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    Châteauneuf-du-Faou

    Lundi 12 Octobre 15.

     

    Cole,

     

    Alors que ma lettre d'hier roule vers toi, me revoilà. Chose promise chose due. Ce n'est pas une corvée, c'est du bonheur.

     

     

    J'ai installé mon bloc, et mon verre à ma table de couture. Avant de m'asseoir,  j'ai jeté un œil par le vélux et j'ai vu Stoyan dans le jardin à l'endroit où doit être creusé le bassin. La tournure que prennent les choses me désolent, aussi, avant d'être toute à toi, je suis descendue le voir.

     

    Tu me vois Cole comme une personne qui manipule les gens. Jamais on ne me l'avait dit, jamais je ne m'étais imaginée ainsi, mais je finis par me dire que tu dois avoir raison et c'est affreux.

     

    Je t'ai déjà dit, il me semble, habiter au second, que Stoyan et Jérémy occupent le premier, mais je ne crois pas t'avoir parler de madame Tillyou qui loge au rez-de-chaussée et qui était l'unique propriétaire du bâtiment.

     

    A l'origine au niveau de la rue il y avait le salon de coiffure des Tillyou et sur les deux niveaux était leur logement. Suite au départ de leurs deux filles au Canada, ils ont transformé l'étage sous les combles en deux appartements, soit les deux que j'ai acheté. Il me semble d'avoir écrit que j'ai commencé par louer l'appartement de droite. Je vis au 13 rue de l'Aulne depuis début mai 1990. 25 ans ! J'avais 25 ans, le calcul est vite fait, j'y vis depuis la moitié de ma vie.

     

    A la mort de son mari, Madame Tillyou a fait le choix de fermer son salon de coiffure qui était vraiment vieillot. Elle s'est installée au rez-de-chaussée, et a fait construire  deux appartements au premier. Cela lui faisait trois appartements en plus du mien. Majoritairement ils restaient vides et quand ils étaient occupés les problèmes commençaient. Elle n'a jamais eu de chance avec ses locataires. Jusqu'à l'arrivée de Jérémy en 1996. Pourtant il avait une sale tête celui-là quand il est arrivé ! Et la maigreur ! 57 kg pour 1m76. Depuis, il a pris des rides mais pas un gramme.

     

    Souvent, elle et moi nous évoquions l'avenir, elle ne voulait pas que je parte. je lui tenais compagnie. J'étais un peu sa troisième fille, elle était un peu la grande-mère que je n'avais pas eu. Elle voulait que je la rassure, mais je suis de nature franche aussi je lui répondais que je ne savais pas. Que sait-on de son avenir à 25 ou 26 voir 27 ans ? J'avais l'espérance qu'un prince charmant viendrait m'enlever et j'étais convaincue que la Terre n'en portait aucun, en tout cas pas pour moi. J'avais été mariée, une mini lueur d'espoir d'une autre bague au doigt vivotait au fin fond de moi... Dans la vase de l'aquarium qui n'a pas de vase.

     

    Ce qui me dérangeait  dans l'idée de demeurer toujours dans mon appartement, c'était qu'il n'avait pas de  balcon. Vivre dans 49m² ne me déplaisait pas, mais pas de balcon, ça c'est dur pour une ex enfant qui a grandie dans une maison avec jardin. J'avais juste besoin d'un carré pour poser une chaise où je puisse lire au soleil, et d'un second pour étendre mon linge même si j'ai un sèche-linge maintenant.

     

    Au fil du temps l'idée d'avoir tout l'étage m'est venu, alors je la taquinais, je lui disais d'enlever la cuisine de l'un, la salle de bain de l'autre et de poser une porte au bas de l'escalier. Je voyais mon balcon parfaitement, il fallait juste couper la toiture. Pauvre Madame Tillyou, elle me souriait mais je la paniquais, surtout que je divaguais tout haut. Il faut dire que mes idées, mes dessins évoluaient. J'ai au moins déplacé la cuisine douze fois et le balcon passait d'un appartement à l'autre au grès de mes délires. Parfois je la faisais monter pour qu'elle visualise mieux mes idées. Elle ne voulait pas investir. Nous parlions de l'étage un peu comme nous aurions inventé le voyage idéal sans jamais avoir l'idée de le concrétiser.

     

    C'est Jérémy qui m'a fait passer du rêve à la réalité.

     

    Jérémy  lui a demandé de vendre. C'est fou mais pas une fois je n'avais songé à devenir propriétaire, un peu comme si seuls les couples peuvent acheter, accéder aux crédits. Jérémy, lui, voulait acheter dès le début. Quand il est arrivé dans l'immeuble, il était sans espoir d'avenir. Il venait d'affronter sa famille en lui imposant son homosexualité. Il se croyait alors avec l'homme de sa vie. Ce fut une totale catastrophe. Sa famille l'a rejeté et son amant est parti. Alors le pauvre Jérémy s'imaginait un avenir vide bien que n'ayant encore que 23 ans. Il a 8 ans de moins que moi et 12 de moins que Stoyan. Il avait son CDI. La seule ambition qui lui restait était de devenir propriétaire.

     

    Ce fut suite à un locataire furtif mais destructeur que Madame Tillyou a prit Jérémy au mot. Pauvre Madame Tillyou quand elle a vu l'état de l'appartement !!! C'est là aussi que Jérémy m'a proposé d'acheter tout l'étage. Nous nous sommes soutenus, nous avons fait les démarches ensemble. On s'entendait vraiment bien tous les trois. Je ne sais pas pourquoi je mets cette phrase au passé, c'est encore le cas. J'espère.

     

    L'année 1997 fut un peu magique. 

     

    La suite, tu la connais,  Stoyan a acheté l'appartement collé à celui de Jérémy et ils ont abattu une cloison pour unir les deux appartements.

     

    Focalisé sur les logements, moi en plus sur mon futur balcon (que j'ai - il donne coté rue et sur le coté. Oui il est en forme de L ), nous n'avons pas songé au jardin. C'est un rectangle profond de la largeur de l'immeuble.

     

    Madame Tillyou en est l'unique propriétaire, mais tout le monde peut y aller. On vit un peu comme en famille. Comprend, elle n'a plus de famille, moi je n'en ai jamais eu, Stoyan a la sienne en Bulgarie et Jérémy est interdit de séjour chez ses parents, ses frères et soeur, ses oncles et tantes car homo. Bref on est un peu comme une maman avec sa fille et ses deux fils sauf que les deux fils couchent ensemble.

     

    On se fait des repas pour parler du jardin, ce que l'on va y semer, pour savoir qui va passer la tondeuse, tu vois des choses comme ça. Quand on débarque tous les quatre au magasin vert, je te jure c'est du pur bonheur.

     

    Tu commences à voir où je veux en venir. Moi la manipulatrice.

     

    J'ai fait avec eux ce que j'ai fait avec mon patron : je les ai baratiné pour qu'ils finissent par penser comme moi, que ce serait super d'avoir un bassin avec des poissons au fond du jardin.

     

    J'ai déjà imposé Ayatt et Kaume. C'est pour ça tu vois qu'elles sont mes filles sans l'être vraiment, car elles vivent dans l'immeuble. A ma porte d'entrée comme à celle de Stoyan il y a une chatière. Je te rappelle ou t'informe si ce n'était déjà fait qu'elles sont des teckels à poils longs donc plus petites que des chats. Il y en a aussi une sur la porte qui mène au jardin. Pour aller chez Madame Tillyou elles passent par sa baie vitrée, coté jardin. Leurs laisses sont à un clou dans le couloir, contre ma porte d'entrée, comme ça si quelqu'un est parti avec elles tout le monde le sait. Tu vois on fonctionne comme ça. C'est familial.

     

    Jamais je n'avais songé que j'utilisais les gens, je pensais qu'ils étaient heureux que les filles passent du temps avec eux, mais tu as surement raison, j'utilise les gens, car oui c'est bien pratique de ne pas devoir m'occuper des filles à 100%. La preuve, j'ai pu monter à Paris comme si elles n'existaient pas. Et je n'ai pas donné un sac de croquettes aux garçons, non, il y a des années qu'ils notent croquettes sur leur liste de course comme moi. Il n'y a que les frais vétérinaires qui ne sont payés que par moi, mais souvent c'est Stoyan qui les emmène au cabinet.

     

    Plus je me regarde comme tu me vois, plus je me trouve moche.

     

    Donc pour le bassin, j'ai converti tout le monde, et maintenant je suis la seule qui n'en veut pas.

     

    Tu comprends, mes poissons je les vois tous les jours, il y a juste une vitre entre eux et moi, donc je les vois. Je sais leur style, leur préférence. Chaque poisson a une personnalité, des relations bien différenciées avec les autres. La vitre me permet de savoir tout ça. Je les connais bien mes poissons, pas un ne ressemble à un second.

     

    Si ils vont dans le bassin, je ne les verrais plus, et puis ils vont avoir froid. Ils sont dans une eau chauffée depuis toujours, tous les jours, là ils vont devoir affronter les saisons. J'ai passé des heures sur internet, certains vont mourir. Certains vont s'acclimater mais certains vont mourir.  Tous les aquariophiles le disent. Passer des poissons d'aqua en poubellarium ou en bassin induit un taux de mortalité élevé. Je ne peux pas les mettre dans un bassin.

     

    En 2018 le 800 litres de l'agence devra être vidé, ça ok je l'ai bien intégré mais ce n'est pas pour ça qu'il faut faire n'importe quoi. Oui l'idéal est un 3 000 litres et non je n'ai nul part où le construire, donc il me faut un bassin. Mais ils vont y mourir. Ou alors il faut couvrir le bassin pour le chauffer comme une piscine, mais là nous ne sommes plus sur le même budget.

     

    J'ai converti tout le monde. On en a fait des repas dehors cet été durant lesquels mes planches à dessins passaient de l'un à l'autre. Parfois je me faisais l'impression d'être une conférencière. Et je te jure j'aimais ça en plus.

     

    J'exposais tous les avantages, j'avais un budget prévisionnel, je cassais tous les contre-arguments. Pire qu'un politique, j'étais pire qu'un politique qui veut que l'on vote pour lui.

     

    Au début personne n'en voulait de mon bassin. Alors j'ai fait passer les poissons au second plan et j'ai ajouté sur mes planches ce que je savais pouvoir plaire. A force de les côtoyer je finis par les connaitre par coeur les gens de l'immeuble. Madame Tillyou est une amoureuse des plantes, je l'ai gavé de vidéos sur youtube présentant des bassins avec des nénuphars. Jérémy aime le silence de la nuit, j'ai intégré dans le muret des lumières et un jet d'eau, une cascade. Et Stoyan, lui c'était le plus facile, il rêve d'une moto. Pour protéger la décante, le système électrique il va falloir une construction en dure et couverte, si on la fait un peu trop grande, une moto pourrait y entrer.

     

    Pour moi ce n'était pas de la manipulation, c'était faire un projet commun, offrir du bonheur à tous, mais c'est toi qui as raison, je ne suis qu'une manipulatrice prête à tous pour obtenir ce que je veux.

     

    Maintenant Madame Tillyou rêve de ses nénuphars, Jérémy veut construire le muret, la cascade, avoir son jet d'eau éclairé la nuit. Et Stoyan s'est remis à chercher sa moto. Il a même rencontré un banquier pour savoir si il pouvait obtenir un prêt pour l'acheter.

    Oh l'horreur !

     

    Nous n'avons pas de garage, nos voitures restent dans la rue. Avec Jérémy il loue déjà un espace pour leur camping-car, il n'a pas les moyens de s'offrir un garage pour sa future moto, mais si il y avait un chalet dans le jardin, là ça changerait tout. Madame Tillyou avait refusé il y a quelque année qu'une partie du jardin soit transformée en espace de rangement.  Les poubelles comme les vélos sont dans le couloir qui nous permet de passer de la rue au jardin. C'est sur que ton halle d'entrée  à Paris, et notre couloir poubelles !!! Zéro comparatif possible.

