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     Châteauneuf-du-Faou

    Le mardi 13 octobre 15.

     

    Colerige Alesh,

     

    Avant de poursuivre l'histoire de mon pitoyable mariage, j'ai des excuses à formuler.

     

    Tu m'avais répondu à la question "A qui est l'appartement parisien ?" Qu'il était à moi. Je l'avais mal pris, j'avais (à tord, je le sais maintenant) cru que tu m'avais écrit une débilité pour me faire comprendre que je n'avais pas à te le demander. Aujourd'hui grâce à un rêve j'ai compris ta délicatesse. Et je suis vraiment désolée de ne pas avoir été à la hauteur de toi.

     

    Mon rêve comme tous rêves est absurde. Je récupère du terreau /cendre entre mes poupées calcinées (je crois d'avoir dit que mon père avait brûlé tous mes jouets de petite fille, suite à la mort de mon frère) et comme il pleut vraiment beaucoup, je finis par abandonner mes pots de fleurs pour rentrer dans la maison. En fait de maison c'est un très très long couloir sans fenêtre avec sur sa gauche des livres à n'en plus finir.

     

    Une fois réveillée j'ai réalisé que ce couloir je le connaissais, que c'était le tien, celui de Paris. J'ai ainsi, alors, compris ta délicatesse. Mes neurones ou je ne sais quoi en moi qui dirige les rêves ont fait comme toi, ils m'ont attribuée ce qui t'appartient pour que je m'y sente bien.

     

    Histoire de sourire un peu, je dois avouer que la partie de moi qui rêve est plus intelligente que moi, car dans l'appartement pas une fois je n'ai songé qu'une bibliothèque avait sa place dans le couloir, pourtant lectrice comme je le suis ... Mon créateur de rêve a raison, ce couloir semble n'avoir été construit  que pour ça. Il est sombre et si large. Les livres n'y auraient ni lune ni soleil. Le lieu parfait pour eux. A la louche on doit pouvoir en ranger au moins trois milles. Trois milles livres chez soi ! Oh le paradis !

     

    Dans ton bureau tu as fait entrer un billard et une table d'échec, et bien moi, je vivrais au milieu des livres si j'avais ta richesse. Le pied, songe un peu. Tu ouvres la porte d'entrée, et là devant toi, une ligne de livres qui te conduit à la cuisine. Le pied. Je te jure dans mon rêve l'effet est grandiose.

     

    Enfin tu ne lis peut-être pas ?

     

    Il y a une bibliothèque dans ton bureau, mais ce ne sont peut-être que des ouvrages professionnels ? J'ai osé regarder un peu les tranches des livres mais c'était écrit en russe. 

     

    Des ouvrages professionnels.

    Je ne veux pas t'insulter, mais je ne sais pas pourquoi enfin si je sais, à cause du hameau 100% isolé et de la richesse de Paris, je t'imagine sans emploi. Le vieux Welch ne me semble pas très délicat, pour le peu que tu m'en as parlé mais je l'imagine bien t'avoir coucher sur son testament, et que tu vis librement grâce à ses dollars. Si tel n'est pas le cas, ta prochaine lettre va être orageuse.

     

     

    Bref passons. Tout cela pour te dire que grâce à un rêve qui en vaut bien d'autres, j'ai réalisé que j'avais pris ta délicatesse pour du rejet. Je te présente toutes mes excuses. Je sais c'est un peu tard, mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais.

     

     

    Donc revenons et finissons le sujet de mon délicieux mariage.

     

    Je suis donc dans ma chambre, complètement paniquée par l'avenir qui s'ouvre devant moi : SDF. Oui SDF. Sans Domicile Fixe. J'ai 18 ans depuis quelques heures, zéro compte bancaire et 30 ou 40 francs dans mon porte-monnaie, moins même peut-être. Je n'ai que  une presque première année de BT de secrétariat. Je suis sans famille, sans ami(e). Ma vie c'est 90% de livres et 10% de tissus. Donc mon avenir sans la cantinière ne peut qu'être SDF.

     

    Je crois que je me suis trompée dans ma lettre passée, je crois avoir dit que j'étais en première année de BTS non j'étais en première année de BT soit en bac technique. Le niveau au dessous.

     

     

    Je suis là dans ma chambre en panique totale de n'avoir rien ni personne pour m'empêcher de devenir SDF quand dans ma tête commence un disque rayé avec un unique mot pour texte : LIONEL.

     

    Oui en effet dans ma vie il y a un mec fou de moi depuis treize ans : Lionel. Un stick de colle géant. Une verrue. Une horreur. Mais il est là.

     

    Donc si tu mets Lionel sur un plateau de balance et SDF sur l'autre, il n'y a pas à sortir la loupe, Lionel fait 80kg de plus.

     

    Sans perdre une seconde, je quitte ma torpeur et file chez ses parents très très déterminée à ne pas devenir SDF. Quoique cela m'en coûte ou coûtera. Jamais encore de ma vie je n'avais du être aussi déterminée. Et je ne l'ai probablement plus jamais été autant.

     

    Lionel Kervelou et le fils de Evelyne et Jean Claude Kervelou les garagistes de Panazol, la commune de la cantinière et de ma petite école où elle travaille. Evelyne est la secrétaire, et celle qui serre l'essence. Lionel est leur fils unique, celui qui reprendra le garage quand son père partira en retraire comme Jean Claude a repris après son père Louis. Le pépé tout le monde le connait, il rode autour du garage comme un vieux chien fragile sur ses pattes, qui ne traverse plus le trottoir que pour aller uriner sur le mur d'en face. Non non je ne fais pas dans l'humour ce soir Cole, je me rappelle juste ce qui était raconté. Maintenant est-ce qu'il allait réellement uriner sur le mur d'en face ? Je ne me souviens pas de l'avoir vu faire.

     

    Et tu vas rire car si aujourd'hui je me souviens de cette histoire de pipi, le soir de mes 18 ans je ne devais pas m'en souvenir car après avoir sonné à la porte, que le père m'ait ouvert, je suis allée attendre Lionel sur le trottoir d'en face, le long du mur.

     

    Je ne sais pas l'heure qu'il était, mais les lampadaires n'étaient pas éteints.

     

    Lionel est sorti. Il était tout timide, mal-à-l'aise, tellement il n'en revenait pas de me voir, que moi la sauvage je l'ai fait demander. Moi je n'étais pas timide, j'étais super déterminée à ne pas devenir SDF. Là oui, je ne fus qu'une pure manipulatrice, je te le concède Cole. Je savais ce que je voulais et rien n'aurait pu m'empêcher de l'obtenir.

     

    Sans même un bonjour, une formule de politesse, je lui rappelle que j'épouserai l'homme qui a une fuego, comme il en avait une, maintenant il devait m'épouser. Question : On se marie quand ? Aujourd'hui j'ai eu mes 18 ans, donc on peut se marier dès demain. En mai cela m'allait aussi, mais il était hors de question qu'il me fasse attendre jusque Août ou noël. 

     

    Plus d'un mec m'aurait ri au nez ou aurait fui en courant, lui, il a juste mis quelques secondes à accuser le choc mais il m'a pris au mot. Il a vu que j'étais super déterminée, super sérieuse, donc il le fut aussi. Il y avait juste un impératif à prendre en compte :  la semaine suivante, ou celle d'après, je ne sais plus, il partait faire son service militaire à Versailles. Ce fut plus fort que moi, j'ai hurlé un énorme NON et j'ai fondu en larmes.

     

    J'allais devenir SDF. Alors je suis partie. Il ne m'étais d'aucun secours. J'allais devenir SDF. J'étais SDF dans l'avenir. Je suis partie 100% aveugle par les larmes.

     

    Mais il m'a rattrapée, et il m'a serrée dans ses bras. Ce fut la première fois de ma vie que quelqu'un me tenait dans ses bras alors que je pleurais, et crois moi, j'en ai versé des larmes enfants. A ce moment là il n'était plus le connard qui cherchait à me mettre la main aux fesses, à me tirer sur les cheveux ou à m'embrasser devant ses potes en mobylettes. A ce moment là, il était un gentil garçon qui voulait que je cesse de pleurer et qui promettait de décrocher la lune pour que je retrouve le sourire. A l'instant là, c'était un môme très beau.

     

    Entre mes sanglots, je lui ai fait promettre que l'on se marierait très très vite. Il me l'a promis et nous nous sommes séparés.

     

    Le lendemain je suis allée à l'école comme une automate. Je ne me souviens de rien sauf que je l'ai vu devant la grille de sortie, appuyé contre la carrosserie de sa fuego rouge. Il m'a confirmé qu'il allait m'épouser. Il devait se sentir force, propriétaire de moi ou quelque chose d'aussi nourriture d'orgueil alors devant tout le monde il m'a embrassée sur la bouche. Il a écrasé sa bouche sans lèvre sur ma bouche et il a appuyé, appuyé. J'ai reculé la tête, il ne décollait pas, me suivait dans mon mouvement. L'image devait être pathétique à regarder. Aujourd'hui la vidéo aurait fait fureur sur les réseaux sociaux.

