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    J'ai toujours su que  je n'étais pas une grande courageuse, encore moins une guerrière, mais là je me fais honte. Est-ce possible d'être si faible, si lâche ? Ça fout un coup au moral.

     

    Je n'ai rien dit. Rien. Je ne suis ratatinée, écrasée. J'ai piqué du nez, baissé les yeux. 

    Je me fais honte.

     

    C'est évident, Halka va vouloir savoir si j'ai parlé à Solange. J'ai honte.

     

    J'ai l'impression que Solange savait tout, qu'elle voulait me pousser à raconter, mais je n'ai rien dit.

     

    Qu'est-ce que je vais faire de la clé maintenant ?

     

    Elle est là, dans ma main. C'est une clé, une simple clé qui ressemble à des millions de clés.

     

    C'est ridicule d'avoir fermé à clé. Solange ne va pas comprendre pourquoi elle ne peut plus ouvrir le portail que l'on vient d'installer devant ma voiture, pour passer librement d'une maison à l'autre.

     

    Je suis lâche. J'ai verrouillé derrière elle car je ne veux plus la voir, mais elle va vouloir une explication.

    Et si je lui écrivais ? Si je lui glissais une lettre dans sa boite.

    Mais pourquoi je ne peux pas l'affronter ? Pourquoi ?

     

    J'en ai vraiment eu la possibilité aujourd'hui.

     

    J'étais bien, au soleil à planter mes pieds de fushias dans les lourdes jardinières vidées de leurs bambous par Lukasz, bambous qui d'ailleurs semblent se plaire en pleine terre le long de la clôture, quand je l'ai vu se diriger droit vers moi.

     

    Ma lâcheté a commencé là. J'ai piqué du nez, j'ai joué à la fille concentrée sur ses plantations, à la fille sourde et aveugle. Solange a toujours des chaussures qui s'entendent venir.

     

    Au début elle n'a parlé que des fleurs. Elle m'a fait remarquer que je ne l'avais  pas  invitée à m'accompagner au magasin de fleurs. Elle a raison, avant nous aurions réfléchi autour d'une tasse de thé aux plantes que nous aurions pu mettre dans nos bacs afin de créer une belle harmonie. Sa réfection m'a fait prendre conscience qu'une cassure émotionnelle s'était déjà produite en moi. Pas une seconde je n'ai pensé à nous associer. Quand je suis partie au magasin et plus avant, le soir où j'ai navigué sur internet pour définir quels seraient mes futurs achats, pas une seconde je n'ai songé que 50% des jardinières se trouvaient de son côté et qu'il aurait pu être plaisant de grouper nos achats. Pas une seconde. Et dire qu'il y a quelque mois je nous rêvais partenaires en tout.

    Que de changement en moi.

     

    Solange ne m'a rien reprochée, elle a juste rappelé l'évidence : même si la clôture slalome entre les jardinières, elles forment toujours une ligne droite.

     

    Je ne me suis pas compliquée la vie, je n'ai pris que des fushias. J'ai juste varié les couleurs d'un bac à l'autre.

     

    Je ne me suis pas aplatie jusqu'à m'excuser de l'avoir oubliée. Je n'ai pas relevé son observation. Si j'avais été moins lâche je lui aurais dit ne plus vouloir d'elle dans ma vie. Je ne peux continuer à la croire mon amie alors qu'elle me ment. Elle a une fille.

     

    Solange a gardé son sourire. A croire que tout cela n'était que détail.

    Je me suis accrochée à ma bonne humeur.

     

    Et puis Guénady s'est approché.

     

    - Il est encore là lui ! Halka n'est toujours pas passer le chercher. Elle n'est pas revenue vivre avec toi, que je sache. Tu t'es faite avoir, elle t'a abandonnée son chat. Il va te rester sur les bras.

     

    Le mot abandonné est horrible dans sa bouche. Comment ose t-elle parler d'abandon?

     

    Une colère m'a envahie, mais je n'ai pas explosé. Lâche que je suis, je me suis figée, je me suis ratatinée.

     

    Plus elle développait sa conviction, plus j'avais l'impression que la colère m'asséchait, qu'elle me réduisait à un squelette que Guénady aura pu réduire en poussière d'os, si il était venu se frotter à ma jambe.

     

    Je n'ai su ni défendre Halka, ni lui demander où était Mickaelle.

     

    Mickaelle ! Je ne voyais qu'elle. Je l'avais dans les yeux. J'ai tant et tant de fois observé cette petite fille au long cheveux châtain clair, cette petite fille au pull rouge et jaune, cette petite fille qui ne savait pas que le lendemain elle allait perdre ses cheveux et sa famille toute entière.

     

    Solange était mépris, j'étais peine et colère à la fois.

    Solange se jouait supérieur, je me sentais n'être plus rien.

     

    Solange est repartie comme elle était venue, heureuse et fière d'elle.

     

    Je n'ai pas bougé. Je me cramponnais au bac.

     

    Et puis je me suis redressée, j'ai récupéré Guénady trop énergiquement, je lui ai fait peur, il m'a sauté des bras. Je suis entrée dans la maison, sans un regard sur le sol pour être sûre de ne pas marcher sur les jumelles, et je me suis dirigée droit vers le tiroir de la cuisine où j'avais jeté la clé du petit portail. La colère m'a ramenée au portail, je l'ai fermé à double tour pour me débarrasser de Solange.

     

    Ce geste a absorbé 80% de ma colère, aussi maintenant, toujours face au portail, la clé à la main, je me demande à quoi tout cela rime. La lâcheté n'a rien résolu.

     

    L'étrange dans cette histoire c'est qu'à cet instant, je me déteste bien plus que je ne déteste Solange.

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  • Commentaires

    1
    Mardi 3 Mai 2016 à 07:49

     Ou .. de l'art de croire qu'une barrière physique peut aussi devenir une barrière morale ! Bonne journée

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