• S - Titouan, voilà bien longtemps que l'on ne t'a pas vu à la boucherie. Cela fait plaisir de voir que tu te souviens que tu as une famille. Quel bon vent t'amène ? Ton père vient de découper de magnifiques rôtis, tu en veux un pour ce soir ?

    T - Est-ce qu'un jour, quand j'étais petit tu as regretté de m'avoir mis au monde ?

    S - Tu y vas fort, là, mais si tu vas par là, comme toutes les mères un jour, oui, d'une certaine façon. Il y a des fois où tu m'as poussée à bout, alors non, jamais je n'ai regretté de t'avoir porté, d'avoir accouché de toi, même si les heures furent longues et difficiles. Aucun accouchement n'est une partie de plaisir, et le tient fut bien plus douloureux que celui de Charlotte. Donc pour revenir à ta question, oui souvent quand tu ne m'écoutais pas petit, oui, j'ai pu avoir  envie de t'étrangler. Tu étais un bébé très difficile. Toujours à pleurer. Jamais tu ne voulais dormir. Alors oui, plus d'une fois j'ai eu envie de t'étrangler. Mais tu le sais, malgré l'envie, jamais je ne t'ai frappé. Dieu sait pourtant que tu l'as mérité plus d'une fois.  Pourquoi cette question ? Tu te demandes si tu es normal ? Tu as envie de tuer Lou-Evan ? Il hurle la nuit, tu ne parviens pas à dormir. Tu as vraiment une sale tête Titouan.  Avec ce que tu manges aussi... Tu vas prendre ce rôti. Viens, je vais te l'envelopper. J'ai toujours dit à Charlotte de revenir vivre ici, ou de se prendre un appartement. Maintenant qu'elle est mère, c'est ridicule de s'obstiner à vivre avec toi, son frère.

    T - Je suis quoi pour Charlotte ?

    S - Son frère. Tu es son frère. Tu l'as oublié ? Tu joues à quoi là ?

    T - Oh je ne joue pas. Comme tu me vois là, je me retiens de te sauter à la gorge pour t'étrangler. Et tu vois je crois que même quand tu seras morte, je n'arriverai pas à desserrer  mes mains. Alors si tu veux rester en vie, je te repose la question et tâche de me donner la bonne réponse cette fois. Je suis quoi pour Charlotte ?

    S - Mais enfin Titouan, qu'est-ce qui te prend ? Tu entends ta voix comme elle tremble ? Tu as bu ? Tu es ivre ?

    T - Je suis QUOI.

    S - Tu vas me faire le plaisir de baisser d'un ton. On va finir par t'entendre de la boutique. Tu ne me parles pas comme ça. Je suis ta mère.

    T - Non.

    S - Non quoi.

    T - Tu n'es pas ma mère. Charlotte n'est pas ma sœur. Papa n'est pas mon père. Tu n'es pas ma mère.

    S - Mais tu dérailles complètement mon pauvre fils. A fréquenter ton handicapé pédéraste, tu deviens aussi malade que lui. Si tu es venu ici pour me crier de telles horreurs, tu peux repartir. Comment oses-tu, après tout ce que j'ai fait pour toi ?

    T - Je suis venu pour te dire que je te laisse cinq jours. Pas un de plus. Cinq. Dans cinq jours je veux avoir en ma possession un papier officiel. Avocat, notaire, juge, je m'en fous tu te démerdes. Je veux que tu me fasses un papier officiel où tu reconnais n'avoir aucun lien sanguin avec moi. Si au matin du sixième jour je n'ai pas le papier je porte plainte contre toi pour rapt d'enfant et crois moi, quand je sortirai de la gendarmerie, un journaliste m'attendra devant la grille pour écrire un article sur ce que tu m'as fait.

    S - Mais qu'est-ce qu'il te prend, tu es devenu fou.

    T - Deuxième chose ne t'avise pas de menacer Romain mon père, ou Maxime ma mère. Avant de passer ici, je me suis arrêté à la gendarmerie. Je ne peux pas poser une main courante contre toi, tant que tu n'as rien fait. Parce que pour eux tu n'as rien fait. Ne t'avise pas de les intimider. N'approche pas de Maxime, n'approche pas de Romain. La suprématie de Solène c'est fini. Tu es finie.

    S - Sors de ma maison. Tout de suite. SORS.


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    Plouër sur Rance

    Le Mercredi 22 juin 2016

     

    Mes filles,

     

    Je vous sais en pleine colère contre moi depuis le jour où votre tante Claudine vous a annoncé la mort de votre frère.

     

    La résignation est toute ma vie. Combattre n'est pas fait pour moi. Parfois, minable, j'ai des sauts d'audace. Cette lettre en est un. Tout aussi vain que les autres. Il faut croire que pour sauver mon honneur j'ai besoin de m'illusionner, de me dire que tout de même j'ai lancé des actions. Se donner bonne conscience n'est pas se donner les moyens d'arriver à quelque chose.

     

    Passons, tout ça vous le savez déjà et l'objet de cette lettre n'est pas là.

     

    J'imagine que vous ne me lirez jamais néanmoins je vous invite à consulter la lettre que j'ai écrite à Rodolphe qui est tout aussi vivant que vous. Je viens de la lui écrire, je viens de vous en faire une copie via le fax du restaurant que je m’apprête à quitter. L'impression est peu glorieuse, elle est en pleine harmonie avec le message. J'ai fait une copie pour chacune de vous, et une troisième pour votre père. C'est probablement sa curiosité qui vous conseillera d'accorder de la valeur au texte.

     

    J'espère qu'il prend bien soin de vous.

     

    Maxime.

     


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    Titouan,

     

    Je m'appelle Maxime  Sanson, je suis la petite sœur de Claudine, la deuxième fille des boulangers Léonard. Je ne sais même pas pourquoi je me dis Sanson, mon divorce est effectif, je devrai reprendre mon nom de jeune fille. La boucherie, la boulangerie sont collées comme Solène et moi l'étions enfant.

     

    A l'age de 19 ans j'ai eu une relation sexuelle pas vraiment désirée. Je suis du nombre des + de 50% des femmes. J'ai commencé ma vie sexuelle sans désir  et envie. Je sais, pour une première lettre c'est une peu noble entrée en matière mais que veux tu, la vie n'est pas livrée dans un écrin d'argent.

     

    Quand je ne suis sue enceinte de toi, je n'ai pas cherché à reprendre contact avec ton père Romain Fouques puisque nous n'étions rien l'un pour l'autre. Les hommes s'amusent et les femmes en assument les conséquences. Pardon, je n'aurai pas dû ajouter cette phrase. Tu es un homme. Les généralités sont ridicules. Andrée ta grand-mère m'a dit que physiquement tu tiens de ton père. Je n'en déduis pas que tu as son caractère. De toute façon cet homme est peut-être quelqu'un de bien, je ne sais rien de lui.

     

    Tu n'es pas né d'un viol, ton père n'est pas un violeur. Ton père devait me trouvé à son goût et facile, naïve, sotte, je l'ai laissé faire tout ce qu'il voulait. Je suis responsable de tous.

     

    Dès ma certitude de grossesse, j'ai prévenu mes parents, chez qui je vivais encore. Dans ma famille il y a une loi. Nous ne sommes pas des individus mais un nom de famille, un chiffre d'affaire. Je sais que tu comprendras très bien ce que cela implique, les Léonard, les Brahic, même mode d'emploi. Elie et Andrée - Max et Claude : Expressions différentes mais même fondement. D'ailleurs je pense que c'est valable pour bien d'autres familles de commerçants. Le chiffre, le chiffre, encore et toujours le chiffre.

     

    Ma mère a très mal vécu que je sois célibataire et enceinte. Elle a encore plus mal pris mon refus de nommer le père de l'enfant futur. Les Fouques sont peintres de père en fils, je ne voulais pas détruire une réputation, une famille.

     

    Ma mère m'a fait quitter la maison dès que mon père, aidé du chauffeur qui nous livrait la farine m'a trouvé un travail en boulangerie sur Vitré.

     

    Plus tu grandissais en moi, plus je devenais nous. Je ne te cache pas que les premiers jours, cette grossesse me faisait peur. Bien plus tard, quand j'ai été enceinte de ta première demi sœur j'ai réalisé qu'à aucun moment je n'avais songé à l'IVG pour le foetus qui devint toi. C'est bien la preuve que malgré mes peurs, je ne t'ai jamais refusé. J'ai fait un IVG dans ma vie. Après ma seconde fille. Roger mon mari n'en a rien su. Je lui ai raconté avoir fait une fausse couche. Il voulait un fils. Il le répétait presque jour et nuit. Je ne pouvais pas avoir un autre fils que toi. C'était au dessus de mes forces. L'élever lui et pas toi... Comment aurai-je pu trouver ça juste ? J'ai toujours eu conscience que j'étais une mauvaise mère avec mes filles. Quelque chose en moi refusait qu'elles aient ce que je ne pouvais te donner. Si j'avais eu un fils, je n'aurai pas supporté. Donc j'ai choisi de subir un IVG. Lâcheté. C'est tout moi. J'en suis navrée, mais je suis quelqu'un de bien peu glorieux.

     

    Non jamais je n'ai pensé ne pas te mettre au monde. Et ne va pas croire qu'à l'époque il fallait aller en Angleterre ou au pays bas pour subir une interruption de grossesse. Je connaissais très bien la procédure. Bien avant d'être enceinte de Titouan, (évidement pas toi, mais l'enfant que tu remplaces) Solène est tombée enceinte. Je l'ai accompagné à toutes les étapes. Tu peux questionner  ton oncle Loïc, il te le confirmera, il nous a véhiculé chaque fois. En était-il le père ? Comme disait Solène, "il le croit, cela suffit". Bien plus que le croire, il devait en être assuré. Solène est aussi très douée pour convaincre les gens... Et encore plus quand il s'agit de récupérer de l'argent, comme ce fut le cas.

     

    Revenons à nous, je ne suis pas là pour faire un procès à Solène.

     

    Avec le temps mon désir de toi s'est éveillé. Je nous ai fait un petit nid douillé, je t'ai acheté des petits vêtements, des peluches, Sophie la girafe. Te savoir dans mon avenir a décalé tous mes centres d'intérêt.

     

    J'ai accouché toute seule. Tu es né le 2 janvier 1990 à 2h53. Tu pesais 3 kg 590 pour 51 centimètres.

     

    Nous sommes rentrés le 5 janvier seuls mais ensemble dans notre studio. Pour sortir de la maternité j'ai menti. Ils voulaient que l'on vienne me chercher, j'ai donc dit qu'une voiture m'attendait en bas. Nous sommes rentrés à pied. Je te tenais bien fort contre mon ventre pour que tu n'ai pas froid. L'hiver de ta naissance fut très doux. Il faisait même bien beau ce 5 janvier. Tu n'imagines pas la force et la beauté que ta présence me transmettait. J'aurai pu chanter dans la rue. Ce que j'étais heureuse alors.

     

    J'ai ensuite vécu les dix plus beaux jours de ma vie.  Tu étais mon trésor, mon ange, mon héros, mon dieu. Je ne jouais pas à la poupée avec toi, non ce n'était pas ça. Je ne jouais à rien, je te contemplais et je me disais "Mon Dieu comment est-ce possible qu'un tel Ange m'ait choisi moi ?" Je n'ai jamais ressenti ça à la naissance de mes filles.

     

    Jean Charles m'a dit que tu étais père, tu sais donc qu'avant d'avoir un enfant on ne vit que pour soi, même si on tient compte de ses parents, de ses amis. Même très soucieux des autres on demeure le centre de gravité de tout. Quand on a la charge, la responsabilité d'un petit être incapable de survivre seul, l'essentiel se décale. Nous devenons juste vivant pour cet autre. Le centre de gravité change de corps. Et étrangement, on se révèle à soi parce que l'autre.

    En résumé :

    Enfant je croyais être quelqu'un. Je n'étais en fait rien puisque sans raison d'être.

    Mère, tu m'as fait naitre et je suis devenue quelqu'un puisque toi.

    Et finalement en te perdant je me suis perdue.

    Me retrouverai-je un jour ?

     

    Entre le 12 janvier 1990 et aujourd'hui je n'ai été qu'un spectre, un automate. Mon ex mari et mes deux filles peuvent te le confirmer. Juste une machine outil, je n'étais juste qu'une machine outil. Et pas la meilleure. Le plus étrange c'est que je n'ai jamais su nommer mon mal être. J'ai toujours senti une non vie en moi. Combien de fois j'ai regardé les gens autour de moi en me demandant pourquoi ils étaient "si", ou plutôt "trop". Tout a toujours été terne pour moi. Ok le film est bien mais bon, ok cette chanson est bien, mais bon, ok ce plat est bon mais bon... fan de rien, passionnée par rien. En un mot : éteinte.  Depuis cet après-midi, depuis que je suis parvenue à articuler Titouan est mon fils, c'est comme une évidence. Le jour ou tu es parti dans les bras de Solène, j'ai emmuré mon émotionnel. Depuis je vis sans affect, je ne ressens plus rien, plus rien ne me touche.

     

    J'ai été quelqu'un dix jours. Du 2 au 12 janvier. J'ai vécu ces dix jours sans jamais te lâcher des yeux. Tu as sous ton bras droit une petite constellation d'étoiles. Ce ne sont pas des taches de rousseurs puissent-elles ont un volume. Est-ce des verrues rousses ? Je ne sais leur nom. C'est à cause d'elles que je te disais être ange descendu du ciel. Je ne t'ai jamais lu d'histoire, je passais mes journées à t'inventer un passé avant nous. Tu étais un ange derrière les étoiles, un ange qui m'avait vu sur terre et qui avait traversé le rideau d'étoiles pour me rejoindre et la preuve était que 7 d'entre elles étaient restées collés à ta peau.

     

    Un jour sur l'année de tes quatre ans, je me suis faite tatouer ta constellation, au même endroit, sous le bras. Les trois petites qui forment une ligne parfaite, la grosse plus à droite et les lointaines qui chutent vers ta taille. J'ai tes étoiles sur la peau. Quand on me demande pourquoi ce tatouage mal placé, singulier, je n'ai qu'une réponse invariablement : j'aime bien. Non je n'aime pas en soi. Ce tatouage je ne l'ai fait que pousser par une peur : tout perdre de toi.

     

    Je n'ai que deux photos de toi. Celles prisent par le photographe passé à la maternité de l'hôpital. Je n'avais pas d'appareil. Je ne songeais qu'au présent, je n'archivais pour l'avenir. A l'époque on ne vivait pas avec un téléphone au bout des doigts, on ne passait pas son temps à photographier ce que l'on avait dans l'assiette, à un mètre de soi ou sur le dos pour le basculer sur les réseaux sociaux. A l'époque on accordait de la valeur au "ici et maintenant" et l'ailleurs, et bien c'était ailleurs, donc éloigné des pensées.

     

    Ensuite dans mes histoires je te racontais tout ce que nous allions vivre de fabuleux ensemble. Hors il n'y eu plus d'ensemble. La sonnerie de la porte s'est faite entendre au milieu de la matinée du douze janvier. Toute à mon bonheur en ta compagnie, je suis allée ouvrir à l'enfer.

     

    C'était Solène en larmes et en fureur avec son fils Titouan. Elle n'était jamais venu te voir Rodolphe encore. Nous ne nous étions jamais vu depuis que j'habitais Vitré. Nos derniers échanges dataient. Yves l'avait demandé en mariage, elle l'avait ridiculisé. Puis elle était retombée enceinte et au lieu de subir un second IVG, elle avait accepté sa proposition. Toute à sa grossesse et à son mariage futur, elle s'indifférait bien de sa non copine qui avait été éloigné de sa famille car enceinte. Toute à sa nouvelle vie de future mère et femme, je ne comptais plus pour elle, moi le mouton noir de la famille si blanche et pur de la boulangerie Léonard.

     

    Pourtant la voilà chez moi avec son fils, le petit Titouan que je ne connaissais pas. Je ne m'étais pas poussée assez vite pour la laisser entrer, aussi elle m'a cognée dedans. C'est comme si à ce moment là j'avais basculé en état de léthargie. J'étais là, debout mais rien. Une torpeur, un engourdissement du cerveau. Je ne me suis plus jamais retrouvée dans le même état et je n'ai jamais vu quelqu'un aussi éteint. Mickaelle mon amie qui est en couple avec le russe de l'orphelinat lit énormément. Elle doit bien lire plus de livres qu'il n'y a de semaines dans l'année. Un jour je lui ai parlé de mon état. Bien sûr j'ai brodé autour, je crois que je lui ai parlé d'un rêve que j'aurai fait ou d'une collègue qui m'aurait raconté que quelqu'un qu'elle connaissait s'était trouvé dans un tel état. Si je ne me souviens plus de mon scénario inventé, je n'oublierai jamais sa réponse : Crédibilité zéro. Pour elle c'est impossible de rester sans réaction, quoique soit la situation. Elle a parlé de gens qui ne parvenaient pas à bouger mais qui hurlait dans leur tête, d'autres qui tombaient inconscient ou en larmes, mais laisser faire sans réaction et émotion, là non, crédibilité zéro. Et Bien Rodolphe ta mère est ce zéro. De la première à la dernière seconde je suis restée figée, corps et d'esprit.

     

    Solène s'est dirigé directement vers la table pour y poser le cosy. Elle s'est mise à déshabiller son fils. Elle parlait vite. Non elle ne parlait pas, elle criait, se révoltait, elle menaçait les Dieux et le ciel. Comme moi son bébé ne réagissait pas. Les gestes étaient rapide, sans douceur, pourtant rien n'avait d'influence sur son calme. Il acceptait tout de sa mère. Ensuite elle est allé sur le lit t'ôter tes vêtements pour t'habiller de ceux de Titouan. Tu as pleuré sous sa brutalité. Tu as pleuré et mon coeur ne s'est même pas soulevé, et mon corps ne s'est même pas animé. Je suis restée tel une poupée de chiffon. Je ne me suis pas plus opposée quand elle t'a installé dans son cosy, je n'ai pas plus réagi quand elle t'a caché de sa couverture verte. Au final, je l'ai laissée ouvrir la porte et partir avec toi sans rien dire.

     

    Je me suis laissée faire pour ta conception, je me suis laissée faire pour ton vol. Minable à en mériter l'échafaud.

     

    L'ouragan passé, Titouan nu sur la table, moi debout dans l'entrée du studio nous avons été enveloppé d'un silence plus violent que tes pleures et ses cris. Solène n'a pas du mettre plus de quatre minutes pour te voler, combien de temps m'a-t-il fallu pour parvenir à me mouvoir à nouveau ? Je sais que j'ai repris vie par la pensée. Titouan a froid. J'ai pensé que Titouan devait avoir froid. J'ai donc fini par avancer vers lui. J'ai voulu l'habiller, mais il n'avait plus de vêtement. Il y avait les tiens sur le lit, oui, les tiens sur le lit. Automate, je suis allée les récupérer pour les lui mettre. Je n'y suis jamais parvenu. Il était froid. Tous les morts sont froids. Solène avait utilisé le mot mort, mais je ne percutais toujours pas. Il était froid et je ne parvenais pas à le toucher. C'était comme trop dur, ce froid, ce froid. Je n'arrivais pas. Je le regardais. Il était si blanc, si froid. Je me faisais violence, je devais l'habiller, il avait froid, mais non c'était trop dur. Peut-être qu’inconsciemment je ne parvenais pas à lui passer tes vêtements comme on ne parvient pas à signer au bas d'une feuille quand le texte est trop grave.  A un moment il y avait une telle dualité en moi que j'ai téléphoné à maman. J'avais besoin d'aide.

    Il est froid, si froid.

    Elle est au antipode de moi ma mère, elle a réagi tout de suite. Froid = mort. Mais elle a été plus loin. Mort = meurtre. Elle est arrivée le plus vite qu'elle a pu. Elle ne t'avait jamais vu. Personne ne t'avait jamais vu. Elle a vu un bébé nu mort sur la table. J'avais tué mon fils. Son verdict fut sans appel. Elle m'a frappée. Elle s'est déchaînée. Jamais je ne l'avais connue violente, mais là, crois moi, elle m'aurait massacrée si je ne m'étais échappée. C'est en rampant pour m'en protéger que j'ai atteint la porte. Mon sac avec mes papiers étaient à porter de main. J'ai eu la présence d'esprit de m'en saisir.

    La suite tu la connais.

    Maxime a tué son fils Rodolphe et Solène a élevé son fils Titouan.

     

    Ma mère m'a interdit la maison familiale. Mon père aussi faible que moi, a accepté toutes ses volontés.

     

    Une fois, juste une fois j'ai téléphoné à Solène. Tu devais avoir dix huit mois au plus. J'avais retrouvé un toit, un travail. Il m'a fallu mille essais pour parvenir à composer le numéro de la boucherie en entier et à ne pas raccrocher avant d'entendre une voix à l'autre bout.

     

    Quand Solène a compris à qui elle avait affaire, elle m'a conseillée de la laisser en paix. Elle refusait d'être en relation avec une dingue qui tue son fils. Calmement elle m'a dit que j'étais assez intelligente pour comprendre qu'elle ne pouvait me laisser approcher de son fils, c'était trop dangereux pour lui, je pouvais le tuer comme j'avais tuer mon propre fils. Elle a raccroché suite à un "je suis désolée". Solène était désolée de ne pouvoir demeurer mon amie parce que j'étais une tueuse.

     

    Tu vois à ce moment là, j'ai été un chien qui se prend un coup de pied et qui poursuit son chemin vers un monde de froid et de faim puisque l'homme est trop violent pour insister encore, pour le supplier encore.

     

    Voilà Rodolphe comment tu es devenu Titouan.

    Rodolphe est mort parce que je ne vaux rien.

    Solène s'est battue comme une lionne pour que son fils reste en vie au delà de la mort et moi et bien moi, je n'ai rien fait pour te sauver la vie. Il y a plus de combativité dans une plante verte, un légume qu'en Maxime Léonard.

     

    Du fond du coeur Rodolphe je te souhaite de n'avoir rien de moi.

     

    Je ne mérite aucun pardon. Tu peux venir me battre, ce serait justifié. Tu peux venir finir ce que ma mère a commencé.

     

    Mais avant, je t'en supplie, écoute moi. Rodolphe, pardon Titouan, je sais n'être même pas digue d'un regard mais j'ai malgré tout l'insolence, l'indécence de te demander de m'écouter. Je t'en supplie, accorde de la valeur à ce message : Bats toi pour ton fils.

     

    Peut-être que tu le fais déjà, alors pardon. Je ne sais rien de ta vie, Jean Charles ne m'en a rien dit, si ce n'est que ton fils est officiellement né de père inconnu. Ne sois pas faible comme moi, bats toi pour lui. Je t'en supplie, ne me ressemble pas mon fils.

     

    Maxime.

     


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  • Restaurant La Cale

    Plouër sur Rance

    Le Mercredi 22 juin 2016

     

    Jean Charles,

     

    Après ton départ je suis tombée sur le sable. Je n'a pas perdu conscience, j'ai perdu mon ossature. Oui c'est un peu ça l'image, c'est comme si durant des années je vivais dans un corset rigide, très rigide, sculpté  dans du vrai granite breton. Articuler : Titouan est mon fils, l'a explosé.

     

    Tu as donné rendez-vous à une emmurée et c'est un mollusque que tu as laissé sur le sable.

     

    Ne t'en désole pas. Tu as réalisé là une grande chose. Tu dois avoir un incroyable pouvoir pour être parvenu à me faire parler si facilement.

     

    Je ne sais combien de temps je suis restée assise sur ce sable sans rien voir, rien faire, momifiée. Ce qui est sûre c'est que mon comportement a inquiété un certain Mr Philippe Hamon qui était sur son bateau. Il est venu s'assoir à mes côtés. C'est un éditeur de cartes postales. Il m'a laissé sa carte de visite pour que je lui téléphone si j'avais à nouveau envie de parler à quelqu'un de neutre. Elle est au fond d'une poubelle. Je n'ai pas besoin de lui, il n'a été que témoin de mon retour à la vie. J'avais juste besoin d'un quelque chose qui me ramène à la réalité. Ce fut sa main sur mon bras, cela aurait aussi bien pu être le ballon d'un enfant qui percute mon dos, où l'eau qui me lèche les pieds.

     

    Il nous avait vu ensemble, il avait cru que tu étais mon amant. Preuve qu'il nous voyait de bien loin. Qu'est-ce qu'un jeune homme comme toi pourrait faire d'une vieille comme moi ? Il a cru que tu venais de me plaquer. Je lui ai tout déballé. Toi tu fus discret, ou plus exactement tu n'as pris que ce que tu étais venu chercher. A lui j'ai tout raconté. Ce n'est même pas cela. J'ai profité qu'il soit là pour tout me remettre devant les yeux, pour remonter de ma mémoire l'ensemble des éléments. Mes vagues de mots, je les ai déversés pour moi, pour n'en vider, pour n'en imprégner autrement. On oublie trop souvent à quel point c'est à soi que l'on parle majoritairement. Ce n'est pas que j'avais encore besoin de me justifier, de me trouver des excuses, non cette fois, c'était plutôt un besoin de revisualiser la totalité du désastre. Tu vois c'est un peu comme si tu retrouves une maison de famille après des années. Tu vas passé de pièce en pièce pour rendre vivant devant toi ce qui dort sous la poussière. Il n'y a pas de " j'aime " ou " je n'aime pas" , il n'y a que des " ainsi soit-il ".

     

    Étrangement cette inspection a réveillé une énorme faim en moi. Pourquoi j'écris étrangement, c'est absurde. " Manger pour combler le vide ". Nul besoin de psychiatre pour poser un diagnostique. 

     

    Nous sommes allés au restaurant. 

    J'y suis restée pour  t'écris. Merci à eux de m'avoir offert ces feuilles.

     

    Je n'ai pas la force de rentrer à Saint Méen le Grand. J'ai le sentiment qu'une guerre m'y attend. Une guerre qui me sera impossible d'éviter cette fois. Je ne me sens pas prête à combattre. Je vais monter à Paris. J'ai une amie qui a un appartement là-bas. Elle ne s'y rend qu'un week-end sur deux. Cette semaine elle n'y sera pas et son Russe d'amoureux non plus. Oui le russe à l'orphelinat. Ta mère n'invente pas tout, il y a bien un russe directeur d'orphelinat. Je vais y passer quelques nuits et ensuite ... Et bien ce sera ensuite.

     

    L'homme du bateau, Philippe Hamon m'a fait voir nos vies d'un angle assez inattendu. Il m'a dit que Titouan reproduisait ma vie. J'ai un fils que je ne reconnais pas, il a un fils qu'il ne reconnait pas. Ce Philippe ajoute qu'ensemble nous devons conjurer le sort. La logique de destinée, de karma, tout ça je n'y crois pas, mais c'est vrai que mon fils n'est pas le père de son enfant comme je ne suis pas la mère du mieux.

     

    On dit que la lâcheté est la grande spécialité des hommes, désolé c'est assurément ma qualité première. Néanmoins, je te jure, que si Titouan a besoin de moi pour que son fils ne lui soit pas enlevé, je serais là. Je n'ai que de tous  petits moyens. Je ne parle pas d'argent, mais de forces mentales. Je jure que je ferais tout ce qu'il attend de moi. Je te jure. Je le lui jure.

     

    Je présume qu'à l'heure qu'il est, 21H48, tu es encore au près de Titouan. Il doit te poser mille questions auxquelles tu ne peux répondre. Voilà pourquoi j'ai pris le stylo avant la route.

     

    Merci de lui offrir la lettre que je m’apprête à lui écrire.

     

    Jean Charles,

    Je ne sais pas contrairement à toi, ce que sera l'avenir. Je peux juste te parler du présent. Merci. Merci de m'avoir fait crever l’abcès.  Prends soin de toi. J'aurai aimé que mon fils fut toi, tu me sembles tellement quelqu'un de bien. Il est normal que tu ne sois pas mon fils. Un fils si bien, je ne le mérite pas. Maintenant que la phrase est écrite je réalise qu'on peut y lire que je sais Titouan piètre. Non, je suis sans apriori face à lui, je voulais juste te complimenter sans l'insulter.

    Je t'embrasse.

    Maxime.


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  • Le lui dire. Juste à lui, ou à elle en même temps ? Y inclure maman pour tout régler d'une seule fois ? Taire le père puisque inconnu, ne raconter que la mère. Ou juste lui conseiller de la rencontrer et les laisser de débrouiller entre eux. A moins qu'il ne me faille rien faire. Juste tout garder pour moi. Un temps, juste un temps. Le temps de quoi ? Dire au temps des larmes ou des cris. Garder l'info en arme. Vraiment pas délicat. Soupeser le pour et le contre. Contre et pour pour qui ? Moi, lui, elle ? Et Loulou dans tout ça ? Compter sur Maxime. Se dire qu'après moi elle va bouger, vouloir le rencontrer, poursuivre notre conversation avec maman. Tout taire à maman ou lui révéler l'ensemble pour que dans l'heure suivante, bien plus d'éléments se diffusent dans tout Saint-Méen-le-Grand. Créer un cahot pour désarmer Solène. Et Yves ? Si je commençais par lui. Parler entre hommes. N'étant pas fan de son fils, qu'il ne le soit pas, peut lui convenir. A moins que ... A moins qu'il n'aime pas son fils car il sait ne pas l'être. Ceci expliquerait cela. A quel point ce qui est une découverte pour moi est un secret ? J'étais peut-être le dernier avisé ? Non Titouan l'ignore aussi. Véritable casse tête tout ça.

     

    Dans la voiture de mon retour de mer, je n'ai cessé de me torturer les méninges. J'aurai voulu agir au mieux, pour le bien de tous. Être l'être parfait, un Zorro des temps modernes, moi le même pas singe d'un zoo.

     

    J'ai voulu que Maxime m'affirme être la mère de Titouan pour le sauver lui et son fils. C'est fou comme j'ai senti un espoir immense au moment des élucubrations de maman. C'est fou tout l'espoir qui m'a habité sur le chemin de l'aller, même avant, quand je me suis rendu à la boulanger, déjà pour voir à quoi elle ressemblait et ensuite pour l'inviter. C'est vraiment fou comme alors j'étais gonflé à bloc.

    Quelle dégringolade.

     

    Dans la voiture, riche de mon savoir bien encombrant, je roulais droit et pensais de travers. Ma voiture m'a conduite à la laiterie, pour voir papa, comme un bon vieux cheval ami qu'elle n'est pas. Je crois que cette histoire me dépasse, que face à elle je me suis senti tout petit, aussi inconsciemment, comme un môme je suis allé voir papa. C'est assez minable en soit. Vraiment pas de quoi être fier de soi.

     

    Il n'a jamais vraiment été à la hauteur dans ma vie ce type. C'est le genre d'homme qui pense qu'être père c'est payer. Que ses enfants ne manquent de rien. Avoir cent mille euros sur un compte bancaire et n'être jamais dans les yeux de son père, c'est manquer de tout. Combien d'hommes ne le comprennent pas ? A croire qu'ils n'ont jamais été fils.  D'ailleurs peut-on être fils si le père n'en est pas un ? Que de géniteurs et de mômes livrés à eux-mêmes. Et l'on dit l'espèce humaine sociale ! Beau mensonge. Les siècles changent mais c'est toujours des paires de couilles qui cherchent des femelles et des mamelles qui deviennent des gamelles lavées, remplies par celles qui se coltinent les gosses. Titouan ronchonne de ne pas être père. Récolte de pacotille, il ne hurle pas sur la place public, il ne revendique pas un quelconque droit. Il se donne bonne conscience comme tous les nabots de la Terre.

     

    Un père, un vrai, un qui aime, épaule, soutient, je n'en avais jamais vu avant cet après-midi.

    Incroyable transformation. Je ne m'y attendais pas.

     

    Pas envie de réfléchir plus. Le risque de réaliser qu'il n'a pas agi pour moi menace de se révéler. Pour une fois j'ai envie de me leurrer encore, de croire encore un peu, avoir vu un père. Mon père. Pour une fois j'ai envie de me dire que j'ai été fils au côté de son père. Mais qu'en restera-t-il demain ? Verrai-je encore un paternel qui me soutient ou se révélera à moi un chef d'entreprise qui gère un dossier épineux ? Parce que, soyons objectif, il s'est vite proposé à le transférer. Certes c'est Titouan qui a émit l'idée, mais il s'est greffer dessus comme si il n'attendait que cela depuis le début. Pas un mot pour le retenir, pas une hésitation respectueuse. Il y a du "casse toi pauvre con" derrière tout ça que je ne m'en étonnerais pas.  Il y a probablement bien plus de logique de volonté d'éloignement que de désir de soutient. Si personne n'y voit rien, autant taire l'évidence. On avancera, on oubliera. Comme toujours.

     

    Tout le temps où François Xavier faisait le con, il a été en dessous de tout. Il n'a pas épaulé maman totalement dépassée, il n'a pas recadré mon connard de frère, il ne m'a pas su me repliant sur moi. Il constituait des comptes bancaires. Xav est mort avec plus de vingt trois mille euros en banque. Quelle misère !

     

    Ensuite ce fut l'accident. Il a déserté. Non. Il n'a pas changé, il a continué à être absent. Je ne l'ai pas vu à l’hôpital, jamais. Jamais il n'est venu me voir. Jamais. Et maman qui s’acharnait à lui trouver toutes les excuses : peur, désœuvrement, manque de temps, timidité, pudeur... J'avais seize ans. Je pars en fête sur la volonté de maman et je me retrouve  amputé d'un genoux et des deux pieds alors, ce type debout qui a vingt balais de plus que moi, n'aura jamais aucune excuse valable à formuler. Un type qui ne va pas voir son fils à l'hôpital perd son droit d'être nommé père, il dégringole au rang des géniteurs. Point barre.

     

    Mon non père est une ombre que j'ai recroisé dans les couloirs de la maison. Une ombre qui articulait un "ça va mon fils" en prenant bien soin de ne surtout jamais me laisser l'opportunité de répondre.

     

    Quand il a su mon homosexualité, il est entré dans ma chambre pour la première fois de sa vie probablement. Là il a dû songer que la coupe était pleine, qu'il ne pouvait pas une fois de plus se défausser. L'enjeu devenait trop sérieux. Homo, handicapé ! Quel bol je ne suis pas noir et cela ne s'attrape pas. Aucun contagion possible.

    Il a posé la main sur mon épaule.

    - Tu es mon fils et cela me plait bien.

    Sa main a tapoté mon pull, deux ou trois fois, et il est ressorti aussi silencieusement, calmement qu'il était entré. Tout le temps je suis resté assis à mon bureau. Je n'ai jamais tourné la tête pour le regarder.

    Cette phrase je l'ai gardé toujours.

    - Tu es mon fils et cela me plait bien.

    Mieux qu'un rat, qu'une peluche ou qu'une bouillotte, des mots qui réchauffent.

    C'est ce père là que je suis allé chercher à la laiterie. Ce père qui ne sais pas l'être, ce père qui n'exprime rien, qui garde tout pour lui. Le genre de père que je ne veux surtout jamais devenir. Mais bon, de ce côté là je suis tranquille, vu que je vais crever puceau même si je fais centenaire.

     

    L'histoire de Titouan est trop lourde pour moi. Face à Maxime j'ai joué au caïd, au mec super héros à qui rien ne fait peur. Mais je ne suis pas aussi fort que ça. Alors j'ai raconté à papa ma rencontre avec cette femme qu'il a connu un peu quand ils étaient des enfants. Un peu, juste un peu seulement. Je lui ai dit pour Titouan né d'elle mais élevé par Solène. Je lui ai avoué l'autre enfant, celui de Titouan, qui pour tous est né de père inconnu. Je lui ai demandé pardon de m'être fait passer pour homo dans le but de protéger Lou-Evan. Et j'ai répondu à sa questions en m'avouant puceau.

     

    Mon père.

    J'ai été écouté par mon père.

    J'ai été regardé par mon père.

    Pas juger, accepter.

    Mon père.

     

    Comment m'y prendre ? Je ne savais pas comment m'y prendre. Il a compris combien j'avais besoin de lui en cet instant délicat.

     

    Il n'a rien dit au début. Assis derrière son bureau, il a réfléchi. Il est resté calme, les doigts joints, les paumes écartées, les coudes sur les accoudoirs de son bridge pour porter son menton, clore ses lèvres. Pas muet d'un silence fermé, muet d'une écoute intérieur. Ensuite il a agi. Et il ne s'est plus arrêté. Il a tout dirigé du début à la fin. En tout premier lieu, il a téléphoné à Charlotte pour savoir si elle était bien chez elle, et pour l'inviter à ne pas en bouger. On débarquait. Bien sûr elle a cru qu'il était arrivé quelque chose de grave à Titouan. Il ne l'en a pas dissuadé. N'est-ce pas la vérité ? Puis ce fut maman. Il voulait la localiser pour que je puisse passer la prendre, le temps que lui de son côté, récupère Titouan dans l'atelier de fabrication des moules.

     

    Voilà comment nous nous sommes tous retrouver autour de la table trop petite de la cuisine de  Titouan.

     

    Pauvre Titouan. Si je n'avais pas été si épuisé après avoir subi la mitraillette de questions de maman dans la voiture, j'aurai ri de la tête qu'il faisait. Oui je me serai moqué de lui. Charlotte n'en menait pas large non plus. Elle se planquait derrière Loulou qui rigolait et qui s'est retrouvé tout impressionné dans les bras, puis sur les jambes de mon père. 

     

    Il faut comprendre Titouan aussi. Être retirer de son poste de travail devant ses collègues, et ce par  le directeur même. L'entendre leur dire qu'ils devront faire sans lui le reste de la journée, puis  devoir passer au vestiaire pour se changer et ensuite devoir rentrer chez soi où ce même directeur le retrouvera, ce doit sérieusement faire flipper. Et encore plus pour un mec comme Titouan qui a besoin de toujours tout maitriser. 

     

    Pas de préambule, illico les pieds dans le plat pour bien concentrer tout le monde. Bravo papa.

     

    - Nous sommes tous réuni autour de cette table pour réfléchir à ce qu'il y a de mieux à faire pour l'avenir de ce petit bonhomme.

     

    Vraiment il y a de quoi flipper quand on ne sait pas la suite. Charlotte est devenue rouge écrevisse et Titouan blanc comme un linge mortuaire. Honte à moi, tel un coupable j'ai piqué du nez. C'est merveilleux comme maman se la ferme quand papa parle.

     

    Jamais je n'aurai commencé par là et pourtant c'est lui qui a eu raison. Sur le sable avec Maxime, probablement parce que je suis un mec, je restais concentré sur le mec de l'histoire. Mais papa a raison, partir de Lou-Evan permet un recul émotionnel.

     

    Il a été sérieusement à la hauteur Titouan. Chapeau. Quand papa lui a déclaré tout de go qu'il était le père de Loulou, il n'a pas cherché à mentir. Il s'est même légèrement redressé. Charlotte, elle, elle a paniqué, elle s'est levée d'un coup sec, ce qui a fait tomber sa chaise en arrière. Dans la foulée je me suis pris une baffe, quelque chose de bien violent et d'autant plus douloureux que mal dirigée, c'est le nez qui a tout pris. Loulou s'est mis à pleurer, pour ne pas dire hurler. Plus par peur, que par compassion. Vu son age, il est pardonné. 

     

    Je n'aurai pas dû me placer à côté d'elle. Elle a voulu quitter la table, la pièce, l'appartement, après m'avoir insulté. Papa a passé Loulou à maman pour l'aider à se calmer et il a exigé à Charlotte de réintégrer sa place à table. Ce qu'elle a fait visiblement apeurée face à l'autorité.

     

    J'ai toujours été convaincu que ce que les gens sortaient comme argument au moment où ils étaient en colère, reflétait l'exacte réalité de leur pensée. En temps de paix, on se fait des sourires, on baratine des facilités, des convenances, mais en temps de guerres, les ressentis réels se dévoilent. Ensuite, la paix revenue, on assure "les mots ont dépassé ma pensée". Il n'y a pas plus grand mensonge. L'argumentaire en temps de haine ne s'inventent pas, il remonte des profondeurs mentales.

    Pour savoir qui l'on est pour l'autre, rien ne vaut une petite crise.

    C'est moche. L'image que Charlotte a de moi, est moche, très moche. Dommage, moi je l'aimais bien. Réciprocité habites-tu cette Terre ?

    Il n'y a rien à regretter. J'aurai moins de mal le jour où ils déménageront.

     

    Je comprends Titouan. Savoir que ses parents ne le sont pas, donne envie de fuir. Papa lui a promis de lui trouver  une mutation. Entremont appartient au groupe Sodiaal qui a 70 sites industriels en France. Il y a bien un départ en retraite, une démission quelque part qui pourrait convenir à Titouan. Surtout si c'est demander par le directeur de l'un des sites.

    Mon pote va partir. Je ne serai pas le parrain de Lou-Evan.

     Encore un bout de ma vie qui meurt.

     

    A table ce soir, maman, papa étaient heureux. Complices même. Il y avait longtemps que nous n'avions plus partagé un repas aussi animé. Personne n'a même songé à allumer la télévision ou à déplier le journal. Je porte un toast en l'honneur de Maxime la bienfaitrice déjà passée à la trappe. C'est une merveilleuse histoire. Penser donc : un garçon aime sa sœur qui n'est pas sa sœur. Ils pourront se marier et avoir une ribambelle  de petits morveux. Du vrai conte de fée pour fille. Dire que c'est ça qu'il fallait à papa pour se souvenir comment on fait pour débarrasser la table, pour qu'il nous prouve qu'il se souvenait encore où le pain se range. Double toast pour Maxime.

     

    Maman en a même oublié ses russes. Romain, Yves, moi nous ne comptons pas. Maxime, Solène, idem, zéro importance. Enfin, Maxime importe un peu, juste assez pour que maman puisse s'offrir un rôle dans le conte de fée à deux balles.

     

    Moi, ce soir, vingt deux heures passé, mon moral n'a plus aucune euphorie. Titouan et Charlotte doivent s'éclater comme des bêtes au lit vu que c'est la première fois qu'ils peuvent se toucher sans culpabilité. Les parents doivent agir de même, profitant qu'ils se sont retrouvés ... et que cela ne va pas durer. Papa va se ré-éteindre. Demain matin il n'en restera plus rien, assurément.

    Ne profitons pas des bonnes choses, on pourrait y prendre goûts et ensuite bonjour les désolations quand il n'y en aura plus.

     

    Mais moi.

    Moi, merde, moi.

    Moi je suis dans la demi pénombre à caresser Luciole. Ce n'est pas que je vais perdre mon pote qui me fout la gerbe, non, à ça je survivrai, comme à tout le reste, même si cela fait mal d'avoir vu comme il n'a pas une seconde hésité à fuir. Merde il aurait pu juste poser les yeux sur moi. C'est rien une seconde. Un quart de demi seconde. Je ne lui demande même pas d'avoir eu une phrase chaleureuse envers moi, un mot de regret de me savoir sorti de sa vie bientôt. Merde c'est tout de même moi qui lui sauve la peau depuis des années, et c'est encore moi qui le sort de son gouffre, aujourd'hui. J'aurai pu laisser l'histoire de réincarnation tombé au oubliette. Pas un merde, pas un merci, pas même un regret que Charlotte m'ait giflé. Pas de mail, zéro SMS. C'est beau l'amitié ! Très beau.

    Putain d'humain !

     

    Jean Charles Leleuc, le mec qui n'a pas plus d'existence que ses pieds.

     

    Et après on me demande ce que je trouve aux rats. De l'humanité bonnes-gens, de l'humanité. Luciole est bien le seul être qui se soucie de moi ici bas.

     

    Ce qui fait chier dans tout ça, c'est qu'il n'y aura aucun conte de fée pour ma pomme. Demain je trouverai mes deux prothèses et mon fauteuil roulant dans ma chambre. Ma petite amoureuse sera la pépette rate Luciole. Je sentirai sa petite chaleur blottie contre un point de mon corps. Petite rate ne se sera pas transformée en une jolie fille nue dans mon lit.

     

    A l’hôpital c'est toujours galère le départ d'un autre car tu te dis "il se casse mais moi je reste encore"  mais c'est à peine 20% de ta pensée car ce qui est majeur c'est qu'il est sorti, que ton tour viendra et pour preuve, j'en suis sorti aussi et j'ai laissé derrière moi des mecs qui sont sortis aujourd'hui.

    Là c'est différent.

    Titouan est sauvé. Moi, je ne le saurai jamais. Pas de bon génie de la bouteille pour moi, toujours mon éternelle  condamnation à perpétuité.

     

    C'est fou comme de ne plus être homo  rend puceau.

     

    Trouverai-je un jour une consolation assez forte pour me faire perdre de vue, l'absurdité de ma vie ?


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  • JC - Vous avez plus de courage que je ne l'aurai cru. Franchement je pensai que j'allai vous attendre longtemps pour rien. Bonjour Maxime.

    M - Bonjour Jean Charles. C'est toi qui as fait preuve de courage en franchissant la porte de la boulangerie pour m'inviter à ce rendez-vous. Tu mérites mon déplacement. Je me répète,  nous aurions pu nous parler devant une tasse de café, à la boulangerie. Tu as voulu une rencontre en un lieu très éloigné de Saint-Méen-le-Grand, soit, je suis là. En quoi puis-je t'être utile Jean Charles ? C'est au sujet de ta mère ?

    JC - Non mais on peut démarrer comme ça. On marche ?

    M - Il y a des années que je n'ai pas vu la mer de près. Si nous allions mettre les pieds dans l'eau. Oh ! Pardon, pardon, mon Dieu pardon. Oh Jean Charles excuse-moi.

    JC - Merci.

    M - Non vraiment pardon, pardon, pardon, j'avais complètement oublié.

    JC - C'est bien ce que je dis : Merci. Pour une fois que je ne suis pas un infirme. Merci. Descendons vers la mer, voulez-vous.

     

     

    M - C'est quoi l'histoire ? C'est l'anniversaire de Marie Nelly, et tu veux lui organiser une fête secrète ? J'ai là dans mon sac quelques fiches qui me semblent pouvoir lui convenir.

    JC - Ne les sortez pas. Vous avez contacté qu'avec maman 2+2 font 385.

     

    JC - Vous souriez donc, c'est oui, mais votre politesse vous fait garder le silence. Écoutez Maxime, j'ai besoin de savoir quelque chose de très important. J'ai vraiment besoin de connaitre la vérité.

    M - Que se passe t-il ? Tu es bien grave.

    JC - Je résume. Maman m'a raconté que vous aviez perdu un enfant il y a très longtemps. Que comme elle, vous ne parvenez pas à vous en remettre. Elle a ajouté que la folie vous fait croire que votre bébé mort c'est réincarné dans Titouan. Qu'est-ce qui est vrai dans tout ça ? S'il vous plait, dites moi la vérité, c'est vraiment, vraiment très important.

     

    JC - Vous en faites une tête... Putain tout est faux... Merde et merde. J'ai eu ma réponse. Merci. Merci.  Maxime, profitez d'aller mettre les pieds dans l'eau, au moins que je vous ai servi à ça.  Même par ce temps froid, ce doit être bien agréable. Profitez en. Bonsoir.

     

     

    M - Attend.

     

     

    M - Attend.

     

    M - Excuse moi, mais j'ai l'impression d'avoir reçu un uppercut dans le ventre... J'étais vraiment à des années lumières de toi. J'ai l'air con avec mes fiches à gâteaux. Bon. Alors commençons par le commencement. Cette fois les 2+2 ont dépassé les 30 000.

    JC - Vous n'avez jamais perdu d'enfant.

     

    JC - Maxime.

     

    M - Non. Mon fils n'est pas mort. Il est vivant. C'est Titouan.

    JC - Oh putain. Putain, putain, putain.

    M - Je ne suis pas folle Jean Charles. J'ai vraiment accouché de Titouan. Enfin de Rodolphe. Qui est Titouan pour toi. Tu es amoureux de mon fils, Jean Charles.

    JC - Non.

    M - Ta mère m'a dit...

    JC - Qu'on était homo.

    M - Oui.

    JC - Et c'est faux.

    M - Mais pourquoi elle a inventé ça ?

    JC - Parce que 2+2 ne font jamais 4 avec elle. On l'a laissée le dire à qui voulait l'entendre. Il s'est foutu sacrément dans la merde votre fils, Maxime. C'était la seule façon que j'avais de l'aider à l'époque. Mais là il s'enlise grave. Maintenant il a besoin de vous.

    M - Je ne peux rien pour lui.

    JC - Oh que si.

    M - Jean Charles tu ne sembles pas bien comprendre, Titouan est le fils de Solène et de Yves.

    JC - Mais pas génétiquement. C'est vous sa mère biologique . Et c'est qui son père ?

    M - Romain Fouques.

    JC - Connais pas mais c'est une bonne réponse, il fallait juste que son père ne soit pas Yves. Maxime j'ai envie de vous embrassez.

    M - Pardon !

    JC - Vous êtes au bord de la panique, vous. Putain mais vous ne vous rendez pas compte c'est immense ce que vous me raconter là. Ah putain c'est le Graal.

    M - Jean Charles je ne vois pas pourquoi vous vous emballez, c'est du passé. Du passé. c'est tout.

    JC - Oh que non, c'est l'avenir. Maxime vous êtes grand-mère.

    M - Marie Nelly a déjà réussi à vous faire adopter un enfant ?

    JC - La gamine russe : non. Vous avez entendu dire que Charlotte, la sœur de Titouan avait eu un fils ?

    M - Oui.

    JC - Et bien c'est votre petit fils car le père de Lou-Evan c'est Titouan.

    M - Vous n'êtes pas sérieux. Il a violé sa soeur.

    JC - Ce n'est pas un monstre mon pote, c'est un mec amoureux. Ils sont dingues l'un de l'autre même si ils se cherchent les poux tout le temps. Maxime Je vais vous prédire l'avenir : Vous allez lui donner votre nom pour qu'il épouse Charlotte et reconnaisse son fils, avant d'avoir sa fille. Il y a du boulot et on n'a pas beaucoup de temps.

     


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  • Elle m'épuise.

     

    Je me fais l'effet d'être un vieux con, un vieux coincé à côté d'elle. Ce qui est le plus désagréable c'est quand elle me compare à maman. C'est d'autant plus désagréable que Charlotte a raison. Je suis comme maman. Mais comment peut-on vivre sans faire de plans ? Avant de monter dans la voiture, il faut savoir où l'on veut aller. Avant de partir en vacances il faut réserver des nuitées. Avant d'entrer au supermarché il faut avoir établi une liste. Sinon c'est du grand n'importe quoi. Juste du grand n'importe quoi. Chaque fois que Charlotte fait les courses, on se retrouve avec les placards pleins, et rien pour manger le soir même.

    "C'est deux pour le prix d'un"

    "Moins 40 centimes, c'est une affaire"

    "C'est trop bon ce truc"

    Pour savoir remplir le cadi, pas de souci, elle sait faire. Mais pour accompagner les saucisses de seitan ni navet, ni carotte, pas l'ombre d'un poireau ou d'un petit pois. Prendre un filet d'un kilo d'oignons, alors là autant attendre qu'elle ouvre la mer en deux pour atteindre l'Angleterre à pied. Des oignons ! Pourquoi pas une botte de radis ! Cela appartient au monde des vers de terre, pas au sien, même si elle adore les cuisiner quand j'en achète.

    On a de la glace à la noix de coco pour tenir jusqu'à noël même si on n'est que le quatre janvier. Idem pour les ramequins dans lesquels la manger. C'est obsessionnel chez Charlotte, il lui faut toujours une nouvelle tasse, un petit bol, un plat à cake...

     

    Elle m'épuise.

    Si il n'y avait que Charlotte, la vie ne serait qu'un grand n'importe quoi.

     

    Vingt fois par mois elle me traite de soldat.

    Maman nous a élevé comme à l'armée. Corvées, récompenses. Combien de fois nous a-t-elle fait nous placer bien droit face à elle, dans la cuisine, pour recevoir un discours truffé de reproches ? Cela m'a aidé à marcher plus droit. Charlotte a pris le maquis avant même d'arrêter les couches culottes.

     

    Depuis son premier jour je suis fou d'elle. C'est con, je sais. Ma soeur n'a jamais été pour moi autre chose que ma femme. A six ou sept ans, je faisais rire tout le monde car je me promenais partout en tenant Charlotte par la main et en annonçant à qui voulait l'entendre :

    " Tu veux faire quoi quand tu seras grand Titi ? "

    " Épouser Charlotte".

    A l'époque je ne devais pas savoir que le Canada existait, aussi, je nous voyais dans un camion. Je serais routier et elle, et bien elle, elle serait à mon côté dans le camion.

     

    Je devrai peut-être passer le permis poids lourd.

    Avec Loulou !

    Devenir forain. Avoir un manège et être de partout et de nul part à la fois.

     Je délire, pourtant ce pourrait bien finir comme çà.

     

    Dernièrement à la laiterie Romualt Kerjean a débarqué comme intérimaire. Je ne l'ai pas du tout reconnu. Lui oui. On a papoté un peu devant un café, à la pause. Je lui ai demandé où il habitait maintenant, histoire de dire quelque chose. Il a éclaté de rire. J'avais totalement oublié que petit, il demandait souvent à ses parents où ils iraient habiter quand il serait grand, et qu'il n'aura plus l'age de vivre avec ses eux. C'est vrai qu'il lui semblait évident qu'il ne déménagerait pas, que c'était aux parents de quitter le domicile.  Il m'a rappelé que nous étions les deux mongols de la classe, lui parce qu'il croyait que la maison de ses parents était la sienne, et moi parce que je comptais épouser ma soeur. La question a coulé de source ensuite : Avais-je épousé ma soeur ? Je n'ai pas eu à répondre, Dorian s'en est chargé en lui précisant que j'étais PD comme un phoque.  Il lui aurait annoncé que j'avais une maladie hautement contagieuse, qu'il n'aurait pas plus mal réagi. Il a jeté au sol le reste de son café et est reparti bosser alors qu'il lui restait bien dix minutes.

     

    Je ne sais pas comment Jean Charles peut supporter d'être homo dans les yeux des autres.

     

    Il y a un vrai homo au boulot, Julien. Il sait que je n'en suis pas un. Je l'aime bien Julien. Il est populaire parce qu'il tait son homosexualité, je suis raillé à longueur de journée, alors que je n'en suis pas un. Et je sais que ce que je vis fortifie sa décision de garder sa vie privée cachée. J'aime beaucoup Julien. Conclusion je lui parle peu de peur de lui faire du tord. Je sais qu'il sait, et je sais qu'il pense comme moi, qu'il est préférable de ne pas exposé notre amitié. J'aimerai l'inviter à la maison un soir, un après-midi de week-end, mais je n'ose pas, charlotte me fait peur.

    Et avec Lou-Evan !!!

    Jean Charles a raison. Mon fils n'a plus beaucoup de temps à vivre avec de savoir dire papa. Je ferai quoi à ce moment là ?

     

    Je n'en peux plus.

    Je me lève épuisé, je me couche épuisé. Et ma tête me fait si mal, si mal.

     

    Pourquoi charlotte n'a pas un gramme de sagesse dans le ciboulot ? Pourquoi est-elle tout feu tout flamme non stop ?

     

    Elle dit que je n'aime pas maman mais lui ressemble. Ce n'est pas que je ne l'aime pas, c'est juste que je vie très bien sans elle.

    Elle dit qu'elle aime maman mais agit à l'opposé de son enseignement. A croire qu'elle est en perpétuelle révolte.

     

    Charlotte pleure comme les enfants. Un claquement de doigts, les larmes coulent, une seconde plus tard, elle ne s'en souvient même pas, rit au éclat.

     

    Moi je suis de plus en plus mal dans ma vie. Ma tête va exploser. Mes maux de tête sont de plus en plus effroyables. A croire qu'une pyramide est suspendue au dessus de ma tête et qu'elle commence à s'enfoncer dans mon crane. Marie Nelly qui possède plus de médicaments que la pharmacienne, m'a donné les cachets qu'elle prend depuis la mort de François Xavier.

     

    Elle ne comprend pas pourquoi je souffre autant alors que la vie est si douce pour moi.

    Comment lui dire que je hurle d'être celui que je ne suis pas ?

     

    Heureusement que j'ai Jean Charles, que je peux parler librement avec lui. Oui heureusement. C'est vraiment un mec bien. Tout le monde pense que c'est lui qui gagne de moi car c'est lui l'infirme. 100% faux. C'est moi qui ait gagné beaucoup en entrant dans sa vie. Je crois que je n'ai eu qu'une petite influence sur lui. Je lui ai présenté son (mon) premier rat. Le rat l'a aidé bien plus que moi. Il a repris ses dessins grâce à lui. Jean Charles se tient debout parce qu'il a ses dessins, son monde imaginaire. Ensuite un peu parce que ses rats, sa mère, et bien bien à la traine vient ... moi. Un petit pas grand chose.

     

    Il ne l'avouera jamais, mais il est super malheureux Jean Charles. Le jour de l'accident c'est bien plus que son frère et ses pieds qu'il a perdu, ce jour là, on lui a enlevé son avenir.

    C'est vrai que je suis mort de trouille. Charlotte est si excessive, la vérité va nous exploser à la face. Ce sera dur, on nous montrera du doigt, mais serais-je plus détesté d'avoir fait un enfant à ma sœur que d'avoir de la sexualité avec un homme ?  Oui, je l'avoue. De ne pas pouvoir prévoir, maitriser mon avenir, me fait flipper grave, mais ce que vit Jean Charles, c'est bien plus terrible, lui, il vit sans avenir. Il est comme un condamné dans le couloir de la mort. Il se lève le matin en sachant que voilà, il a un jour ouvert devant lui, mais un jour emmuré. Un jour sans connexion avec la vie. Rien ne peut lui arriver. Il ne peut même pas mourir. Je crois que c'est cette phrase là, la plus flippante : il ne peut pas mourir. Un jour qu'il m’agaçait avec son humour noir, je lui ai conseillé de se suicider. Pur provoque.

    "Pourquoi? M'a t-il répondu très calmement, à croire qu'il y avait déjà réfléchi au sujet encore et encore. Je n'ai pas plus le droit à la vie qu'à la mort. Même si je saute d'un gratte ciel, après m'être tiré une balle dans la tête, ce qui m'attendra en bas, ce n'est pas la mort mais un pompier qui me dira que j'ai de la chance d'avoir des prothèses, car sous le choc elles ont été pulvérisées mais mon corps n'a rien".

     

    Jean Charles joue au mec fort mais il n'est qu'un océan de larmes emmuré.

    Charlotte agit comme une inconsciente mais elle est la joie de vivre par excellence.

    Et moi je suis un vieux con qui se gave des médocs de Marie Nelly même si mon mal de tête n'en diminue pas.

     

    Je voudrai juste pouvoir être le père de mon fils.

    Charlotte me dit que oncle / père c'est pareil, que je vis avec lui, que je peux le toucher, l'embrasser, le baigner, le dorloter. Non ce n'est pas pareil. J'ai besoin d'en être le père dans les yeux des autres. "On s'en fou des autres" Jean Charles, Marie Nelly, Charlotte, me le répète. On est un con.

    J'ai besoin d'être le père de mon fils.

     

    Je ne supporterai pas de ne pas pouvoir être le père de mon deuxième enfant.

     

    Comment tenir pendant toute une vie ?

    J'ai tout pour être heureux pourtant parfois je crois que Jean Charles est plus serein que moi dans son couloir de la mort, c'est dire comme je suis bas.


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