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    Châteauneuf-du-Faou

    Lundi 16 mai 2016.

     

    Mon Adoré,

     

    Tu ne vas pas en revenir, tu ne vas pas me comprendre probablement.

     

    C'était si beau, si grand, si fort que tu sois chez moi, dans mes bras, dans mes draps que rien d'autre n'importait. Tu es en bonne santé, tu aimes m'aimer, tu me laisses t'embrasser, nos corps se sont adorés, tout le reste est sans valeur.

     

    Bien sûr je t'ai plus qu'entendu, je t'ai écouté, mais c'était tellement rien, tellement hors sujet pour moi puisque tu étais là. J'ai comme archivé l'information sans plus.

     

    Mercredi midi je reçois ta lettre de Paris qui m'annonce que tu es là le soir, je panique du frigo vide que tu vas trouver, des carreaux pas bien propres, de mes jambes mal épilées, du canapé si vieillot comparativement à celui de Paris,  bref je bloque sur ton arrivée et oublie que tu viens m'annoncer un enfer. Ensuite je te découvre sortant de voiture quand je tourne à l'angle de ma rue. Plus rien ne compte. Plus de stress. Plus de peur. Je ne suis que bonheur. Nos doigts se mêlent, nos yeux s'unissent, la félicité se diffuse en mon corps avant que tu ne l’enlaces, que nos yeux se ferment et nos bouches se découvrent. Dès le trottoir plus rien n'avait de valeur dans ce monde en dehors de toi. 

     

    J'ai vécu sur un nuage tout le temps de toi et les jours suivants. Alors le dossier archivé, je n'y ai pas pensé.

     

    Le mot que tu m'as laissé, je le regarde souvent, je ne l'ai pas ôté de la porte du frigo, mais il ne me fait pas penser à elle, encore moins à lui, je n'y vois que toi.

     

    Toutes cette semaine, j'ai revécu  en boucle nos quatre jours. Je ne te raconte pas les boulettes que j'ai faites au boulot. Incapable de redescendre sur Terre. Mon grand patron Monsieur Bugeaud m'a même convoquée dans son bureau pour me demander ce qui n'allait pas. L'unique réponse possible était "je suis amoureuse, éperdument amoureuse". Je me suis contentée de lui demander pardon. Et j'ai continué à faire du grand n'importe quoi.

     

    Je me fous d'elle, je me fous de lui. Je me fous des milliards d'humains sur Terre, je n'aime que toi.

     

    Et puis hier matin je me suis lavée les cheveux. La  fois d'avant, j'avais songé  à tes doigts enlevant mes épingles, à tes mains  éparpillant mes cheveux sur mes seins nus, mais là il y a eu comme une cassure, une révélation. Mon corps ne m'a plus porté, je suis tombée à genoux devant la douche, et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. L'archive n'en était plus une, j'étais en son centre. En son gouffre. Je suis heureuse de n'avoir pas réagi quand tu me l'as raconté. Je t'ai évité un spectacle hideux. Je ne sais combien de temps j'ai pleuré, chialé, je ne sais pas, mais je t'affirme que le temps a duré.

     

    Non je ne sais pas combien de temps je suis restée  en larmes sur le sol de la salle d'eau, je sais juste que l'eau dans mes cheveux étaient devenues froides, que le tapis comme le haut de mon gilet de costume étaient détrempés. Ce sont les tremblements de froid qui m'ont sortie de mon océan de larmes, qui m'ont convaincue qu'il fallait me bouger, réagir, ne plus laisser libre court à ma dérive. Alors ce fut comme si mes cheveux étaient devenus racines, qu'ils m'attachaient au sol, comme si ma tête ne parvenait plus à se redresser tant leur poids la condamnait à demeurer inclinée. En me lisant Mon Adoré tu vas me juger excessive pourtant je ne fais que te résumer l'exact courant de sensations qui m'a  traversé.

     

    Ce fut comme si il n'y avait qu'un recourt possible. J'ai pris une paire de ciseaux et je les ai coupé. Comme ça la tête penchée, je les ai coupé au dessus de mes yeux. Il n'y avait ni colère, rage ou désespoir, il n'y avait qu'un désir de délivrance. Oui de la délivrance. Comme une crasse sur la peau que l'on veut s'arracher, comme une corde qui étrangle qu'il faut couper pour respirer. J'ai taillé, cisaillé, mèche par mèche. Je ne me suis pas mutilée, je me suis dégagée, mieux affranchie. Oui affranchie de leur pouvoir, de l'exigence de mes cheveux. Ils se sont retrouvés en tas au sol, comme une famille de vipères réunie dans la mort. J'ai alors pu me mettre debout. J'ai regardé une dernière fois les longues mèches inertes, emmêlées,  et je t'assure que je n'ai pas crié à l'épouvante "Mais qu'est-ce que j'ai fait", j'ai au contraire repris vie face à mon crime. Oui mes larmes étaient taries, mon souffle reprenait vie.

     

    Alors je les ai abandonné au sol, et je suis descendue  sonner à la porte de madame Tillyou.

     

    Elle a vu mon visage en larmes d'abord et puis elle a poussé un cri. Qu'avais-je fait à mes cheveux ? Déjà elle avait repris ses instincts de coiffeuse, elle me disait d'entrer, qu'elle allait m'arranger ça. Je ne lui ai rien demandé, elle a fait ce qu'elle voulait. Sous ses ciseaux mon hystérie ne s'est pas exprimée parce qu'elle était morte avec mes cheveux. Ma phobie du coiffeur est morte. 

     

    Un jour j'avais lu que les allergies venaient d'un message d'enfance. Par exemple ton voisins te donnent des coups de bâtons, et quand il frappe, son chien aboie. Et bien ton cerveau d'enfant va superposer les aboiements du chien à la douleur du bâton. Aussi chaque fois que tu entendras un chien, ton cerveau te cria "cache toi" pour te protéger du bâton. Au fil des années tu oublieras l'origine de ton mode de pensée, et il ne restera que la peur des chiens dès qu'ils aboient.

     

    Tout au long de ma vie, j'ai passé des heures à me demander que cachait ma peur irrationnelle du coiffeur. Du fond du coeur Merci Mon Adoré. Merci. Grâce à toi je le sais maintenant et donc grâce à toi je me suis libérée. Merci.

     

    J'ai donc maintenant les cheveux bien plus courts que toi. J'ai une frange aussi.

     

    J'ai perdu 2kg. Je te jure j'ai perdu 2 kg. 2 kg 185 exactement. Je n'ai pas cessé de manger depuis ton départ, c'est le poids de mes cheveux tombés.

     

    Histoire de m'amuser, j'en ai mesuré. Les plus longs de la salle de bain font 92 cm, Il faut y ajouter les cm que madame Tillyou a enlevé et aussi ceux qui me restent sur le crâne. Elle n'y a pas été de main morte comme on dit. Elle s'est faite plaisir, elle a super dégradée. Je te dis, aujourd'hui j'ai les cheveux plus courts que toi.

     

    Mes cheveux si raides bouclent, je te jure, comme sur la photo de mes cinq ans, j'ai des boucles.  Je suis méconnaissable.

     

    Remontée chez moi, 20 fois, 80 fois, 100 fois,  j'ai secoué la tête, c'est fou la légèreté, la liberté.

     

    J'ai l'impression d'avoir vécue toute ma vie la tête enserrée dans un casque. Non ce n'est pas ça, c'est l'opposé. J'ai l'impression que maintenant mon cerveau est à nu, que les os de mon crâne ont disparu.

     

    Dans l'après-midi je suis allée dehors. En théorie pour promener les filles, mais en réalité pour ma tête. Il y avait du vent. Mes cheveux dansaient dans le vent. Comme les tiens. Pour toi ce peut être agaçant mais pour moi c'est une sensation incroyable. Je te jure je sens ma tête si légère. Songe depuis 46 ans j'ai soit une tresse qui me tombe sur les fesses et qui tire ma tête en arrière, soit une tresse enroulée sur l'arrière du crâne et c'est un peu comme si j'avais une pile de livres sur la terre, ou encore, ce que tu as vu mercredi soir, une tresse qui est aplatie sur le crâne et là c'est le casque de moto.

     

    Mais le plus grand bonheur je l'ai vécu la nuit. Tu as bien vu quand tu as voulu les voir dénoués, ils étaient si longs, qu'il n'était pas possible de bouger sans tirer dessus. Pour dormir je devais les attacher puis placer la tresse au sommet du lit pour éviter qu'elle passe sous mon corps, et que je sois réveillée car je me tire les cheveux.

    Avoir les cheveux courts, mais quel bonheur. Dans la nuit tous les mouvements me sont permis.

     

    Ce matin je me suis levée avec une joie de vivre nouvelle. Je suis allée me voir dans la glace, et là je me suis dit que changée pour changée, il faut que j'aille jusqu'au bout. Alors je suis allée au supermarché que je savais ouvert malgré que l'on soit un jour férié, et j'y ai acheté une teinture noire. Quand je dis noir, pense BLACK. Adieu mon roux très foncé et mes dix milles cheveux blancs, j'ai les cheveux aussi noirs qu'une japonaise.

     

    Tu te rends compte de la métamorphose. De l'interdiction de toucher à mes cheveux, je suis passée à la fille qui coupe et teint ses cheveux. 

     

    Ce que j'avais lu est juste. Ma phobie du coiffeur comme l'aboiement du chien, parlait de la souffrance d'un moment d'enfance.

     

    Cole Mille mercis de l'avoir rencontrée, puis de ne rien m'avoir caché.

    Rien que pour cette libération je la lirai ... si elle écrit.

     

     

     Je n'ai jamais rêver d'un homme qui me dévore des yeux pour la simple raison que je ne savais pas que de tels hommes existaient. Cole Mon Adoré, tu me dévores des yeux, quand tes yeux ne sont plus des lasers, tu me dévores des yeux. C'est un pur délice. Mon changement de coiffure, j'espère, ne me fera pas perdre ce bonheur.

     

    J'ajoute. Je t'interdis de couper les tiens. Si mon corps est à toi, tes cheveux sont à moi. Tu ne les coupes pas.

     

    Je t'embrasse comme je l'ai fait face à la mer.

    TA femme.

    Ta femme libre, heureuse et amoureuse.

     

     

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  • Commentaires

    1
    Mardi 18 Octobre 2016 à 06:59

    Bien alors on en sait plus sur ce qu'il "s'est passé".. Bon on s'en doutait mais je pensais pas qu'il viendrait chez elle.

    On connait aussi une caractéristique physique de Mickaelle (cheveux, et phobie)

    On sais que la chapitre précédent, c'était une liste sur le frigo

    Il reste les mystérieux "elle" et "lui" et des zones d'ombre

    Tu ménages ton suspense

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    2
    Mardi 18 Octobre 2016 à 20:04

    J'avais dit "fin de partie" donc comme entre la partie 1 & 2 , entre la partie 2 & 3 il y a une rencontre.

    Cole l'a pourtant écrit + d'une fois : il ne ment jamais.

    Il a dit qu'il irait donc il y va.

     

    Je pensais que toi tu avais compris. Alors tu vas devoir attendre quelques lettres.

    3
    Mercredi 19 Octobre 2016 à 08:41

    Petite idée mais j'ai des doutes alors j'attends

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