     

    L'escalier pour accéder aux étages est extérieur, coté jardin. Dessous il y a la tondeuse. Pour avoir ses nénuphars  Madame Tillyou est d'accord pour le chalet. Si tu avais vu le bonheur sur le visage de Stoyan quand je lui ai dit que nous aurions le chalet. Il m'a décollée du sol, m'a fait tournée dans les airs comme si je n'étais qu'un poids plume. Dieu qu'il était heureux. A ce moment là, non je ne me pensais pas manipulatrice, j'avais le sentiment d'avoir bosser pour lui offrir du bonheur. Oui du bonheur collé au mien, mais je ne voyais pas où était le mal.

     

    Quand sur la semaine dernière je leur ai dit que 2018 était très loin, que Qilian avait déjà 18ans, Pekin et Xian 14, qu'il était prématuré de songer à creuser le bassin, je te jure que pour la première fois j'ai eu le sentiment qu'autour de la table tout le monde me haïssait. Adieu moto, jet d'eau et nénuphars. Tu as raison je ne suis qu'une horrible manipulatrice.

     

    Ce soir je suis allée parler avec Stoyan. Jamais il n'a été aussi fermé avec moi. Tu as raison Cole je ne suis qu'une manipulatrice. Et je le suis depuis très longtemps. Oui je l'ai toujours été.

     

    Tu veux que je te parle de mon mari. Tu vas être écœuré par mon comportement.

     

    Tu vois quand j'ai lu tes mots m'accusant d'utiliser les gens, je t'ai trouvé profondément injuste, mais vas savoir pourquoi, comme tu es sur un piédestal tout ce qui vient de toi a beaucoup de poids pour moi, aussi ensuite j'ai cogité et j’ai essayé de comprendre ce qui avait pu t'avoir amener à me voir de la sorte.

     

    Si tu ne m'avais pas accusée de manipulation je t'aurais tourné l'histoire de mon mariage comme je l'ai toujours tournée, mais depuis toi, c'est fou mais je vois mon passé autrement. Tu m'as même donné envie de recontacter mon ex mari pour savoir comment il a vécu notre mariage. Je ne le ferais pas, il m'a subi assez comme ça.

     

    Je ne suis qu'une peste qui manipule les gens. Ce qui est le plus terrible c'est que je me dis que si je me retrouvais à mes 18 ans, je referais pareil. Pourrie jusqu'à la moelle !!!

     

    Bref voici mon mariage dans la nouvelle version , version où je ne suis plus une pauvre victime mais une belle Salope. Disons les mots.

     

    Tout commence le jour de mes 18 ans. Le 22 avril. Tu es né le 11 avril 65, moi le 11+11 avril 65 !!!! C'est dingue je trouve.

     

    Bref, je t'oublie puisque le jour de mes 18 ans je ne savais pas que tu avais les tiens depuis 11 jours.

     

    Donc c'est mon anniversaire. La cantinière que je dois nommée Tutrice depuis 13 ans m'a fait un gâteau la veille à la cantine de l'école, je le sais car c'est moi qui est vidé ses seaux dans le réfrigérateur. Je ne sais même plus ce qu'il était, mais je peux tout de même affirmer qu'il devait être simple mais bon. Je ne me souviens pas plus si j'en ai seulement mangé.

     

    Elle n'était pas du genre à faire les choses en grand mais je savais que j'allais  trouver un petit cadeau non enveloppé dans mon assiette ou sur ma chaise si il était un peu trop volumineux. Elle offrait toujours des trucs utiles  chaussures, savon qui sent bon, pyjama, cahiers, classeurs...

     

    J'arrive donc à table le soir et je vais à ma place : rien. Le gâteau est sur la table, mais pas de cadeau. Bizarre. je m'assieds,  j'attends.

     

    Elle a un tablier avec une poche kangourou. Inoubliable.

     

    Elle reste debout, appuyée contre le buffet et elle sort de sa poche une feuille qu'elle balance sur la table en me disant  un chiffre. Je regarde la feuille, c'est son relevé de compte bancaire. Évidemment je ne comprends pas. Comme elle venait d'articuler un chiffre, je l'ai cherché. Il y avait un versement de ce montant. Sur des années je l'ai su par cœur ce montant, mais ce soir je suis incapable de m'en souvenir. Pourtant c'est ce que je valait pour mes parents.

     

    Quand j'ai relevé la tête elle m'a craché d'un trait, qu'elle percevait cette somme depuis le premier mois où je vivais chez elle.  Et que là c'était le dernier. Pendant treize ans elle m'avait gardée chez elle parce qu'elle était payée pour me loger / nourrir / blanchir comme on dit. Le contrat stoppait le mois de mes 18 ans, donc voilà c'était fini. Bon anniversaire Mickaelle.

     

    Elle m'a crachée cette abomination au visage et comme si cela ne suffisait pas, elle s'est jouée grande dame, grand coeur. Elle m'a dit sur le même ton, qu'au début mai elle n'aura pas un centime alors que je coute chère. Je devais en conséquence m'en aller. Mais, Oh divine femme !!! Mais elle m'offrait un  cadeau d'anniversaire. J'avais une pension gratuite sur mai et juin. Le premier juillet si je n'étais toujours pas partie, elle me mettrais à la porte car il ne fallait pas abuser de sa générosité. Treize années à vivre avec une gamine qui avait tué son frère lui avait créé beaucoup de désagrément, elle avait perdu des amies à cause de moi. Elle m'offrait deux mois pour m'organiser. Selon elle c'était bien plus qu'il ne m'en fallait.

     

     

    J'étais en première année de BTS  sur Limoges, je ne pensais à rien, je ne songeais pas à mon avenir. Ma vie c'était les cours que j'aimais, les livres que je dévorais les uns à la suite des autres, et ma couture. La cantinière était une super couturière, elle m'a appris tout ce qu'elle savait.  Nos deux mondes ne se rencontraient que dans la sphère de la couture.

     

    Du jour au lendemain je devais quitter l'école (j'étais 3ème de ma classe avec plus de 15/20 de moyenne générale) je devais déménager, je devais trouver un emploi. Pour moi c'était pire que de devoir me suicider. Si le médecin m'avait annoncée une tumeur au cerveau qui allait me tuer dans le trimestre, j'aurais moins paniqué.

     

    Depuis mes cinq ans, j'avais passé mes jours noyée dans les livres pour ne pas vivre ma vie. J'étais juste une toute petite fille qui attendait que sa maman vienne la chercher, qui ne comprenait pas pourquoi on l'accusait du meurtre de son frère alors qu'elle ne s'en souvenait pas. Ma vie était trop lourde à porter, alors je passais mes jours à la fuir, et j'y arrivais bien. Je n'étais que concentration sur tout ce qui n'était pas moi. Tu vois le tableau Cole.

     

    Comment aller se vendre à une entreprise ? Comment convaincre une entreprise de m'embaucher pour un job que je n'ai jamais rêvé, et pour lequel je ne suis pas qualifiée?

     

    Plus tard dans la soirée, je me suis retrouvée dans ma chambre avec le sentiment d'être au bord d'un gouffre et que le sol s'émiettait sous mes pieds, que ce n'était qu'une question de secondes avant que je ne tombe.

     

    Je ne sais ni comment ni pourquoi mais ce que je peux te dire, Colerige Alesh,  c'est que je devins alors obsédée mais vraiment obsédée par Lionel. Pas par le prénom, non, par le mec Lionel, le fils du garagiste de Panazol, un mec de 2 années mon aîné, un crétin qui m'avait toujours chahuté à l'école de la maternelle à notre Cinquième. En six et cinq on était dans la même classe grâce à ses 2 redoublements.

     

    L'enfer. Ce mec était mon enfer à lui tout seul. Il touchait toujours mes cheveux, il me bousculait dans les couloirs, la cours, la rue. Il avait toute une liste de formules qui devaient me charmer et qui ne m'inspirait que l'envie de rentrer sous terre. Dès ses douze treize ans, il voulait m'embrasser, parfois il y parvenait, il me coinçait ce con. Ensuite tout heureux d'y être parvenu il partait dans un fou rire. Mille fois j'ai eu envie de le tuer ce crétin je te jure.

     

    Aujourd'hui plus d'une mère dirait que j'étais une enfant harcelée. Aujourd'hui mais pas alors, déjà parce que je n'avais pas de mère pour me protéger et ensuite parce qu'à l'époque les gosses on s'en foutait tant qu'ils ne dérangeaient pas les adultes. La cantinière aurait hurlé si il avait déchiré mes vêtements. Il posait sa bouche sans lèvres sur ma joue, ridicule bagatelle pour elle, abomination pour moi.

     

    Il me sortait par les yeux ce mec.

     

    Après sa cinquième il est parti en CAP mécanicien, on s'est donc moins vu mais il ne m'a pas lâchée. Panazol ce n'était pas grand dans les années 70, 80.

     

    Un jour, je ne sais pas pourquoi je lui ai répondu que je ne l'épouserai que si il avait une fuego. C'est une voiture de la marque Renault. Je ne sais pas pourquoi je lui avais sorti une débilité pareil mais je l'ai fait. Il avait pris ma boutade au sérieux ce crétin, aussi  quelques mois après ses 18 ans, son permis de conduire en poche, il est apparu devant moi, devant la grille de mon école, au volant de sa fuego. La honte ! Ce que j'exécrais ce mec !

     

    Et là le soir de mes 18 ans, alors que le sol se dérobe sous mes pieds, je suis obsédée par Lionel. Tu vois pour prendre une métaphore, c'était un peu comme si tu es assis sur un mini rebord de falaise, qu'au moindre mouvement tu sais que tu vas tomber et là juste au dessus de toi tu découvres une corde à nœuds, mieux, une échelle en corde. Alors tu te dis, soit tu ne fais rien et tu vas tomber à plus ou moins court terme, à cause du vent, du sol qui s’effrite, soit tu tentes le tout pour le tout et tu te redresses pour saisir la corde. Ok elle est peut-être pourrie, elle peut ne mener nul part mais, mourir pour mourir autant mourir après avoir essayer de survivre. Se donner les moyens de n'arriver à rien.

     

    Colerige mille excuses mais je vais m'arrêter là pour ce soir. Si je veux te raconter mon mariage, je ne serais pas couchée avant deux heures du matin. Je ne peux pas me permettre de veiller si tard. Donc je vais procéder comme hier. Je stoppe là, je poste demain matin cette lettre et demain soir je t'écris la suite.

     

    Roman feuilleton de la vie d'une lamentable manipulatrice. Quand tu seras arrivé à cette ligne, je pense que tu ne seras plus que regret de m'avoir invitée à remettre des timbres sur mes lettres. Au moins tu sauras pourquoi tu ne veux plus de moi. Quelle bêtise tu as fait de t'amuser à me prétendre ta femme au près de ta concierge. Tu dois maintenant bien t'en mordre les doigts.

     

    A demain,

    Mickaelle.

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 8 Août 2016 à 09:41

    Encore un épisode intéressant, on découvre plein de choses de la vie de Mickaelle. Manipulatrice ? Bof, pas convaincu au vu et lu de la totalité du contexte, beaucoup de choses peuvent se comprendre.

    je me demande même si Cole ne le serait pas davantage qu'elle ?

    2
    Lundi 8 Août 2016 à 20:35

    Vois tu en forêt je ne disais qu'elle pourrait un jour lui poser TA question.

    J'avoue que j'ai aussi du mal à la voir telle une manipulatrice. Et lui non, pour moi il n'en est pas un, mais c'est juste mon avis.

    3
    Lundi 8 Août 2016 à 21:07

    Quand je dis manipulateur, le terme n'est peut être pas approprié. Mickaelle est une personne en souffrance, c'est évident et logique.

    Mais Cole est plus doué - me semble t'il - pour le jeu du chat et de la souris.

    Mais c'est peut être une impression .....

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    4
    Lundi 8 Août 2016 à 21:33

    Il mène la danse, il n'y a pas de doute.

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