     

    J'étais très mal-vue à l'école car presque première de la classe et toujours le nez dans un bouquin. En récréation je ne parlais à personne, je m'isolais avec un livre. A bien n'y réfléchir je n'étais pas mal-vue j'étais inconnue de tous.

     

    Lionel était un type assez moche, disons pour être polie, totalement quelconque mais qui roulait des mécaniques dans des vêtements qui se voulaient signe distinctif de colère. Tu vois cela donnait un blouson de jeans avec des chaînes, des colliers de chien à clous et des pin's ACDC. Le pantalon en jeans aussi avait été savamment déchiré et Lionel y avait dessiné au bic dessus des symboles de je ne sais même pas quoi. Moi déjà je créais mes vêtements et donc déjà j'avais une belle petite collection de gilets de costume et de manteaux vestes très cintrés. Je ne porte jamais de T-shirt l'été, mon t-shirt c'est le gilet de costume.

     

    Une demoiselle trop chic hors mode et un révolutionnaire sans le sou. Pathétique je te dis.

     

    Ce baiser trop appuyé, je l'ai détesté, mais moins que les deux ou trois  qu'il avait réussi  à me voler après  m'avoir coincer devant ses potes.

     

    Je suis rentrée ce soir là chez ma tutrice, la cantinière, dans sa fuego.

     

    Sur les jours qui ont suivi j'ai raconté à la directrice de mon école, Madame Martiat, mon désir de finir mon BT et ma situation de future SDF. Elle en a parlé à tous mes profs, puis elle m'a dit que oui je serais en seconde année, que la cantine serait gratuite pour moi, que je pourrais même prendre des restes pour le week-end, les soirs et qu'elle se chargerait de me trouver une bourse pour que ma scolarité soit 100% gratuite. J'avoue que cela m'a un peu fait sourire quand elle m'a dit que je pourrais avoir de la nourriture de la cantine, car c'était toute ma vie. La cantinière, ma tutrice nous a toujours nourries sur le budget de la petite école où elle travaille. Elle nous cuisait des gâteaux pour le week-end dans le four de l'école, et bien-sur tous les ingrédients sortaient des placards de l'école. Donc mon avenir alimentaire allait ressembler à mon passé.

     

    Mon prof d'anglais, un  anglais assez âgé, le prof que j'aimais le moins, m'a  trouvé un emploi de secrétaire dans une usine de prothèses dentaires. J'y ai travaillé sur les 2 mois d'été, et j'y ai aussi travaillé les mercredis après midi, sur les mois qui ont suivi. Je faisais 5h/semaine chez eux. 

     

    Pour simplifier, disons que Limoges est une ville en forme de V. Panazol est  à droite de la patte droite et Chaptelat la commune de l'usine est au centre du V. Mon école  se situait quant-à elle sur le sommet de la patte droite, donc j'ai choisi de loger dans une chambre chez un habitant de Chaptelat. J'avais alors moins loin pour me rendre à l'école que quand j'habitais chez la cantinière. Je ne sais même plus comment j'ai trouvé la chambre. Je crois que c'était une petite annonce à la boulangerie de Chaptelat, mais je ne l'affirmerai pas.

     

    Aussi étrange que cela puisse paraitre je ne me souviens pas vraiment des mois de mai et juin. La cantinière et moi devions raser les murs chaque fois que nous devions nous croiser dans sa maison pour nous parler encore moins que le très peu de notre habitude. Je ne me souviens pas qu'elle m'est rabâchée de partir. Je sais par contre, que je ne lui ai fait aucune confidence. Elle voyait Lionel se garer devant la maison pour me déposer ou me prendre, mais jamais elle n'en sut plus. A moins que Evelyne soit entrée en contact avec elle ou que les commérages aient créé une fable lui soit parvenue.

     

    Je me souviens par contre très bien du jour de mon départ. La cantinière avec son quintal et demi bloquait la porte de ma chambre tout le temps que j'entassais mes vêtements dans les cartons. Il n'aurait surtout pas fallu que je lui vole quelque chose. Je n'ai pris aucun objet du passé, style  une photo de classe, la plante verte de ma chambre, le cadre construit à l'école dans lequel j'avais glissé la photo d'un petit mouton. Je lui en ai raconté des choses à celui-là. Avec ma première paie je me suis offert un de ses frères. Enfin non ce n'est pas vrai, puisque je te raconte ma vérité, j'y vais à fond, Cole je suis une voleuse. Dans un supermarché, j'ai ouvert une boite de playmobil et j'en ai volé un mouton plus exactement un agneau avec la tête marron qui s'articule au niveau du cou. Mon petit mouton a 27 ans... Il passe sa retraite dans ma voiture, dans le cendrier que j'utilise comme vide-poche. Voilà Colerige Alesh tu sais tout. Ah non tu ne sais pas pourquoi il a atterri dans la voiture, alors je vais te le dire. Mon petit mouton sans nom est mon porte bonheur et être en voiture c'est bien plus dangereux que d'être dans l'appartement tu le conviendras comme moi, donc il passe son temps dans la voiture. Là maintenant tu sais vraiment tout Cole.

     

    Bon ne revenons pas à nos moutons mais à mon mariage.

     

    Je n'ai pris que mes affaires scolaires et mes vêtements. Mes brosses à cheveux et à dents probablement, mais certainement ni un savon ni un shampoing. Pour ce qui était du linge de toilette, des torchons pour la vaisselle, je me souviens avoir du en acheter. Pas voler, acheter. Bon ok pas acheté avec mes sous... C'est Lionel qui a payé.  La cantinière ne m'a rien donnée pour démarrer dans la vie, pour que je me souvienne d'elle.

     

    Nous n'avons pas échangé un mot, un regard, un geste. Lionel ne m'attendait pas dans la fuego, sur le trottoir. Il était déjà à l'armée ce jour là. C'est Thierry son pote qui était venu me chercher.

     

    Je suis partie sans un adieu sans un merci. Elle ne m'a dit ni "bon débarras" ni "laisse moi ton adresse" ni même " je te souhaite tout le malheur du monde".

    Nous ne nous sommes plus jamais revues, ce fut un point final.

     

    Dire que je n'ai jamais pensé à elle depuis serait un grossier mensonge. Il m'arrive encore de penser à la cantinière. En vérité c'est à moi que je pense chaque fois que je songe à elle. Parce que tu vois, vieillir c'est avoir son age, aussi je fais des comparaisons.  Par exemple quand j'ai acheté mon 180, j'ai pensé : elle n'a jamais eu aucun animal, moi j'ai mon 180 maintenant. C'est un peu comme si j'avais besoin de me prouver que je suis mieux qu'elle. En même temps c'est facile puisqu'elle n'avait aucune vie en dehors de son boulot. Elle n'a jamais fait quelque chose pour le plaisir.  Je compare aussi nos logements. Le mien est beaucoup plus chic, elle n'a aucun sens de la décoration. Je compare aussi nos vies sociales. Anniversaire, noël, premier de l'an, elle n'avait que moi alors que moi j'ai des amis. tu vas peut-être me conseiller d'aller chez un spy puisque je ne parviens pas vraiment à cesser de mettre nos existences en parallèle ou en superposition, tant dis, je suis ainsi. Et puis tu as bien les lettres de ton père ... N'avons-nous pas tous besoin d'un garde-fou, d'une espèce de boussole ? Oui je compare ma vie à celle de la cantinière. Chaque fois j'en conclus que je suis mieux qu'elle et cela me fait du bien. Franchement j'aime mieux comparer ma maison à la sienne que de me demander comment est celle de mes parents. Enfin bon, une nouvelle fois je suis encore partie très loin du sujet du mariage. C'est fou comme on dirait que je ne veux pas m'en souvenir.

     

    Il avait changé Lionel. Loin de ses copains il n'était pas aussi ridicule, il était même  gentil. Suite au premier baiser sur la bouche à la sortie de l'école, il ne m'a plus  jamais touchée. Quand je dis touchée je veux dire tout, comprends Cole qu'il ne me prenait pas la main, qu'il ne me posait pas le bras sur les épaules... Pour moi qui ne l'aimais pas, j'ai vraiment apprécié. Si j'en avais été amoureuse je l'aurais jugé froid, distant et je le lui aurais reproché, mais au vu de la situation il répondait à toutes mes attentes. J'avoue que sa gentillesse ourlée de sa retenue m'ont fait énormément de bien. Je me suis même mise à rêver d'un bonheur dans notre avenir. Quelle naïveté !

     

    Naïveté d'une semaine ou de deux, car ensuite il est parti à Versailles pour son service militaire. De mon côté à Limoges, j'ai fini ma première année de BT puis j'ai travaillé à la petite usine de prothèses dentaires sans pour autant me sentir seule. La solitude je ne peux pas  dire en connaitre sa souffrance. J'aime la paix et le silence qu'elle offre. Je n'avais pas peur non plus. Vivre chez des inconnus, dans une chambre de leur maison ou vivre chez la cantinière ne présente qu'une différence de provenance du financement. Avant mes parents payaient et ensuite ce fut moi. Enfin ... Lionel.

     

    Avant de partir au service nous avions ouvert un compte à nos deux noms. Il gagnait de l'argent depuis des années, depuis qu'il était apprenti chez son père. Moi je n'ai jamais eu d'argent de poche. Parfois elle me donnait un billet trop gros pour acheter quelque chose et je pouvais en garder la monnaie. Mais cela ne constituait pas à proprement parlé d'argent de poche. J'ai payé tous les loyers avec l'argent du compte commun, compte sur lequel je n'ai jamais déposé un centime. Je me suis ouvert un compte pour déposer mes salaires. Attention Colerige Alesh, ne m'insulte pas. Ce compte je l'ai ouvert devant Lionel le jour où le compte commun a été ouvert. C'est lui qui a voulu que j'ai le mien comme il avait le sien. Je piochais dans le compte commun pour le loyer, juste pour le loyer. Jamais je ne me serais permise d'aller au cinéma avec son argent , pas plus je ne me serais achetée un bijou ou un livre. Oui j'ai profité de lui, oui j'ai utilisé son argent mais j'en ai payé le prix si je puis dire, enfin écrire. C'est très moche de commencer une vie sexuelle de la sorte.

     

    Notre mariage a eu lieu à Panazol le samedi 6 août 1983. Il n'a pas plu ce jour là mais il n'a pas fait vraiment beau non plus. J'avais voulu m'offrir un petit chapeau pour l'occasion, et bien crois moi, il m'est resté sur la tête comme ma veste à manches longues n'a jamais rejoint le dossier d'une chaise.

     

    Je portais une petite robe blanche de mousseline  qui descendait jusque sous le genou, avec de la dentelle en corsage et de fines et doubles bretelles qui descendaient très bas dans mon dos. Elle était un peu transparente cette robe. Personne ne l'a su, personne n'a vu mon dos nu puisque j'ai gardé ma veste toute la journée, je l'ai même gardée boutonnée. Cette veste je lui ai déjà fait deux ou trois sosies. J'adore cette coupe. Pour l'imaginer c'est très simple, songe à une veste queue de pie d'homme et agrémente la d'une double rangé de boutons argentés. Comme le chapeau elle était bleu roi.

     

    Lionel avait fait un énorme effort, il avait passé un jeans neuf donc sans entailles et hiéroglyphes. Il avait fait des folies, il s'était acheté une paire de bottes de cowboy qu'il portait au dessus de ses bas de pantalon. T'as le look coco, coco t'a le look !

     

    Je lui avais acheté une chemise blanche à plastron avec un col cassé. Il a fait l'effort de la mettre.

     

    Comme nous ne nous sommes mariés qu'à la mairie nous n'avons jamais eu d'alliance. Par la suite il m'a offert quelques bracelets et colliers douteux mais jamais de bagues.

     

    Thierry son pote qui fut mon témoin, est arrivé en costume cravate, très chic. Le maire a cru que c'était lui le futur marié.

     

    La mère de Lionel ne s'était pas déplacée, elle était restée au garage qui n'avait pas fermé pour l'occasion. Elle savait que ce mariage n'était qu'une mascarade. Je crois qu'elle a espéré jusqu'à la dernière minute que son fils se réveille. Très franchement si j'ai toujours su pourquoi je l'épousais, j'ai toujours ignoré quelle fut sa motivation. Bien sur je ne lui ai jamais raconté l'histoire de mon frère, l'argent versé par mes parents à la cantinière et mon avenir de SDF. Si j'avais creusé sur ses motivations, il aurait peut-être voulu connaitre les miennes. Comme je n'avais aucune envie d’exhiber ma misère, je ne l'ai jamais invité à me raconter ses états d'âme. Lionel était assez taiseux avec moi. Nous n'avons jamais discuter de rien. Même au moment du divorce il n'y eu aucun mot échangé. Si nous nous retrouvions en tête à tête, il regardait la télévision et je cousais à la main et rêvant au jour où je pourrai avoir une machine à coudre, comme avant.

     

    Le père de Lionel était là. Il avait sorti le costume qu'il portait pour les enterrements. Comme il me l'a confié, être commerçant induisait quelques obligations. Les enterrements en faisaient partie. Majoritairement c'était madame qui s'y collait mais il y avait des fois où il ne pouvait pas se défiler. Alors sa femme avait investi dans un costume sobre. Ce n'était pas le genre d'homme à prendre du poids en même temps que des années, aussi l'investissement allait être rentabilisé à terme.

     

    Évidemment je n'avais pas invité la cantinière mais Panazol est petit, elle n'avait pas été sans le savoir. Les bans avaient été publiés une quinzaine de jours avant. Je ne te cacherai pas avoir autant espéré que craint sa venue.

     

    Avec les 2 témoins  Bruno et Thierry, les deux potes de Lionel, nous étions cinq. Une vraie misère. Je ne sais plus lequel mais l'un des deux devait arriver avec sa copine. Nous ne l'avons jamais aperçue. Suite aux formalités en mairie nous avons déjeuné assez rapidement dans un restaurant. Je crois me souvenir que c'est le père qui a payé la note. On va dire que ce fut là son cadeau de mariage. Mon mariage fut sans alliance, sans fleur, sans cadeau, et surtout sans enthousiasme tu l'avais deviné. Ensuite Jean Claude est parti reprendre son travail. Les copains lui ont emboité le pas. Alors Lionel et moi nous nous sommes retrouvés seuls et ne sachant quoi faire, nous sommes allés chez nous, dans la chambre que Lionel n'avait pas encore découvert. Il débutait sa première permission. La veille il avait dormi chez ses parents.

     

    A chaque permission, ensuite,  il passera sa première nuit chez ses parents suite à une sortie très alcoolisée entre potes.

     

    Dès dans la chambre, il s'est jeté sur le lit. Je me suis dit " voilà, je vais devoir y passer". Mais non, il a allumé la télévision et il a regardé l'agence tous risques. Cole tu ne dois pas connaitre Barracuda, Looping, futé et je ne sais plus le nom du quatrième de la série TV. Crois moi tu ne perds rien, c'était d'un stupide, mais Lionel était fan.

     

    Tu sais j'en ai lu et relu des témoignages de filles violées par leur père, oncle, grand-père, copain de leur mec ou leur mec lui-même. Je sais donc ce que sont les viols. Je sais les ecchymoses, les taisons de bouteilles enfoncés dans le vagin, les coups de cuter, les déchirures vaginales, oh oui je sais tout ça. Donc je ne peux pas dire que Lionel m'est violée, pourtant nous n'avons jamais fait l'amour, nous n'avons vécu que des viols consentis. Je vivais le calvaire de beaucoup de femmes mariées. Tant et tant subissent des relations sexuelles sans jamais ressentir le début d'un mini orgasme. Que de tristesse !

     

    Il passait ses semaines  à l'armée. Sur ce temps nous n'avions aucun contact. Pas une lettre ou une simple carte postal. Jamais un coup de téléphone. Et puis un jour il prenait le train et descendait à Limoges, enfin Panazol. Sa mère récupérait son linge, Lionel retrouvait sa fuego pour aller rejoindre ses potes et je n'en savais rien. Le soir il était ivre, il allait roupiller chez ses parents et le lendemain il débarquait sans me prévenir. Je le trouvait donc avachi sur le lit. En fait je savais qu'il était là avant de le voir, je voyais la fuego et j'entendais la télévision.

     

    En règne général il commençait par me dire que mon frigo était vide, qu'il n'y avait rien à manger. Je traduis : Je n'avais ni gâteaux secs ni cacahouètes voir bonbons ou barres chocolatées. Mes frigo et placards étaient pire que ceux de sa mère. Une fois cette formalité rappelée, il se replongeait dans sa série TV et je pouvais vaquer à mes occupations. Parfois je m'installais à son côté, je regardais la TV aussi. Jamais alors l'envie de poser sa main dans mon dos, sur ma cuisse, de toucher ma peau ne le déconcentrait de son film, sa série. Depuis qu'il m'avait, je ne l'intéressais plus.

     

    Je finissais toujours par nous préparer un repas et alors il montait le son pour couvrir les bruits que je faisais. Rien de plus, rien de moins. Ensuite "Monsieur Pacha est servi". Je mangeais seule à table, il préférait rester sur le lit à cause de la TV. Alors toujours ensuite arrivait le moment où il éteignait, ou il se déshabillait et entrait nu dans mon lit. Fatalement je l'y rejoignais. Comment aurais-je pu avoir envie de lui ? Il n'avait jamais levé les yeux sur moi, il ne m'avait pas adressé un mot. Dès que nos deux corps se touchaient son sexe entrait en érection et chaque cellule de mon corps se fermait. Lionel n'était pas ce que l'on nomme une brute. Puisque j'étais un glaçon il commençait par se masturber un peu  et ensuite il éjaculait en moi. Et dodo.

     

    Toujours la même position, aucune créativité. Zéro caresse, pas même un baiser. Je ne te parle même pas de mot d'amour.

     

    Tu ne vas peut-être pas me croire, Cole, mais pas une fois il n'a cherché ma bouche. Lionel ne m'a jamais embrassée. Il ne sait rien de l'éloquence de ma langue. Bien sûr j'ai eu des amants depuis lui, j'ai tout de même cinquante ans aujourd'hui. Ils n'ont pas tous été grandiose, mais aucun n'a oublié ma bouche ou mes seins. Lionel ne s'intéressait qu'à sa petite éjaculation. Je pouvais être habillée en entrant dans le lit, du moment que je n'avais pas de culotte. 

     

    Viol consenti. Misère absolue.

     

    Je ne doute pas qu'il traite mieux sa femme actuelle que moi, déjà car elle le traite mieux que je ne le traitais, mais je suis persuadée qu'il ne l'embrasse pas quand il lui fait l'amour. Il fait l'amour comme les prostituées, il n'embrasse pas. Un jour j'ai lu que nous recevons par le sexe, les mains et que nous donnons par la bouche. J'ai lu ça dans un essai quelconque. A cause de Lionel j'y ai cru. Oui Lionel m'a fait réaliser que la bouche est plus intime que le sexe. Une langue a bien plus de générosité qu'une paume, qu'un phallus ou qu'un vagin. Et pourtant c'est elle aussi qui a le plus de gourmandise me semble-t-il. Je ne sais pas. Le livre disait ça.

     

    Quand je t'écris Cole, je file à la vitesse de mon bic et je ne me relis pas, sauf quand je te quitte quelques minutes et que je reviens à toi. Là je relis le dernier passage pour que la continuité soit parfaite. Pour la première fois depuis le début de notre correspondance, je viens de relire les derniers paragraphes trois ou quatre fois. Une partie de moi hurle "Mais tu as vu ce que tu viens d'écrire ! Mais tu te rends compte que Cole va lire ça ! " Oui je m'en rends contre, je me rends surtout compte comme je me sens libre avec toi. Et c'est vraiment étrange. Pourquoi je peux évoquer ma sexualité sans honte ou désir de provocation et que je ne parviens pas à t'écrire mon dit secret ? Pourquoi ? Comment puis-je me sentir si libre face à toi et si bloquée à la fois ? Je ne me comprends pas moi-même.

     

    J'ai eu 19 ans.

     

    Lionel a fini son armée mais il y avait tellement de tension entre lui et ses parents à cause du mariage qu'il a signé pour deux années à Toulon comme mécanicien sur les bateaux militaires.

     

    J'ai obtenu mon BT avec mention bien. Et j'ai retravaillé à taux plein sur l'été à l'usine de prothèses dentaires.

     

    Comme la directrice m'avait dit que cela aurait été dommage que je ne reste pas pour faire mon BTS, je suis restée, et ma vie a continué sans changement.

     

    La marine c'est bien mieux que l'armée de terre,  je  voyais Lionel beaucoup moins souvent. Ses permissions étaient moins nombreuses. De plus, ses parents avaient très mal pris qu'il ne revienne pas travailler au garage familial, aussi pour certaines permissions il restait sur la région de Toulon. Je subissais moins de viols consentis et cela m'allait très bien.

     

    Peu de temps après le nouvel an 86,  j'ai reçu une lettre de lui. La première et la dernière. J'ai songé qu'il avait eu la délicatesse de me poster une carte de vœux. Chose que je n'avais pas faite. Tu ne vas peut-être pas me croire, mais je n'ai jamais eu l'adresse de sa caserne à Versailles ou à Toulon. Je n'y étais pas du tout, il m'y apprenait qu'il était amoureux d'une toulonnaise et qu'il voulait divorcer. Il m'expliquait la démarche à suivre, démarche qu'il tenait d'un avocat qu'il avait consulté.

     

    J'ai fait tout ce qu'il voulait.

     

    Le jour de mes 18 ans je suis allée voir Lionel Kervelou pour lui demander de m'épouser.  Nous nous sommes mariés le 6 août suivant. Le 22 avril 86 jour de mes 21 ans j'étais divorcée. J'ai divorcé un 6 aussi. Mariée le 6 août, divorcée le 6 avril.

     

    J'ai choisi de garder son nom. Je n'ai jamais eu d'amour pour Lionel mais je lui dois bien plus que je ne dois à mon père qui a payé pour me garder éloignée de lui. Je préfère porter le nom de Lionel que celui d'un homme dont j'ignore le prénom.

     

    Sur les années de mon mariage, jamais je n'ai réalisé que je m'étais traitée comme ma mère l'avait fait, et pourtant, je me suis vendue comme elle m'avait vendue. Je n'ai jamais eu l'idée que je pourrai  m'en sortir seule, aussi je me suis donnée à Lionel. Oui je me suis traitée comme ma mère m'a traitée. Je dis ma mère non mon père car l'image des poupées brûlées dans les cendres de ma cabane c'est comme un point final de lui à moi. Alors que ma mère c'est elle qui m'a montée dans la voiture donc d'une certaine façon c'est elle aussi qui pouvait n'en faire descendre, soit venir me chercher chez la cantinière.

     

    Voilà tu sais maintenant tout de mon délicieux mariage.

     

    Puisque nous sommes dans les confidences, Cole,  j'aimerai qu'un jour tu prennes le temps de me raconter ce qu'il y a derrière l'accusation d'agression d'un enfant du village. Que pensent-ils que tu aies fait pour qu'ils montent furieux chez toi ?  Tu ne me dois rien Cole. Je te dis juste que j'aimerai le savoir. Non je ne suis pas curieuse, je suis pleine d'intérêt pour toi, c'est différent.

     

    Je devrais faire comme toi Cole, noter la date de la lettre à sa fin non en son début car si je l'ai commencé  mardi, nous sommes jeudi à présent.

     

    J'espère que ces trois longues lettres  t'aideront à oublier mon absence de mot sur septembre. Pardon vraiment. Je voulais juste réussi ce qu'il m'est impossible, mettre en mots ce que tu nommes mon secret et que j'appelle plus volontiers "mon moteur" ou "mon guide".

     

    Après un passage de sexualité, je ne peux conclure cette lettre d'un "je t'embrasse", il pourrait y avoir ambiguïté. Alors je conclus d'un " A bientôt Cole".

     

    Mickaelle.

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  • Commentaires

    1
    Samedi 20 Août 2016 à 09:27

    Très intéressant ce troisième volet. Beaucoup de choses s'éclairent, difficile de la voir en manipulatrice après ça. Pas mal de passages ont retenu mon attention, notamment la raison pour laquelle Mickaelle garde le nom de son ex-mari. 

    Et maintenant Cole ?

    2
    Samedi 20 Août 2016 à 12:58

    Exactement, et maintenant Cole, j'ouvre mon ordi pour ça.

    J'en ai passé du temps sur cette lettre qui est devenue 3, mais elle est faite.

    La semaine prochaine je suis en vacances, je vais donc avoir plus de temps. Mais je ne rêve pas de parvenir à finir la première partie du livre. Il doit rester C + M + M +C et M. Ce doit être faisable. Mais... Il ne faut pas que Mickaelle  recommence  avec des lettres a n'en plus finir.

    Aller je vais voir Cole et lui donner la parole.

      • Samedi 20 Août 2016 à 16:48

        J'imagine en effet que ça a dû te prendre du temps. Mais la personnalité de "M" est maintenant mieux cernée. D'ailleurs je suis retourné voir "il brûle" par rapport à certains points.

    3
    Samedi 20 Août 2016 à 22:17

    Au fond de moi je me demande encore si il faut qu'elle sache pour Samuel, et puis je me dis qu'un jour je pourrai avoir un roman qui réuni des personnages d'anciens textes, tu vois style retrouver Halka et Mickaelle ensemble en 2025. Mais il manque le livre 1 "Peut-être" que j'ai effacé du blog et que je n'ai plus qu'en version papier, car tout commence avec lui. Le personnage principale était Bénédicte l'amie de Kara-Ann.

    Et d'ailleurs as-tu déjà une idée de la personne que l'on retrouvera dans le roman suivant ?

    4
    Samedi 20 Août 2016 à 23:30

    Je pense que tu dois te laisser guider par ce que tu ressens et par ta propre imagination, sans te poser plus de questions que nécessaire.

    Le roman suivant ? aucune idée, ou alors du côté de Cole je dirais

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    5
    Dimanche 21 Août 2016 à 16:39

    Raté, le prochain c'est Maxime que l'on retrouvera.

      • Dimanche 21 Août 2016 à 17:51

        Tiens, c'est marrant, je la voyais assez secondaire

    6
    Dimanche 21 Août 2016 à 21:14

    Justement secondaire dans Tchig mais personnage important dans Mon Fils.

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