• 24

    Halka est montée en disant qu'elle allait prendre une douche avant de se mettre au lit. Cela ne m'aurait pas étonnée si elle avait pris ses clés de voiture et annonçant qu'elle partait en boite de nuit avant de se mettre au lit.

     

    Elle jubilait.

    Indécence totale. Décalage radicale avec ma désolation.

    Elle jubilait !

     

    Elle ne retient de l'histoire que vient de nous raconter Marie Pierre que le fait que Solange a une fille monstrueuse. Mais où est son coeur ? Enfin c'est comme si elle marche sur un trottoir en ville quand sous ses yeux un homme tire mille balles sur la foule, que les vitrines explosent, que des chalands meurent, que les gens hurlent, courent en tous sens et qu'elle revient en me disant : " sale matinée, il crachine ". Mais comment peut-elle vivre le coeur aussi fermé ? Marie Pierre n'a pas une seule fois évoqué Solange. Elle n'a raconté que l'enfance de Samuel. Pourquoi Halka fait une fixation haineuse contre Solange qu'elle ne connaît presque pas ? Pourquoi ? Cette obsession me dépasse. Surtout face à une révélation si terrible.

     

    3 ans. 3ans. Pauvre petit bout de chou. Même pas 3 ans.

     

    Chaque fois que j'ai l'impression qu'entre elle et moi tout va bien, il faut qu'elle agisse aux antipodes du raisonnable. Cette fille a l'art de me désorienter. Elle passe en une fraction de seconde d'un être humanisé à un extraterrestre monstrueux. Et chaque fois j'en suis déboussolée. Cette fois c'est bien plus que cela. Je crois que j'aurai aimée être une femme ayant eu la présence d'esprit et le réflexe de la gifler. Oui je crois que j'aurai aimé la gifler. Certes c'est un peu théâtrale mais Dieu qu'elle la méritait cette gifle.

     

    Moi je suis là, dans ma chambre, assise derrière mon bureau, face à un ordinateur éteint, avec sur les genoux Geaidydy qui ronronne sous mes caresses sans motivation, et je ne pense qu'à Samuel. Le bébé, l'enfant, l'ado, l'homme d'aujourd'hui.

     

    Les mots de Marie Pierre tournent en boucle dans ma peine.

    " Vingt quatre opérations.

    Des greffes de peau.

    Opérer.

    Prendre des bras, du ventre,pour greffer  le dos, les jambes.

    Attendre que la cicatrisation se fasse.

    Recommencer.

    Prendre et greffer.

    Blesser un endroit pour en sauver un autre.

    Vingt-quatre opérations.

    Autant que le corps avait de peau à donner.

    Vingt quatre opérations.

    Il n'avait pas encore fêté ses trois ans. "

    Les mots de Marie Pierre tournent en boucle dans mon coeur qui pleure. 

     

    Je ne pense qu'à Samuel.

     

    Je ne vois rien de plaisant dans cette découverte. Je souffre pour Samuel. Je m'en veux de l'avoir rejeté en mon cœur le jour où il a balancé le livre contre le mur et qu'il a eu des mots agressifs. Je m'en veux de n'avoir pas saisi il y avait en lui tant de souffrances.

     

    3 ans. C'est si petit 3 ans. Il ne les avait même pas.

     

    J'entends en arrière plan de ma pensée l'éclat de rire de Halka. Je crois qu'il a glacé d'effroi Marie Pierre. Et je la comprends. Elle raconte l'enfer qu'a traversé Samuel sur plus d'une dizaine d'année et entre ses mots souffrances, désespérances, chirurgie, greffes, vient exploser un rire aussi soudain que sonore. Marie Pierre n'oubliera jamais. Le rire d'Halka est encore plus violent que le cri et le geste qu'avait eu Samuel. Marie Pierre ne le lui pardonnera jamais. Le rire restera injustifiable, inacceptable pour elle.

     

    Nous ne méritions rien. Marie Pierre était passée par pur désir d'harmonie entre nous. Nous nous étions tous uni autour de ce projet de clôture, elle ne voulait pas continuer à en être exclue. Elle savait que Samuel aussi avait envie de poursuivre les travaux mais il était incapable d'affronter les questions. Marie Pierre était passée pour tuer notre ignorance et donc nous aider à oublier l'épisode du livre.

     

    Maintenant c'est elle qui va mettre un véto à cause de la réaction insensée d'Halka. On ne s'en sortira jamais.

     

    Le plus fou c'est que je n'ai jamais voulu de cette clôture. Jamais aucune clôture n'aura aussi divisé les gens. Pourquoi me suis-je laissée entrainer ?

     

    Pour Halka dans tout le récit de Marie Pierre, il n'y qu'une information d'importance : Solange a une fille monstrueuse. Une fille qui a enfermé son petit frère de même pas trois ans dans une cabane de jardin en bois pour ensuite elle y mettre le feu en vu de s'en débarrasser. Elle ne l'aimait pas, elle voulait qu'il meurt. Simplicité de logique d'enfant.

     

    Les montres font des monstres. Halka jubile de sa découverte.

     

    Comme Marie Pierre l'éclat de rire m'a figé sur place, et j'ai haït Halka. Pour la seconde fois j'ai voulu la mettre à la porte, mais maintenant, avec du recul je vois les choses autrement.

     

    Et plus je m'y arrête... Plus je crois qu'elle a la trouille.

     

    Elle a crié un rire pour sortir d'elle ce qu'elle porte depuis des mois.

     

    Halka fait des rêves prémonitoires. Elle ne voit pas l'avenir mais le passé. Ce ne sont donc peut-être pas des rêves prémonitoires, mais je ne connais pas le mot exact.

     

    Quand la vie l'a fait se retrouver dedans les flammes de sa maison, elle a vu à l'intérieur d'elle le passé d'un homme que l'avenir allait lui faire rencontrer. C'est incroyable. Incroyable. C'est le genre de chose auquel je n'ai jamais cru. Mais là je dois me faire à l'évidence : Halka vit la nuit, le passé de Samuel. Incroyable !

     

    Elle refuse énergiquement  une cabane en bois pour l'oie car c'est le lieu de l'enfermement.

    Elle entend un bébé pleurer. Trois ans, c'est si jeune. C'est encore un bébé.

    Elle sent l'enfant qui brûle. Samuel a eu le dos et les jambes brûlés.

    L'enfant se nomme Samuel.

     

    Halka fait des rêves prémonitoires du passé des gens. Et elle est vraiment forte car elle rêvait de Samuel avant de l'avoir rencontré.

     

    Je me souviens avoir lu dans je ne sais plus quel livre, à moins que je l'ai entendu à la radio, ou à la télévision, enfin peu importe, je ne vais pas me mettre à faire comme Halka à accorder de la valeur au détail futile, donc je me souviens avoir lu ou entendu que les choses s'avançaient dans l'astral à nous avant qu'ils deviennent visibles pour nos sens humains. Pour moi ce charabia ne voulait rien dire.

     

    Oui quand Xavier est mort, je me suis accrochée à l'idée que l'on ne meurt pas quand le corps s'éteint. J'avais besoin d'y croire. J'en ai encore besoin. Alors j'y crois, mais je ne vais pas jusqu'à me mentir et affirmer que l'immortalité de l'âme, que l'âme elle-même existent vraiment. Croire ce n'est pas savoir. Il y a de l'hypothétique dans une croyance, il n'y a aucune certitude absolue.

     

    Halka capte des choses. Elle me réveille assez souvent la nuit pour savoir qu'elle m’invente rien. L'astral existe bien.

     

    L'astral existe bien ... Xavier... Xavier... Mon Dieu Xavier tu vis vraiment encore.

     

     

     

     

    Halka incapable d'affronter son savoir, a implosé de rire. Je suis certaine que si j'allais dans sa chambre maintenant, je ne découvrirai pas une fille en train de fomenter des séditions pour sa prochaine rencontre avec Solange, non je suis sûre que j'aurai face à moi, un visage grave, qui m'avouerait que ce n'est pas la première fois qu'elle sait des choses qu'elle ne devrait pas savoir et que ça l'effraie. 

     

    Est-ce plus effrayant pour moi spectatrice que pour elle à qui les informations privées arrivent ?  Je suis sûre que ce n'est pas la première fois qu'elle capte des morceaux de vie d'inconnus.

     

    Que sait-elle sur moi ?

    Est-ce qu'elle a vu Xavier ?

     

    Marie Pierre est furieuse contre Halka. On le serait à moins. Je l'ai été, je ne le suis plus.

     

    Je pense à Samuel, je comprends sa réaction face au livre. C'est terrible qu'après toutes ces années, il ne parvient toujours pas à aborder le sujet de son corps. Je comprends maintenant ses cols roulés, ses manches longues.

     

    Je savais qu'il avait eu une enfance difficile. Solange m'a racontée qu'il avait une maladie de peau qui l'obligeait à subir des greffes. Une maladie de peau ! Jamais elle ne m'a parlé d'incendie. Elle disait maladie de peau. Pourquoi mentir. Taire ou dire, mais pas mentir. Je ne comprends pas sa logique.

     

    Et Mickaelle. Où est Mickaelle ?

     

    Jamais Solange ne m'a dit avoir eu un second enfant. Quel age avait elle le jour de l'incendie ? Si Samuel en avait 3, peut-être en avait elle 4, ou 5 voir 6. Même 10. Est-ce qu'une gamine de dix ans peut vraiment réaliser qu'elle peut tuer son frère ?

     

    Je n'ose imaginer l'enfer de mon enfance si j'avais brûlée ma soeur. Comme j'aurai souffert de la voir à l'hôpital ! Vingt quatre opérations.

     

    Marie Pierre a dit sur des années. Des années. Vingt quatre opérations. C'est terrible. Vingt quatre.

     

    Je me souviens  parfaitement que Solange m'ait dit avoir passée des années en région parisienne pour son fils, sa santé, cette prétendue maladie de peau. Mais jamais elle ne m'a parlée de Mickaelle.

     

    A l'enterrement de son père Mickaelle n'était pas là. Il n'a jamais été fait mention qu'il avait une fille. Je n'ai pas entendu de toute la journée, une personne regrettant voir reprochant son absence. C'était comme si pour la famille, les proches, Samuel était fils unique. Et j'ai trouvé ça normal, je le croyais fils unique. Où est Mickaelle ? Sait-elle seulement la mort de son père ? Est-elle morte ?

     

    Halka fait des rêves prémonitoires. Que sait-elle sur moi ?

     

    Pourquoi quand elle a rencontré Samuel ne m'a t-elle pas dit qu'il s'agissait de lui ? Elle m'a toujours affirmée qu'il n'y avait aucune corrélation entre le Samuel de ses nuits et le Samuel en chair et en os.

     

    Quand je lui ai raconté qu'il m'avait insultée et qu'il était parti en claquant la porte après avoir vu le livre, elle aurait pu m'expliquer qu'il n'aimait pas aborder le sujet des brûlures, qu'il refusait toute évocation de son passé. Non ce soir là, elle m'a jouée la fille qui ne comprenait pas plus que moi. Est-elle hypocrite ? Ce ne tient pas la route. Elle a toujours su que le Samuel de ses nuits est aussi le Samuel de la clôture. Quand on capte des prémonitions depuis des années, on ne se raconte pas d'histoires, on sait faire la part des choses. Pourquoi Halka a insisté dans la voie du mensonge. Pourquoi refuser de me dire que les deux Samuels ne sont qu'un ?

     

    En vérité je me fous de Halka. Elle n'est que de passage dans ma vie. Ce qui n'est pas le cas de Solange. Elle est mon amie depuis un quart de siècle. Ce n'est pas son comportement désolant des derniers temps qui va me faire oublier la réalité : elle est mon amie.

     

    Et je ne comprends pas qu'une amie puisse taire l'existence d'un enfant.

     

    Admettons que Mickaelle ait treize ans quand un jour, son frère l'exaspère. Admettons qu'en colère, elle l'enferme dans la cabane du jardin, puis qu'elle siphonne l'essence de la voiture de son père pour avoir un combustible afin de tuer son frère par le feu. Disons qu'elle vient de voir ça dans un film. Disons qu'ensuite, le frère n'étant pas mort mais hospitalisé, elle réalise l'énormité de son acte, et désespérée elle se suicide. L'histoire est terrible mais avouable. Solange n'a aucune raison de me la taire. Micheline qui élève ses cinq enfants, n'a jamais caché qu'elle a six en réalité. En troisième enfant elle a un fils mort dans son lit sur le premier mois de sa vie. Tout le monde sait qu'elle est la mère de six enfants. Comment Solange a pu l'écouter dire que son fils aurait X années ce jour, et ne pas ajouté : ma fille est morte à treize ans. Où à un autre âge.

     

    Maintenant qu'il n'y a plus de secret, maintenant que Halka a horrifié Marie Pierre, elle ne va plus faire de cauchemar. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai comme le pré-sentiment qu'elle va bientôt partir. Je crois que c'est bien. Je crois qu'il est temps. Elle a assez fait de dégâts comme ça.

     

    - Mon geaidydy tu vas me manquer. Tu crois que si je demande à Halka que tu restes avec moi, elle va accepter ? Il ne faut pas rêver.

    « 2325 »

  • Commentaires

    1
    Lundi 21 Mars 2016 à 20:12

    ça s'éclaire nettement ici (et toujours le feu, hein ?)

    2
    Lundi 21 Mars 2016 à 20:34

    C'est le thème du livre : Il brûle.

      • Mardi 22 Mars 2016 à 07:46

        Oui j'avais compris, mais tu te débrouilles pour mettre du feu partout ..

    3
    Samedi 26 Mars 2016 à 12:06

    Alors là ... c'est moi qui n'avait pas compris frown.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :