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    Halka et Kara Ann avaient eu la même idée. Profiter de la balancelle qu'elles avaient assemblé avant le repas, pour y déguster une glace en guise de dessert. Guénady peu gourmand, s'était éloigné d'elles. Il n'était pas parti très loin, il était allé s'assoir sur la pelouse qui leur faisait face. Tout en ayant la conversation des deux femmes en fond sonore, il respirait l'air du soir.

     

    Chaque pignon de la maison possédait une cour privative. Sur celle entre l'espace où les voitures pouvaient se stationner et la baie-vitrée du salon, une table et ses chaises accueillait Kara Ann autant de fois qu'elle le voulait. Sur la seconde, celle à l'escalier extérieur qui menait à la chambre que Halka occupait, un transat semblait avoir été oublié de tous. Guénady y avait fait ses griffes une ou deux fois, mais très vite il lui avait préféré les poteaux de bois sans apparente utilité, couchés  sous l'escalier.

     

    Les deux cours ne se rejoignaient pas.

    La petite, côté escalier, semblait n'avoir comme fonction qu'une libre circulation entre le petit portail s'ouvrant sur le chemin des diligences et la chambre à l'étage.

    Celle de la baie-vitrée, quatre fois plus grande, filait devant la maison, pour aller mourir sitôt la porte d'entrée atteinte.

    Sous la fenêtre de la cuisine, la pelouse reprenait ses droits.

     

    Les deux femmes s'étaient voulues un lieu neutre, aussi avec une partie de l'argent du loyer de Halka, Kara Ann avait commandé une balancelle. Ensemble elles l'avaient assemblée, puis positionnée contre le mur du salon, avant la porte d'entrée, face à la pelouse. A cet endroit la terrasse dallée n'était plus très large, mais elle l'était suffisamment pour accueillir le double siège, sans obstruer le passage.

     

    Si la pelouse de Solange avait bien été coupée en deux parties inégales sur le cadastre, pour la vente de la petite maison du fond de la propriété, vu de cette même petite maison, rien ne laissait deviner où commençait l'une et où finissait l'autre partie.

     

    Faute de sujet de conversation, les coupes de glaces furent dégustées en silence. Ensuite, pour qu'un malaise ne s'installe pas, pour demeurer ensemble encore un peu, Halka, les yeux sur la pelouse depuis le début, l'évoqua. Que comptait y faire Kara Ann ?

     

    Dans son grand projet de location, en vu de l'intimité de tous, le mari de Solange avait bétonné des lourdes jardinières faites par ses soins, sur le sentier bitumé qui courait de son garage au chemin des diligences. Sa maison avait la chance de donner sur deux rues, aussi, il avait pu en condamner une. Les bambous des jardinières formaient déjà une belle palissade opaque. Grâce à la végétation, de ses fenêtres Solange ne pouvait pas savoir si il y avait des voitures garées chez Kara Ann.

     

    Pour l'espace pelouse rien n'avait été fait.

     

    La terrasse de Solange, comme celle de Kara Ann donnait coté sud, aussi la lourde et haute maison bloquait toute visibilité, si tout le monde se tenait en terrasse chez lui. Mais de l'intérieur de sa maison, de ses fenêtres au nord, Solange avait tout le loisir d'observer ce qui se passait chez les filles. Par exemple, de sa salle de bain, elle avait une vue plongeante sur la petite maison construite dans l'ex grange. Kara Ann, ayant achetée la maison justement pour se rapprocher de son amie, ex collègue, n'y voyait aucun problème. Elle y trouvait même un énorme avantage : Solange avec sa tondeuse motorisée, continuait de se charger de la totalité de la surface de la pelouse. Pour Halka en revanche, qui n'avait certes encore rencontré Solange qu'à deux reprises, mais qui déjà la détestait, l'avantage de la tondeuse ne faisait pas le poids face aux désagréments. Halka voulait un mur d’enceinte, mieux, une fortification. Le sujet était clos pour la propriétaire. Pas d'argent pour l'inutilité. Le silence retomba entre elles.

     

    Un peu furax, mais ne s'avouant pas battue, Halka se leva, entra dans la maison, puis prit la direction dans la cuisine. Non, elle ne se jugeait pas vaincue, elle était juste partie pour se prendre un café. Elle songeait qu'il lui fallait  trouver un nouvel angle d'attaque. L'argument d'éloigner deux amies n'était en effet pas très judicieux. Pour Kara Ann un mur voulait dire  devoir remonter le chemin des diligences, puis la rue Gaston Esnault qui débouchait au coeur de l'avenue Hippolyte Fillioux. Avenue qu'il faudrait ensuite suivre jusqu'à son terme soit place du Pavé où se tenaient la poste et la boulangerie en plus d'un sabotier qui avait fermé depuis trois années mais qui gardait sa vitrine aussi animée que s'il était juste en vacances pour une semaine. De cette place, il fallait encore descendre vers le cimetière, sur la rue Anne de Bretagne, passer à l'angle après le coiffeur, et enfin bifurquer rue de la croix blanche dans laquelle la maison de Solange portait le numéro 17. Pourquoi devoir faire près d'un kilomètre et demi quand il est si simple de traverser une pelouse ? Même avec un fort pouvoir de persuasion, personne n'arriverait à gagner une telle bataille.

      

    Sauf si on avait l'assurance qu'un petit portail serait installé dans le mur. Halka souleva sa tasse pleine de café, le sourire aux lèvres. Bien sûr un petit portail.

     

    Un petit portail ... Avec une clé.

     

    Elle se sentait prête à ré-attaquer le sujet.  Avant de sortir tout à fait  de la maison, elle bloqua trois secondes. Les arbres à chat. Kara Ann n'avait pas de chat. Guénady n'était chez elle que pour très peu de temps. Et ils étaient là, énormes, gigantesques. Ils étaient le symbole même que  Kara Ann n'arrivait pas à se faire à l'idée d'encaisser les chèques de loyers. Construire le mur avec les euros du loyer. Argument à ne pas oublier.

     

    Guénady n'avait toujours pas bougé. Assis au coeur de la pelouse, il tourna à peine la tête vers Halka qui reprenait place sur la balancelle. Demander un mur pour un chat, en argument trois ? Guénady passerait par dessus et continuerait à visiter le territoire de la voisine. Halka y renonça, mais elle sourit plus fort... Si ce n'est pour lui, ce sera pour ...

     

    - Petite tu n'as jamais rêvé d'avoir un chien ? Tous les gosses rêvent d'un chien.

    - Non. 

    - Une tortue, un poisson rouge ?

    - Non. Mais ton café je le veux bien. Merci.

     

    Halka n'eut pas le choix, Kara Ann s'en saisit délicatement mais fermement. Elle retourna dans la maison. Elle n'avait plus du tout envie de discuter avec celle qu'elle continuait à nommer en son fort intérieur Arlequin. Aussi avant de s'offrir un second café, elle passa dans sa chambre chercher sa tablette.

     

    En son absence, Kara ann s'était souvenue de ses lettres au père Noël, de Youpi. Quand Halka fut de nouveau, assise près elle, tablette et tasse en mains, elle le lui raconta. Certes elle tut l’existence de Youpi petite fée de porcelaine, mais elle évoqua les lettres au Père noël qu'elle était su que sa mère ouvrait puisque c'était toujours elle qui allait les poster. Enfin ... Qui ne devait jamais les porter. Un timbre est un timbre et un timbre est surtout un sous. Jamais personne, sur tout le temps de son enfance,  ne lui parla de son rêve fou d'avoir une oie. Cependant elle eut des livres, des vêtements pour témoigner que le père Noël ne savait pas garder les secrets.

     

    Riche de ce nouvel enseignement,  Halka alluma sa tablette. Un mur de clôture pour une oie.

     

    Kara Ann  le sourire au lèvres, de bonne humeur, laissa son souvenir venir se déposer sur l'idée de Halka. Une clôture pour un parc pour une oie. C'était  impressionnant tout ce qu'on pouvait trouver sur internet. Les gens immortalisaient leur quotidien dans les moindres détails. Et les oies élevées au rang d'animal de compagnie, google en trouvait des dizaines. Les deux femmes oublièrent leurs cafés. Elles jacassaient comme deux pies ou explosaient de rire face aux oies de youtube qui jouaient aux tyrans. D'autres plus sympathiques cacardaient posément. Certaines encore sifflaient pour impressionner les passants.  D'en voir autant n'éveilla pas le désir de Kara Ann, au contraire, elle restait sur l'idée que le passé doit demeurer dans le passé. Mais elle passait un bon moment, donc elle se laissait glisser.

     

    Halka au contraire, derrière l'image d'une femme qui s'amuse et se laisse porter par la succession des images, restait fixer sur son objectif : obtenir un consentement. L'air de rien, elle dirigeait les recherches. Il leur fallait une clôture rigide, aveugle et bien haute pour couper la pelouse, les regards, entre les deux maisons. Non pour que Solange ne joue plus l'espionne, mais pour la protéger des nuisances de l'oie, (l'argumentaire se voulait intelligent) et une seconde plus basse entre les terrasses dallées et la pelouse devenue parc de l'oie, pour que l'oie n'entre pas faire ses besoins dans la maison. Une image en emmenant justement une seconde, Kara Ann prise dans l'histoire, affirma qu'il ne fallait pas oublier  le confort de l'animal, il leur faudrait construire une petite cabane en bois.

     

    Hakla  bondit sur ses pieds tel un ressort comprimé relâché. Les mots de Kara Ann s'était tu, la tablette avait chu et le café à la tasse explosé au sol, se répandait sur les dalles. En énorme NON déchant l'instant, le vent, était sorti de ses entrailles. Les deux femmes en avaient été autant surprise l'une que l'autre. Kara Ann n'avait pas compris ce qu'elle avait bien pour dire pour susciter une telle réaction. Halka tremblait de tout son corps. Elle était figée dans une peur qui l'avait bloqué en apnée. Elle tremblait pourtant tout était arrêté en elle, sinon, assurément elle se serait excusé, elle aurait inventé n'importe quoi pour taire la réalité. Quelle réalité d'ailleurs ?

    Kara Ann lentement, sans lâcher des yeux sa colocataire statufiée, se pencha pour attrapé la tablette avant que le café ne l'atteigne, puis la posa sur l'assise de la balancelle à sa gauche. Et puis tout aussi silencieusement, calmement elle s'en était allée, laissant Halka revenir à la vie. Elle s'en était allée pour ne l'obliger à aucune explication.

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 10 Décembre 2015 à 18:46

    Ah  et bien nous on essaie de trouver des explications ... On verra avec la suite si ce sont les bonnes

    2
    Jeudi 10 Décembre 2015 à 20:04

    Au fil des chapitres tu affineras tes idées pour arriver à la bonne .

    3
    Mardi 15 Décembre 2015 à 22:29
    erato:

    J'aime l'entêtement pour arriver à sa fin ! Je ne comprends pas pourquoi cette réaction , je ne trouve pas idiot cette idée de cabane ? 

    4
    Mercredi 16 Décembre 2015 à 19:03

    Tu comprendras + tard.

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