• 44

    Belle Mickaelle beaucoup trop sensible,

     

    Il passe plus de dix mille randonneurs devant chez moi chaque année, mais il n'y a que toi à être revêtue d'un gilet de costume. Quand j'ai levé les yeux en entendant vos voix, j'ai vu tes bras nus, et ton gilet de costume. Ils m'ont projeté au jour de ma rencontre avec ma sœur.

     

    J'ai appris très tard son existence. Je n'ai eu que  deux éléments pour démarrer ma recherche : sa date de naissance  17.6.71 et l'adresse de son lieu de naissance Plooysburg. Quand j'écris 2 cela veut vraiment dire 2. Ses prénom et nom de famille, ne m'ont pas été communiqués.

     

    Le 03 Juillet 2007, donc, j'ai quitté Jefferson City (USA) pour me rendre à Plooysburg près de Kimberley en Afrique du Sud. Je savais bien qu'elle n'y avait pas demeuré sur les 36 années, mais il fallait bien démarrer par quelque part donc autant par un lieu où je savais qu'elle avait vécu.

     

    Pendant 44 mois j'ai sillonné tout le pays à la recherche autant d'elle que de son père. Père qui n'est pas le mien, tu t'en doutes sinon je ne serais pas dans l'ignorance de son patronyme.  Et je n'ai rien trouvé. Rien. 44 mois c'est très long. J'en ai tourné des pages d'archives, j'en ai couvert des kilomètres, j'en ai graissé des pattes. Pour rien, même pas de fausses pistes. Rien.

     

    Rien. Même pas son prénom. Tu m'as fait sourire avec ton petit récit autour de mon prénom car si je ne vois pas en quoi Colerige a de la valeur, je sais ce que peut signifier savoir un prénom.

     

    Je mens quand je dis n'avoir appris que 2 éléments sur elle. J'ai su aussi les circonstances de sa naissance. Ma mère a accouché d'elle en Afrique du sud car elle était l'épouse d'un  sud africain issu d'une vieille famille européenne : James Robinson. Tous deux blancs, il est devenu rouge de colère quand il a posé les yeux sur le bébé, une petite fille métis. Ordure parmi les ordures, il a tabassé à mort ma mère en réponse à ce qu'il devait juger un affront.

     

    En 2007 il ne restait rien de son exploitation sur Plooysburg. Robinson est mort en 1992 dans un accident de la route. Les parcelles ont été divisés depuis et la maison n'est plus qu'une ruine suite à l'incendie de février 1999 qui a ravagé 12 000 hectares. J'ai eu connaissance de ces faits en fin 1999. Je veux dire que fin 1999 j'ai su pour la mort de ma mère, de son mari, mais alors on l'avait raconté qu'elle était morte en couche, non que l'enfant était vivant et que sa mort était due à de la jalousie couplée à un sentiment de propriété qui avait déclenché une colère telle que les coups furent mortels.

     

    En Juillet 2007 je suis retourné à cette maison en ruine, et j'ai démarré les recherches sur ma sœur. Je suis parti du postulat que pendant l'assassinat de ma mère, le père biologique ou un tiers avait fuit avec le bébé nouveau né. Qu'en avait-il fait ? Aucune idée. Ce qui est certain c'est qu'il l'a admirablement bien caché car une recherche autant méticuleuse que méthodique de  44 mois n'a rien permis de découvrir. 

     

    Et puis enfin une personne a osé me parler, me donner un indice. Là tout a été très vite, en 26 semaines je suis passé de rien à son corps sous mes yeux.

     

    Je ne pourrai jamais oublier ce 27 septembre 2007. Alexandra, elle se prénomme Alexandra, est un squelette d'une petite trentaine de kilo qui attend la mort sur un lit d'hôpital d'Umtata. Elle n'a que 36 ans mais toute sa vie est derrière elle, une vie de drogue, d'alcool, de prostitution. Elle se meurt du sida. C'est au Sud Est de Kimberley.

     

    Quand je pose les yeux sur elle, je vois un corps en sueur, un drap qui a glissé et qui ne recouvre plus la maigre poitrine. C'est contre nature de voir la poitrine de sa sœur, aussi mon premier geste vers elle fut de retirer mon gilet de costume pour l'en vêtir, avant d'aller lui acheter une chemise de nuit descente. Il était dix fois trop grand pour elle, elle qui n'était déjà presque plus rien. Mais sa poitrine était couverte, l'essentiel est là.

     

    Alexandra ne s'est jamais mise debout, elle ne s'est même jamais adossée au fer de son lit, elle n'en avait plus la force. Parfois elle ouvrait les yeux. Je ne sais pas si elle me voyait. Parfois quelques mots émergeaient de sa bouche. Ne comprenant ni le Xhosa ni l'afrikaans, j'ai tout enregistré pour des traductions ultérieures. Tout ne fut que délires incompréhensibles. Mais j'ai sa voix sur bandes.

     

    Je suis resté onze jours à son chevet. J'ai commencé par vouloir son rapatriement aux états unis, mais j'ai fini par comprendre que le meilleur hôpital américain ne ferait pas plus de miracles que celui dans lequel elle était.

     

    Le onzième jour elle s'est éteinte suite à une crise de toux.

    Le 8 octobre 2007 Alexandra Sibeko, ma soeur est morte.

     

    Sibeko est le nom de son père biologique. C'est en rencontrant une personne venant se recueillir sur sa tombe  dans la banlieue de Umtata que j'ai pu enfin savoir où était Alexandra. C'est là aussi que j'ai enfin découvert son prénom.

     

    Govan Sibeko est mort en 88 à l'âge de 41 ans. Alexandra qui n'avait pas encore atteint sa majorité était déjà bien noyée dans la drogue et l'alcool quand elle a perdu son père.  Son père est mort dans une bagarre raciale lors d'un match de rugby. C'était lui qui avait sauvé ma sœur des mains du tueur de ma mère, mais c'est aussi lui qui l'a précipité dans l'alcool et la drogue. Il a nourrit sa fille de ses propres nourritures. 

     

    J'ai remonté le corps de ma soeur en France pour l'enterrer près de celui de maman.

     

    Depuis je casse les murs des maisons en ruine du hameau de la Zattig et je construis un mur d'enceinte. Je t'entends en conclure que c'est ma façon de la pleurer, et de me défaire de ma colère. Probablement. Je ne suis pas psychiatre et ne compte pas le devenir.

     

     

    C.A.T

    Hameau de la Zattig - le 30 mai 15.

    « 4345 »

  • Commentaires

    1
    Dimanche 26 Juin 2016 à 19:08

    Ouf ! Un chapitre qui sonne comme un uppercut. Tchig se dévoile, et de quelle façon. Une sorte de parallèle avec Mickaëlle, une douleur du passé liée à sa fratrie. Pas du tout le personnage imaginé, tu nous as bien eus.

    J'avoue bien accrocher

    2
    Lundi 27 Juin 2016 à 20:36

    Pourquoi tu l'imaginais comment CAT ?

    3
    Lundi 27 Juin 2016 à 20:48

    Plus "dur", plus froid. Mais c'est bien le but de découvrir et les jeux de fausses piste 

    4
    Lundi 27 Juin 2016 à 21:02

    Oh crois moi, par moment tu le retrouveras digue d'un glaçon, mais tu en comprendras les raisons.

    5
    Mardi 28 Juin 2016 à 07:57

    J'attends,  j'aime découvrir

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :