• 175 - Partie 1 - Jour 18.

    Un  nouveau week-end s'achevait sans nouvelles de Elvira. Au restaurant après la fille de Igor, puis Marie José, c'était Bastien qui s'était envolé. Lui, il aurait eu un problème de famille. Philippine ne le connaissant pas du tout, aurait pu y croire mais le texto de Arno annonçait son absence soudaine par une  formule telle, qu'elle comprit que ce ne devait pas  être plus vrai que les vacances prolongées de Elvira.

     

    Mensonge pour mensonge, Marie José non plus n'était pas réellement en arrêt maladie. Elle boudait. La seule maladie dont elle souffrait se nommait orgueil. Un orgueil bénéfique en fait, puisqu'il l'obligeait à soigner ses douleurs pour demeurer loin de son lieu de travail. Le dernière texto de Arno évoquant Marie José, lui apprenait qu'une opération devait être programmée. Arno avait utilisé le conditionnel. Hanche, genoux, épaule ? Le court message ne contenait aucune précision. Et elle ne chercha pas à en savoir plus. Marie José, celle qui détestait Helmut, celle qui avait fait un esclandre dans sa cuisine ne l'intéressait pas.

     

    Dix huit jours que Elvira avait disparu. Philippine et Arno ne savaient plus que faire pour la retrouver. Ils n'avaient pas le début d'une piste. C'en était à pleurer.

     

    Le transfère des données de l'ordinateur de Elvira dans celui de Arno avait permis de découvrir qui recevait l'équivalent d'un mois de salaire, chaque année. Il s'agissait d'une ONG internationale qui aidait les enfants.

     

    Elvira était marraine de Visvani une petite fille qui vivait avec ses parents au Sri Lanka. Ce parrainage avait débuté en janvier 2005. Dans l'album photos de Elvira, Philippine l'y avait vu grandir, passer de dix huit mois à treize ans. A la même époque une seconde petite fille avait été aussi parrainée. Elle se prénommait Ha, elle était vietnamienne, avait six ans et vivrait avec ses parents, la mère de son père et deux sœurs plus âgées. Pourquoi, comment, Elvira ne le précisait pas dans son album, mais en 2008, Ha et sa famille furent remplacées par Tâm, un petit homme de quatre ans également vietnamien. Tâm sur sa photo de 2017 avait donc treize ans comme Visvani.

     

    Sri Lanka, Vietnam - l'Asie. Mais l'Amérique du Sud aussi.

     

    En premier pays de parrainage, Elvira avait choisi la Bolivie. Pour Philippine et Arno, ce devait venir du fait qu'elle écrivait, lisait l'espagnol, chose qui devait facilité les échanges. Était-ce ça ? Ils n'osaient plus prétendre la connaître. En mai 2004, Elvira avait signé son premier chèque pour Plan International et  était devenue, ainsi, la marraine d'une adolescente bolivienne de seize ans,  Mayra. Tous les parrainages cessaient à la majorité de l'enfant. Des adolescentes boliviennes se  succédaient sur les  treize années. Dans ce pays, jamais un enfant jeune. Elvira devait avoir une logique dans ses choix. Actuellement la filleule se prénommait Maria Dayanna. Elle avait dix sept ans.

     

    Le garçon noir de la photographie encadrée, qu'ils avaient pris pour l'amoureux version jeune de Elvira, voir son fils ou son frère, était le quatrième filleul,  Alula, un éthiopien de huit ans.  Arno et Philippine en étaient arrivés à la conclusion que Elvira ne devait consacrer qu'un seul cadre, qu'un seul emplacement sur sa bibliothèque dans sa chambre, pour ses filleuls. Quand une nouvelle photographie arrivait, elle l'entrait dans le cadre, et l'ancienne était archivée dans l'album. Elvira recevait une photographe par année. Enfin deux. Ensemble lui parvenait une fois l'an, le portrait du filleul accompagné d'une seconde photographie de lui entouré de  toute sa famille. Les deux photos étaient assurément prises à la suite l'une de l'autre car c'était le même décor et le filleul portait les mêmes vêtements, quand il n'allait pas jusqu'à garder dans ses bras le même jouet. Ils avaient supposé que le jouet n'était pas choisi au hasard par l'enfant, que ce devait être l'un de ceux offerts par Elvira. Sur les dernières années, toujours les enfants avaient les mains vides. Arno et Philippine en avaient conclu que l'ONG avait du changer ses lois, que les parrains, marraines ne pouvaient plus poster de cadeaux. Absurdité en soit, avaient-ils conclu. Mais qu'y avait-il de cohérent dans la vie ?

     

    L'ordinateur n'avait pas permis de résoudre le mystère de la disparition, mais il avait fait découvrir l'ONG Plan international à Arno et Philippine. Sans se concerter ils avaient eu la même action, ils avaient passé des heures sur le site de l'association, comme si savoir tout de ses  missions, de ses réalisations sur les années passées, allait leur permettre de comprendre quelque chose sur la femme qu'ils pensaient connaître par cœur et qui ne leur racontait rien de sa vie.

     

    Les jumelles de Arno et Odile, découvrant une petite fille au visage bruni par le soleil sur le site, s'étaient excitées, avaient voulu lui écrire un mail comme la vidéo qu'ils venaient de visionner leur annonçait possible. Au final, d'un même élan, ils décidèrent de remplir un dossier de parrainage. Ils sélectionnèrent  fille - Pérou - moins de six ans pour que Léna et Molly qui allaient fêter leur sept ans en janvier soit comme des sœurs aînées. Il n'y avait pas de photographies pour choisir les enfants, comme on choisit une poupée sur le site de JouéClub. Un sexe, une tranche d'age, un pays, et la destinée faisait le reste.

     

    Quand il passa en coup de vent chez Philippine pour lui rendre l'ordinateur de Elvira, il prétendit qu'il ne l'avait décidé que sur demande de ses filles, que comme sa femme, il pensait que ce pouvait être bon pour elles de grandir en étant lié à une petite fille moins favorisée qu'elles. Il n'avoua pas qu'il avait surtout voulu suivre le même chemin que Elvira. Il se sentait tellement blessé d'avoir été tenu à l'écart de ses importances. Il voulait passer par les même étapes qu'elle pour comprendre ce qu'elle lui taisait depuis presque quatorze années.

     

    Philippine, un matin de colère, voulut aussi remplir un dossier de parrainage, mais n'alla pas jusqu'au bout.

     

    Après quatre appels qui l'avaient fait tomber sur un répondeur, au message annonçant juste qu'elle avait bien composé le numéro qu'elle souhaitait, elle avait trouvé le courage de rouler jusqu'à son ancien logement pour y rencontrer son ex mari. Elle voulait qu'il utilise les outils mis à la disposition de la police pour savoir qui se cachait derrière LINUS 06 41 04 02 11. Elle s'était armée de tout son courage, de son plus beau sourire, mais quand sa fille lui ouvrit la porte de chez son père, qu'elle tourna les talons en criant à Benoit que c'était sa mère, sans avoir une seconde songé à l'embrasser, la saluer, Philippine redevint haine pour ne pas reconnaître que son corps s'était muté en  un océan de larmes. Benoit, un torchon à la main, arriva à la porte, puis après l'avoir embrassée sur la joue, l'invita à entrer, à diner avec eux, lui précisa qu'il avait fait des lasagnes, et pas du surgelé, des lasagnes maison, mais c'était trop tard, Gracianne lui avait fait trop de mal.

     

    Elle sortit le livre de poche écrit par Hjalmar Söderberg  de son sac à main et sans politesse aucune, toujours sur le paillasson, elle le lui donna,  avant de fuir s’emmurer chez elle.

     

    Pour ne pas hurler toute la nuit que c'était dégueulasse, que sa fille était dégueulasse, dégueulasse qu'elle aille manger chez son père alors qu'à douze ans, elle l'avait vu avec une maitresse, dégueulasse qu'elle refusait de s'approcher de sa mère qui avait demandé le divorce pour infidélité, Philippine avait allumé son ordinateur. Elle avait ensuite tué une heure en passant d'une vlog à l'autre, sans parvenir à regarder une vidéo en entier, à s’intéresser à leur contenu. Finalement sans trop savoir pourquoi ou comment, elle était retombée sur le site de l'ONG.

     

    Parvenant un peu mieux à se concentrer, elle avait lu des dizaines de témoignages de parrains qui avaient rendu visite à leur filleul. Avec le sentiment que sa vie était foutue, elle releva la tête et posa les yeux sur Helmut qui la dévisageait. Un autre jour, elle aurait quitté l'ordinateur, l'aurait rejoint, l'aurait pris dans ses bras et lui aurait annoncé qu'il était l'amour de sa vie, mais là, elle songea qu'il avait passé dix ans, qu'il lui restait plus de mort que de vie. Elle avait perdu son mari, sa fille, elle allait perdre son chien. Son moral se noya un peu plus. Les larmes remontaient dans sa gorge. Elle se remit à passer d'une page à l'autre sur le site, sans même plus chercher à se mentir, à faire semblant de lire.

     

    Et puis ses yeux restèrent accrochés à deux mots Timor Leste qu'elle lut " t'y mort lente ". C'était comme si ce pays inconnu parlait d'elle. Elle finit sa soirée à se renseigner sur le Timor oriental.

     

    Le lendemain, elle assista à une scène ordinaire qui la mit hors d'elle. Son collègue déversa une cafetière entière de café froid dans l'évier, pour en faire du frais. Elle hurla qu'il aurait du le réchauffer au micro-onde, qu'il y avait des gosses de par le monde qui n'avait pas d'eau potable. Furieuse, elle retourna  à son poste, tapa plan international sur son clavier. Elle était bien décidée de remplir un dossier d'inscription pour devenir la marraine d'un petit garçon vivant au Timor oriental. Un garçon, pas une fille, les filles sont ingrates.

     

    Le formulaire d'adoption sous les yeux, elle cocha Asie pour le continent. Alors une liste de pays s'afficha. Bangladesh - Birmanie - Cambodge - Népal - Sri Lanka - Vietnam mais pas de Timor Leste. La vie s'acharnait contre elle. Philippine se prit le visage dans les mains. Elle détestait sa vie. Tout lui y semblait trop dur.

     

    Et puis quelques heures plus tard, son téléphone portable lui signala qu'un message était arrivé. En constatant qu'il venait de Benoit elle ne put retenir un "je t'aime" qui alourdit un peu plus ses paupières.

     

    Linus Powell

    33 rue des Abras - 16 000 Angoulême

    né le 5.12.66 à Lenhovda - Suède

    Professeur de Tango.

     

    Devant la fenêtre de sa cuisine, fenêtre qui donnait sur l'escalier que personne ne montait plus, Philippine regarda l'heure sur son téléphone portable. 22h05. Tout en se demandant si elle pouvait appeler si tard un dimanche soir, elle composait pour la cinquième fois en neuf jours, le numéro qu'elle connaissait par coeur de l'avoir tant et tant regarder. Elle allait entendre le message de SFR pré-enregistré habituel, ne laissera aucune phrase, et éteindra son téléphone. Le week-end allait finir par une absence. 

     

    Philippine ne possédait aucun don de voyance. Un " Allo " aussi grave que vif entra dans son oreille.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 4 Décembre 2017 à 22:35

    Bon pour l'ONG on pouvait comprendre en lisant le bandeau du blog, tu le sais.

    Je découvre un peu plus les personnages et protagonistes. Intéressants.

    Et maintenant, après "Allo" ... 

    à suivre

      • Lundi 4 Décembre 2017 à 23:34

        Oui j'avais mis le site en lien trop tôt.

        Avant "allo", on va retrouver Bastien, voir ce qu'il faut de son temps. Soit avancer sur le "dossier viol".  On ira danser le tango ensuite, promis. wink2

      • Mardi 5 Décembre 2017 à 08:44

        Pas grave, je suis un mauvais danseur

      • Mardi 5 Décembre 2017 à 10:17

        Idem.

    2
    Dimanche 17 Décembre 2017 à 22:05
    erato:

    Des éléments permettent d'avancer et peut être de comprendre un peu mieux Elvira.

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