire, le jour de notre première rencontre, qu'elle se voulait être ma fille. Ma fille. Elle me prend pour qui ? Je n'avais pas une vie dissolue à quatorze ans, je ne pouvais pas être mère à quinze ans. Et pourquoi pas devenir la grand-mère de Coline tant que l'on y est !

     

    Heureusement cela lui a vite passé. Marie Pierre n'a plus jamais voulu être la fille que je n'avais pas eu. Elle a su restée à sa place. Elle est une belle-fille convenable et serviable. Et je dois dire qu'elle a fait de mon fils, un homme droit. Certes un peu lâche, mais tous les hommes ne le sont-ils pas ? Gérard n'avait rien d'un chevalier Bayard. De toute façon je ne le lui aurais pas admis.

     

    Après avoir été l'esclave de Xavier, voilà Kara Ann au service de sa colocataire. Mais en quoi avait-elle besoin d'aller prendre cette insolente chez elle ?

     

    Maintenant elle veut mon argent pour couper ma pelouse en deux. Est-ce là l'acte d'une fille aimante ? J'en doute. Seule une fille ingrate peut exiger une telle chose. Alors qu'elle ait au moins la décence de ne pas me déranger avec des détails techniques.  Que Samuel s'en charge.

     

    Kara Ann est lassante. Il faut toujours la rassurer, lui affirmer qu'elle a bien travaillé, qu'elle est bien courageuse. Elle a toujours eu ce côté immature qui m'agace tant et qui si incompréhensiblement, la rend populaire. 

     

    J'ai dit à Samuel et Marie Pierre que je n'irai pas à ce repas. Pourquoi devrais-je m'asseoir à la même table que la polonaise, et sa famille. D'ailleurs pourquoi sont-ils invités ceux-là ?

     

    Insatisfaite par ma volonté, il faut encore que Kara Ann me téléphone pour me supplier de me joindre à eux. Mais je n'en ai aucune envie. Qu'elle le comprenne. Je ne suis pas son obligée que je sache !

     

    Je vais téléphoner à mon frère pour savoir si leur appartement de Caloura est libre sur mars. Je n'ai pas du tout envie d'assister au saccage de ma pelouse. J'aime mis passer un mois en paix, au Portugal.

     

    « 1517 »

  • Commentaires

    1
    Dimanche 10 Janvier 2016 à 09:01

    Ah c'est une belle "caricature" la dame Solange, tu l'as bien chargée. En plis quand tu évoques la notion d'autonomie, on se demande qui est la plus à plaindre.

    2
    Dimanche 10 Janvier 2016 à 20:54

    En effet je me suis bien amusée. Dans chaque livre j'ai mon chouchou et mon "monstre".

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :