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    Mickaelle,

     

    Je ne m'attendais pas à être projeté dans mon passé en lisant le tien.

     

    Un élément me dérange bien plus que je ne voudrais me l'avouer dans tes mots. Tu écris à plusieurs reprises, de diverses façons, ta désolation de l'absence de volonté de ta mère de te vouloir à nouveau à son côté. Jamais je n'avais songé à la mienne en ces termes. Non, pas une fois, je ne me suis interrogé sur sa non volonté de vouloir de moi. C'est un peu comme si toute mon enfance, je l'avais considérée aussi impuissante que moi. Nous étions séparés sur la décision d'un être supérieur et nous devions l'accepter. Pas une fois je ne me suis demandé pourquoi elle ne venait pas me chercher. Contrairement à la majorité de mes compagnons d'infortune, j'avais une mère, certes je ne la voyais jamais, jamais non plus elle ne m'envoyais une lettre, voir un colis, mais elle était en vie. Il faut croire que cela me suffisait. J'avais une mère invisible, mais une mère qu'on me jalousait. Tant n'avait plus personne. Mère morte et  père inconnu était la norme. Moi j'avais les deux. J'étais privilégié puisqu'in-adoptable.

     

    Dans un orphelinat l'adoption est bien plus redoutée qu'espérée. Elle est un peu comme la mort dans un hôpital. Il est erreur de croire que les enfants sous les draps à l'extinction des feux, prient Dieu pour qu'une famille aimante enfin pose les yeux sur lui. Il faut avoir connu l'amour pour le désirer encore. Les veilles de rencontres, les enfants désignés potentiels élus suppliaient les Dieux et leur cohorte ne passer inaperçus. On en a trop vu partis en famille d'accueil revenir en lambeaux suite à des mois d'une vie d'esclave, de souffre-douleur.

     

    Qu'était être heureux ? Les chanceux ne revenaient pas nous le raconter, aussi on les imaginait comme tu le notes "condamné à perpétuité". Le bonheur ne se trouve pas entre les quatre murs d'un orphelinat, mais il y règne une force de protection, on peut y oublier la peur, vivre sans réelle armure. Oui les enfants peuvent être cruels entre eux, mais cette cruauté n'égalera jamais le vice de l'adulte.

     

    Ton texte sur ta mère m'invite à me demander pourquoi cela me suffisait. La savoir en vie, j'entends. Car je dois le reconnaitre, contrairement à toi, je ne l'espérais pas. Il m'est arrivé de songer à mon père, à rêver qu'il ouvre la porte, me tend la main dans un "viens" ferme et sans équivoque, une ordonnance aussi viril qu'héroïque. Ma mère comme moi je la voyais victime impuissante, comme sous le statut d'un mineur.

     

    Mickaelle tu produis des effets gênants sur moi.Très gênants.

     

    Je me suis surpris suite à ton histoire à me questionner sur ses sentiments et j'ai été horrifié d'en arriver à me dire que peut-être mon enfermement sur la décision de son père l'arrangeait bien. Ou au moins, ne la dérangeait pas. Cette idée est tout simplement effroyable. Un fils songeant sa mère heureuse de le savoir loin d'elle, c'est terrifiant.

     

    Mickaelle à distance tu parviens à me faire me détester.

     

    Ma soeur comme tu le sais maintenant se nomme Alexandra. Elle porte le prénom de mon père. Alesh. Dans les bras de Govan Sibeko, son amant sud africain ma mère pensait encore assez à mon père pour nommer leur fille comme lui. Ma mère aimait mon père autant que mon père l'aimait, le doute n'est pas possible.

     

    Mais moi ? Moi le fruit de leur amour, moi l'union de leurs deux êtres, qu'étais-je pour elle ?

     

    Pourquoi m'avoir nommé Colerige ? Certes comme tout russe je porte en second prénom celui de mon père. Colerige Aleshandrovich Tchigrenkov. Mais pourquoi Colerige ? Les lettres de mon père ne m'éclairent pas. Il m'y nomme Cole. Simplement Cole pour m'évoquer. Dans une de tes lettres et cela m'a surpris, tu notes que mon prénom est américain. Je n'en suis pas aussi affirmatif que toi. Au USA il y a des Coleridges mais c'est un nom de famille non un prénom.

     

    A cause de toi j'en suis venu à me demander à qui pensait ma mère quand elle fut enceinte de moi ? Si elle est capable de tromper son mari, de nommer la fille qu'elle a de son amant d'un prénom qui renvoie à son amour passé, pourquoi ne pas émettre l'hypothèse qu'elle me prénomma en souvenir d'un Mr Coleridge qu'elle connu à Jefferson city ? Ma mère aimait-elle vraiment mon père aussi fortement qu'il l'aimait ? Le doute s'installe.

     

    Mickaelle tu m'amènes à me questionner sur des points peu réjouissants, je ne t'en flatte pas. Ou alors admiration ! J'en reviens toujours au même constat : Tu provoques en moi des effets gênants.

     

    Mon père dans ses lettres, questionnait ma mère sur mon évolution. Il me croyait avec elle. Je suis heureux qu'il soit mort sans jamais avoir su la vérité. Elle de son côté le savait au goulag, elle n'ignorerais donc pas que je grandissais sans mes parents. Me savait-elle à l'orphelinat ou lui avait-on raconté que j'étais dans une famille ?

     

    En Afrique du sud elle pensait à mon père puisqu'elle a nommé la fille qu'elle a eu avec son amant, comme lui. Mais à moi, avait-elle des petites pensées pour moi ? S'inquiétait-elle pour moi ?

     

    Avant toi Mickaelle, jamais je ne m'étais posé de telles questions. Je la savais vivante, j'avais tant de change en comparaison aux autres enfants. Je la savais rentrée au État Unis, son pays de naissance, comme je savais mon père au goulag coupable d'avoir couché avec une américaine. A l'orphelinat j'étais Alesh pour tout le monde. Mon prénom américain n'apparaissait que sur les dossiers. Selon la direction cette décision portait la marque d'une volonté de protection. J'étais Alesh Tchigrenkov, c'était suffisant.

     

    Je te présente toutes mes excuses Mickaelle, je ne parviens pas à entrer en contact avec la petite fille que tu fus, ta lettre m'a conduite dans des troubles dérangeants.

     

    Je vais m'absenter du hameau quelques jours. A mon retour j'espère trouvé dans ma boite aux lettres la réponse à une énigme : Pourquoi tu as parlé de tes poissons à ton patron. Dans ta toute première lettre tu as écrits que m'écrire t'était plus difficile que de parler de Koa et Cyprin à ton patron. Vu tes écrits derniers, j'en déduis qu'ils sont des poissons. Mais pourquoi diable abordes-tu le sujet de tes poissons de bocal avec ton patron ?

     

    Nos vies ne peuvent plus être parallèle. Je n'ai pas de bestioles inutiles chez moi. Le sujet des poissons est sans danger. tu peux noircir des pages, à loisir.

     

    Offre moi une lettre pleine de bonne humeur et de plaisir débordant. Eclabousse moi de l'eau de ton bocal. Sors moi de la torpeur dans laquelle tu m'as noyée mademoiselle Peste.

     

    Cole Alesh.

    La Gittaz, le vendredi 19 juin 2015.

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 10 Juillet 2016 à 15:32

    Très intéressantes réflexions sur les orphelins, le bonheur et la relation aux parents.

    En plus on connait maintenant le patronyme complet de "tchig" (c'est plus facile à écrire, hein ?)

    J'avais aussi oublié le mystère de la "g2" qui s'est levé dans le précédent chapitre, mais je vois venir un fil conducteur.

    Et en effet cet homme est désarmant, il passe du refus initial et complet de l'intrusion de Mickaelle dans sa vie à une recherche de celle-ci, voire il en fait une confidente

    Peut être un effet du prénom / nom Coleridge ?

    (Le poète S.T. Coleridge est connu pour avoir fait des revirements complets de ses positions morales et politiques à son retour d'Allemagne ... et ce prénom n'est sans doute pas dû au hasard)

    En tout cas, c'est bien, j'ai mon roman de l'été 

    2
    Dimanche 10 Juillet 2016 à 21:03

    Oh là là comme je vais te décevoir cry. C'est bien connu, il ne faut jamais connaitre les auteurs, il faut juste s'intéresser aux œuvres.

    Je ne connais pas ce poète, je ne connais aucun Mr Coleridge. J'ai découvert le prénom Colerige dans une série américaine qui pour la spirituelle que je suis est d'une richesse incroyable car pleine de métaphore. L'un des personnages c'est Cole Turner fils de Benjamin colerige Turner. Il faut au moins la 5ème saison pour découvrir que cole est le diminutif de colerige. Mes oreilles aiment ce prénom. J'aurai même pu l'offrir à un résultonien.

    En préparant "Tchig" j'ai "creusé" l'histoire du prénom et là j'ai découvert qu'il semble que ce n'en soit pas un mais un nom de famille (avec le d en +) d'ailleurs il faut le prononcer col rid ge.

     

    Tu as raison, il va se prolonger tout l'été.

    3
    Dimanche 10 Juillet 2016 à 21:18

    Tu ne me déçois pas mais c'est sympa que des idées non préconçues se croisent. Je trouve bien au contraire que ça enrichit le débat

    Pour info : https://fr.wikipedia.org/wiki/Samuel_Taylor_Coleridge

    Continue, j'aime ce roman très intéressant

    4
    Lundi 11 Juillet 2016 à 20:00

    Merci.

    Au regard des stats tu n'es pas le seul à le lire mais tu es l'unique à oser ... J'allais écrire "l'avouer" . C'est peut-être bien quelque chose dans ce goût là.

    5
    Lundi 11 Juillet 2016 à 20:06

    C'est un anglais non un usa.

    6
    Lundi 11 Juillet 2016 à 21:27

    J'avais pas pensé à la nuance de nationalité,  juste le caractère complexe de la personne

    7
    Mardi 12 Juillet 2016 à 17:16

    Ce qui m'a amusé c'est de lire qu'il est passé par la case orphelinat dans son enfance.

    Mais mon Cole à moi ou à Mickaelle ne va pas finir poète, non non.

    8
    Mardi 12 Juillet 2016 à 18:32

    Exact en plus ! comme quoi ...

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