• Si il y avait un incendie la nuit, on devait pouvoir y entrer pour le sauver.

     

    Évidemment que je m'en souviens.

     

    Dès qu'il est entré à l'école j'ai senti que je le perdais. Il était mon bébé, mon bébé adoré. Edmond me reprochait de ne jamais le poser, j'étais comme une femme africaine, je le gardais contre moi. Aujourd'hui on en voit des femmes drapées qui portent leur bébé contre leur poitrine, on voit même des pères. L'époque a bien changé. On me prenait pour une folle, de toute façon quoique je fasse,  j'ai toujours été détestée. Je n'avais pas fait un bébé pour l'oublier dans un landau, pas plus pour le confier à une nourrice. François Xavier c'était mon bébé, ma vie, mon cœur, ma raison de vivre. Alors oui je ne le posais pas, jamais je ne l'aurai lâché pour le poser au sol sur un carré de tissus entre 4 barrières. Comme sur des mois je l'ai porté en moi, sur des mois je l'ai porté sur moi. Jours et nuits.

     

    Edmond disait qu'il n'apprendra jamais à marcher si il était toujours contre moi. Faux, il a marché au même âge que les autres, parce que je lui tenais la main, parce que mes sourires lui chantait des viens.

     

    Je me suis faire violence la première matinée d'école. Il avait presque  4 ans, Edmond n'a pas toléré que j'attends ses 6 ans. Et il y avait Jean Charles.

    Toute la matinée je n'ai pensé qu'à lui, j'avais tellement peur qu'il souffre de mon absence, que les autres enfants soient méchants avec lui, que l'institutrice ne le comprenne pas.

     

    Quand je suis allée le chercher le midi il a fait une crise, il a refusé de rentrer avec moi, il voulait rester manger à la cantine, il voulait rester à l'école l'après midi avec les autres.

    J'en ai pleuré toutes les larmes de mon corps. L'entendre, le voir me refuser... Je pouvais tout supporter sauf ça.

    Je réalise aujourd'hui que ce jour atroce  m'a probablement sauvé la vie. Si il avait été l'enfant que je me voulais, lui survivre ne m'aurait pas été possible.

     

    Ce jour là je l'ai perdu. Tous les jours qui ont suivi n'ont été qu'un éternel recommencement. Chaque matin je me levais, croyant le calendrier je me pensais sur un nouveau jour mais non, c'était toujours et encore une nouvelle répétition du premier jour de la fin de ma vie, le jour où mon fils ne me voulait pas, moi qui ne voulait que lui. Aucune mère n'aura l’honnêteté d'avouer que leur plus grand chagrin d'amour n'est pas le fait d'un homme mais d'un fils. Aussi je tais ma vérité. Mais taire n'est ni nier ni éteindre. 

     

    François Xavier ne m'a plus voulu dès son premier jour à l'école. Je sais qu'il n'a jamais particulièrement adoré l'école pourtant, il y était mieux  qu'avec moi.

    Il a grandi, il s'est affermi : Il respirait mieux là où je n'étais pas, il ne voulais rien me montrer, rien me raconter, me confier.

     

    Nous étions si proche, si fusionnel, qu'est-ce qui s'est passé ?

     

    Non je ne l'ai pas étouffé, si je le posais, il me tendait les bras, c'est même comme cela qu'il a appris à marcher, je reculais, il venait à moi.

     

    Non il ne m'en a pas voulu d'avoir Jean Charles. Je portais le bébé sur le ventre et François Xavier me montait sur le dos. Il me passait les épingles quand je mettais le linge sur le fil. Il prenait la baquette quand on allait chercher du pain. Claude me disait qu'il était grand, qu'il savait marcher, que je devais lui refuser mon dos, déjà que j'avais le petit, mais il aimait que je sois le cheval et lui mon jockey. Claudine racontait à tout le monde que Edmond était trop radin pour offrir une poussette à sa femme, il est sûre que elle, elle n'a jamais dû s'amuser à courir avec l'un de ses enfants sur son dos. Ce n'est pas étonnant que Benjamin soit devenu ce qu'il est devenu.

     

    J'ai perdu François Xavier le jour où il est entré à l'école. C'est comme si ayant découvert le monde, la famille n'existait plus pour lui, qu'il avait changé d'univers.

    Pourquoi ne voulait-il plus de nous ?

    A trois ans il me serrait le cou dans ses petits bras et il me chuchotait des " je t'aime maman chérie". Il affirmait que quand il serait grand on n'aura plus besoin de papa, que nous resterons tous les deux. Quand Jean Charles est arrivé, il ajoutait que papa partira avec le bébé, que nous resterons seuls ensemble, lui et moi. Avant son entrée à l'école mon fils était fou de moi. Je lui répondais que papa était mon mari, qu'une femme devait rester avec son mari. Il ne changeait pas d'idée, si pour demeurer ensemble il devait m'épouser à la place de papa, il le ferait. 

    " Un petit garçon n'épouse pas sa maman mon amour".

    " Moi je feserai comme çà".

     

    Il en avait une longue et merveilleuse liste de choses qu'il feserait quand il sera grand. Si il avait su la lune, il me l'aurait décrochée aussi.

     

    Jean Charles n'avait que un an quand son frère a arraché mon cœur. Sans m'en rendre compte j'ai du l'élever en gardant une distance entre nous pour ne pas souffrir autant le jour où lui aussi, ne voudra plus de moi. Et puis j'avais si mal, si mal, mon malheur a du s'immiscer entre nous. C'est probablement pour cela que Jean Charles a toujours voulu me protéger, et est si en colère contre son frère.

     

    Être mère est le métier le plus difficile au monde.

    Je dois le dire à Charlotte.


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  • Il ne l'aimait pas.

    Il ne m'aimait pas.

    Qui aimait-il d'ailleurs ?

     

    Il nous méprisait tous.

     

    Papa c'était la grosse meule à cause des meules de fromages qui partent en affinage chez Entremont.

    C'est vrai que papa sent le fromage certains soirs, c'est vrai qu'il  ne parle presque que de son travail, mais il sait changer de sujet, il sait écouter, accorder de la valeur à ce qu'on lui dit. Comment François Xavier aurait pu le savoir vu son refus de communication ? Dès qu'il a pu, il nous a fui. Alors c'est vrai que quand il venait à table avec nous, pour casser le silence qu'il induisait, papa racontait sa journée. Moi aussi je trouvais cela rasoir. Aujourd'hui je comprend qu'il cherchait à nous sortir du vide, qu'il prenait ce qu'il aimait pour nous entrainer dans son monde.

    Je suis comme lui. Je m'aperçois que souvent je raconte n'importe quoi comme si mes mots empêchaient que jaillissent ceux des autres ou à l'opposer pour les inspirer à se faire entendre. Oui je suis comme papa, je m'en aperçois, je le suis encore plus avec lui qu'avec n'importe qui. Lui et moi... On n'y arrive jamais du premier coup, il nous faut des mots vains, du baratin. Quand le temps nous manque, on n'en décolle pas, et c'est dommage. Mais chaque fois qu'il reste un peu plus, que rien ne m'oblige ailleurs, on s'ouvre, on se trouve. Et c'est bien.

    Papa n'est pas maman, il faut le mériter. François Xavier était trop con, trop brut, arrogant et orgueilleux pour seulement parvenir à soupçonner la richesse du père. 

    Papa n'est pas très doué pour communiquer, il est l'opposé de maman. On ne voit qu'elle, il est invisible. On n'entend qu'elle, il est silence. Mais c'est un père qui regarde, qui écoute. Non ce n'est pas une grosse meule. Non son cerveau n'est pas un trou d'emmental.

     

    Maman le sapin de noël.

    Elle possède plus de bijoux qu'un magasin et chaque matin elle s'en couvre. Aucune mère ne s'habille de perles, de broches et autres breloques. Oui à moi aussi, à une époque elle me faisait honte. Trop voyante. Non ce n'était même pas cela. Je n'ai jamais eu honte d'elle, je ne l'ai jamais trouvée laide ou folle, mais j'avais honte de ce que les autres mères et donc leurs enfants bavaient sur elle. Il faut des années pour comprendre la logique de la jalousie. En attendant oui, ne comprenant rien, seul avec elle j'étais bien, mais en public, je lui lâchais la main.

    Elle n'est pas un sapin de noël, elle est féminité à outrance et elle a les moyens de ses lubies. Maman est une femme très féminine. Elle était faite pour vivre à Paris, à New York ou à Berlin. Saint-Meen-le-grand est trop petit, trop rural pour elle. Elle est belle maman. Les femmes détestent juste que sa beauté mettre en lumière leur laideur, et leur gros cul. Maman ressemble à un mannequin. Il ne lui manque que des centimètres. La beauté, la prestance elle les a. Même encore à son âge, elle est très belle. Elle n'a rien d'un sapin de noël.

     

    Moi le jeune morveux je n'oublie rien. Maman fait comme si François Xavier avait toujours été un ange. Au quatrième mois il ne devait déjà plus l'être. Il a toujours été trop con pour avoir pu être un ange bébé. Il a toujours été trop con.

     

    Mon frère ne m'a jamais aimé. J'ai toujours été trop petit, trop idiot pour lui. Si j'avais eu un frère de trois ans mon cadet, il est probable que cela ne m'aurait pas trop plus qu'il me colle. Mais jamais je n'aurai eu de la haine envers lui. François Xavier se jouait de moi, il me piégeait. J'étais son esclave. Corvéable.

     

    Pourquoi m'a-t-il emmené à cette soirée là ? J'avais dit non. Ils picolaient toujours beaucoup trop. Leurs soirées finissaient toujours mal. Il voulait que je les suive. Qu'avait-il en projet ? Maman s'en est mêlée comme toujours, elle m'a dit que cela me ferait du bien. Trop dans les nuages, trop dans mes bandes dessinées.

     

    Me faire du bien de suivre toute une soirée une bande de connards qui picolent pour s'échauffer, puis qui cognent pour se calmer !

     

    Clément est un idiot.

    Benjamin est un abruti.

    Pierre, Damien deux alcooliques qui ne dessoulent jamais.

    Régis, Christophe, Lucas, des petites frappes, des suiveurs.

    Yannick et Daniel , aucune cervelle ces deux là.

    Et Fabrice et Romuald deux derniers de classes incapable d'articuler une phrase, de te regarder dans les yeux, toujours en train de parler de baise. Des puceaux qui se rêvaient violeurs.

    Mais le pire du pire c'était Gaétan. Un fou fêlé celui-là. Maman ne s'y trompait pas, elle n'aimait pas le voir à la maison.

     

    Elle a tout oublié.

    Comment peut-elle avoir tout oublié ?

    Trop facile.

     

    Benjamin ne vaut rien mais il n'est pas coupable de tout. C'est trop facile de tout lui coller sur le dos parce qu'il est en vie, parce que François Xavier est mort.

     

    L'accident ne m'a pas amputé de ma mémoire. Et il y a le témoignage du chauffeur du camion de chez STR la société de transport Rouillé de Saint Pol de Léon.

     

    Nous revenions d'un anniversaire à Broons.

    Nous étions à trois voitures.

    Régis conduisait la première. Pierre, Damien et Yannick sont montés avec lui.

    Mon frère conduisait la seconde. Christophe s'est assis devant, je suis allé à l'arrière avec Fabrice et Romuald. Jamais je n'aurais du me placer derrière mon frère.

     

    François Xavier et Régis ont voulu se marrer, ils sont partis sans prévenir les cinq débiles. Alors bien sûr sur la RN12 Benjamin a du foncer pour nous rattraper. J'imagine bien Lucas, Daniel et Gaétan sur le siège arrière hurlant dans les oreilles de Benjamin et de Clément des "plus vite, plus vite, plus vite, fonce mec".

     

    Nous, dans la seconde voiture, on ne hurlait pas. Tout le monde, même moi, chambrait Romuald qui avait levé une fille. Il y avait longtemps qu'il la voulait. Alors tout le monde se foutait de sa gueule.

     

    Et puis on a raté la bretelle de sortie. Christophe  qui était devant a tendu le bras en hurlant. Mais il était trop tard. Il voyait, nous montrait la voiture de Fabrice sur la bretelle, mais c'était trop tard pour nous. C'était trop tard pour tout le monde, sauf pour mon super frère si mature et intelligent. Il s'est placé sur la bande d'arrêt d'urgence et il a reculé. La bande de cons l'a félicité. "Bien joué mec".

    Bien joué mec.

    Bien joué mec.

     Reculer sur la bande d'arrêt d'urgence pour récupérer la sortie Saint-Meen-le-grand.

    "Bien joué mec". Pauvre connard oui !

     

    Ma vie a été foutu en l'air sur un "bien joué mec".

     

    Monsieur Timitri Gentil l'a raconté aux flics, l'a écrit dans sa déposition, me l'a raconté en menu quand il est venu me voir à l'hôpital.

     

    Devant lui, sur la bande d'arrêt d'urgence, une voiture qui reculait pour récupérer la sortie qu'elle avait raté.

    Sur sa gauche, une voiture en super excès de vitesse qui le doublait.

    Entre les deux, Monsieur Gentil avec son 19 tonnes contenant 20 palettes d'herbes aromatiques fraiches. Il a pensé, dépité "Où va le monde!". Il y avait longtemps qu'il avait compris que le A au cul des voitures signifiaient Abrutis.

     

    Et puis La voiture de gauche en excès de vitesse, lui a fait une queue de poisson, elle a fait un virage à l'angle droit. Il a eu la peur de sa vie. Un 19 tonnes ne pile pas, on ne peut pas freiner comme avec une voiture.  Et puis il y a eu le grand BOOM alors que son camion roulait sans gène. Au début il a cru que c'était lui, le camion n'avait pas été déporté mais il avait du heurter la voiture qui lui était passée devant. Et puis il a compris, son camion avait masqué au conducteur fou, la voiture qui reculait sur la bande d'arrêt d'urgence. Le camion n'avait rien mais les deux voitures s'étaient percutées.

     

    C'était la nuit, il n'y avait pas d'autres véhicules sur la route.

     

    C'est lui qui a prévenu les flics. C'est lui qui est venu à nous en premier. Clément et François Xavier ont été écrasé dans les toiles. Benjamin ne réagissait pas, moi j'étais conscient puis je ne l'étais pas. Monsieur Timitri Gentil a sorti tout le monde, leur a fait monter la sortie pour s'éloigner de la national. Quand les pompiers sont arrivés il ne restait que Benjamin dans le coma, Clément et mon frère déjà morts et moi à qui Monsieur Gentil parlait pour que je reste conscient.

     

    Maman sait tout ça. Elle a lu la déclaration de Monsieur Gentil. Il lui a raconté à l'hôpital ce qui s'était passé, mais pour elle, Benjamin a tué son fils en entrant sur la bretelle après avoir couper la route au camion.

     

    Benjamin vivant : coupable.

    François Xavier mort : victime.

     

    Oui c'est la voiture de Benjamin qui nous a percuté et qui m'a fait perdre mes deux pieds, mais si François Xavier n'avait pas reculé sur la bande d'arrêt d'urgence, si il avait accepté d'avoir raté la sortie, qu'il avait accepté de faire quelques kilomètres de plus pour prendre la suivante, aujourd'hui je marcherais.

     

    Sa mort ne l'innocente pas. Pour maman peut-être mais certainement pas pour moi. Mon frère est largement autant coupable de la mort de Clément que ne l'est Benjamin.

    Pourquoi maman ne veut-elle pas le reconnaître ?

     

    Elle veut mon bonheur, elle veut que je sois heureux. Qu'elle commence par cesser d'innocenter mon bourreau.


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  • JC- Pourquoi Maman ?

    MN- Pourquoi quoi Jean Charles ?

    JC- Pourquoi tu passes des heures assise dans la chambre de François Xavier.

    MN- Je m'y sens bien. J'y suis bien. Je ne fais rien de mal.

    JC- Cette chambre n'est plus la sienne, Maman.  La sienne était toujours fermée à double tour. On n'en connaissait que la musique qui transpirait des murs. Si on voulait lui parler, il nous criait qu'il arrivait et il venait dans le couloir, il gardait la poignet de la porte dans sa main. Tu te souviens comme on a tous été surpris de ne rien y trouver d'anormal ? J'ai toujours pensé comme papa, que tu y étais entrée pour y faire le ménage, pour nous dissimuler ce qu'il y cachait. Tu te souviens combien de fois tu lui criais de ne pas s'y enfermer la nuit, que si il y avait un incendie la nuit, on devait pourvoir entrer pour le réveiller.

    MN- Je ne lui criais pas dessus.

    JC- Tu lui criais dessus. François Xavier avait l'art d'exaspérer tout le monde. J'ai perdu mes pieds pas la mémoire. Dix milliards de fois tu lui as crié dessus.

    MN- Ne dis pas des choses comme ça. J'ai toujours aimé ton frère, ton père a toujours aimé ton frère et lui nous a toujours aimé aussi. Il t'adorait.

    JC- La grosse meule, le sapin de noël et le morveux.

    MN- Ce n'était pas méchant, ton frère a toujours eu un humour particulier, mais il n'était pas méchant.

    JC- Et il ne faisait jamais de bêtises, comme il n'a jamais reculé.

    MN- Jean Charles ne soit pas en colère contre ton frère. Tu sais bien ce qui c'est passé, c'est Benjamin qui allait trop vite.

    JC- Maman il a reculé.

    MN- Pourquoi faut-il que tu sois toujours en colère contre ton frère ? Il est mort cela ne te suffit pas.


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  • Les peaux-rouges ! Je les avais complétement oubliés ceux-là.

     

    Pourquoi  les frères Truiten les cassaient tout le temps ? Ce n'est même pas ça la bonne question : Qu'est-ce que je faisais avec eux ?

     

    C'est étrange la mémoire, je me souviens parfaitement de Marie Nelly qui était folle amoureuse d'Edmond qui ne la regardait pas, qui changeait de copines plus souvent que de chaussettes, mais je ne parviens pas à me souvenir duquel des frères, Solène était amoureuse. Le fait qu'elle ait couché avec les 4 sur la même période explique peut-être ma confusion.

     

    Solène ! Une si gentille fille disait maman. Elle l'aurait mise sous cloche si elle n'urinait pas. La sainte Solène ! Juste une bonne petite pute gratuite pour les Truiten. Il y a ce qui se voit et la face cachée beaucoup moins recommandable.

     

    Solène a toujours couché avant de discuter. Les commerciaux de ses fournisseurs doivent l'adorer. A moins qu'elle ait changée. Personne ne change, on devient juste un peu plus soi en se ridant. La question est : était-ce elle qui couchait ou était-ce l'anti-elle ?  J'ai toujours pensé que ce n'était pas elle, qu'elle subissait un endoctrinement quelconque. Il faut dire que comme maman, je voulais tellement la canoniser !

     

    Pourquoi Yves l'a épousée ? Il savait qu'elle couchait avec ses frères.

     

    Pourquoi suis-je étonnée d'avoir une vie si vide au regard de mon adolescence ?

     

    Je n'ai jamais ressenti avec Mickaelle ce que je ressentais avec Solène. Elle était ma soeur, ma confidente, bien plus que Claudine. Je crois qu'encore aujourd'hui je me sens liée à cette fille. Enfin cette femme. Je crois qu'au fond de moi je n'ai jamais cesser de pleurer notre désunion.

     

    Je ne souffre pas de ma séparation avec Roger. Je souffre encore du rejet de Solène.

     

    Claudine et moi, nous sommes sœurs mais cela ne va pas plus loin. Le sang nous uni, juste le sang.

     

    Petite, nous faisions des choses ensemble car les parents l'exigeaient, parce qu'il n'y avait personne d'autre. Et puis j'ai connu Solène et c'est un peu comme si enfin il y avait une personne pour moi sur cette Terre. Alors quand elle s'est amourachée d'un des Truiten, je l'ai suivie. Je suis devenue une truite.

    Claudine m'a collée car elle s'intéressait à Luc. Luc ! Luc et Paul les deux potes inséparables des quatre frères tant et si bien, que pour beaucoup ils étaient des Truiten aussi. Luc ! C'était le seul qui était assez beau. Mais ce qu'il était vulgaire. Non pas vulgaire, dérangé, oui dérangé. Incohérent aussi. C'est fou, nous étions de la même bande et je n'ai jamais dû lui parler. Il était le toutou des frères, moi celui de Solène, mais nous étions des toutous qui ne jouaient pas à la baballe ensemble.

    C'est fou comme mon adolescence me semble miséreuse tout à coup.

     

    Solène a rejoint les frères pour approcher celui qu'elle voulait. Ils l'ont gardée puisqu'elle servait de pute gratuite aux quatre. C'est étrange quand on y pense, pourquoi Paul et Luc ne lui passaient pas dessus aussi ? Luc, trop bizarre. Il devait resté puceau pour une quelconque gloire ! Il l'est peut-être encore aujourd'hui d'ailleurs ? Oh ! Je n'avais pas appris qu'il était mort ? Ah je ne sais plus. Je ne sais plus, c'est si vieux tout ça.

    Qui est mort ? Je ne sais plus. Personne peut-être.

     

    Je collais Solène donc je suis entrée dans la bande.

    Claudine m'a collée pour fréquenter Luc mais tellement perdu dans sa nébuleuse qu'il n'en a rien su, et en consolation ou en solution d'attente, c'est avec Paul qu'elle a couché.

    Que c'est beau la jeunesse !!! Triste temps de misère mentale.

     

    Claudine et Solène couchaient avec les mecs comme elles vidaient un Gin Tonic, sans réfléchir, parce que cela faisait bien, parce que l'âge le voulait, parce qu'il faut faire comme tout le monde, ne surtout pas être de celles que l'on montre du doigt car trop dans la marge soit coincées.

     

    Et moi ! Moi !

    Je me suis réfugiée dans une logique de supériorité. Aucun des douze mille garçons du département ne voulaient de moi, alors pour ne pas m'en réduire, je me suis créée un personnage méprisant. Ils étaient trop médiocres pour moi. Moi je ne couche pas, moi je fais l'amour. Enfin je ne faisais surtout rien.

    "Madame veut rester vierge pour son prince charmant" se moquait Solène.

    Bien sûr elle ne pouvait pas comprendre, elle qui avait instauré une logique de roulement pour discipliner les frères. Ordre alphabétique : Loïc - Raoul - Yannick - Yves. Première semaine du mois: Loïc, Deuxième : Raoul, etc. La cinquième en équilibre sur deux mois, elle s'offrait une nouveauté, l'un des douze mille. Et pendant ce temps Claudine et Paul sortaient ensemble pour rendre Luc jaloux.

     

    Dire que mes filles sont arrivées à cet âge de profonde débilité !

     

    Qu'est-ce que je faisais à suivre cette équipe là ?

    Je rêvais d'une Solène pour moi toute seule. Avait-elle un peu d'amitié pour moi, seulement ?

    Je les suivais pour ne pas demeurer à la boulangerie où être présente signifiait travailler.

     

    Oui j'avais honte d'être la fille des boulangers, non pas honte que mes parents le soient, mais honte d'être une enfant qui travaillait alors que les autres s'amusaient. Madame Huon, qui chaque retour de vacances nous demandait en sujet de rédaction, le résumé de nos vacances. Marie Nelly écrivait merveilleusement bien, alors toujours au final la Huon nous lisait sa rédaction. Comme elle était fière Marie Nelly que sa rédaction expose ses avions pris, ses promenades en barques, ses nuits d'hôtel en des pays impossibles à situer sur la carte. C'est peut-être bien ma jalousie qui a fait l'équipe des truites attaquer les peaux-rouges. J'aurai tellement voulu être elle.

     

    Moi je me payais un carton car je ne voulais pas, une fois de plus raconter combien la Huon mangeait de pain par semaine, la livraison que j'allais faire à vélo chez la vieille Yvonne qui m'accusait toujours d'avoir volé la pièce qu'elle avait mise de côté pour offrir des carambars à ses petites filles qui ne venaient jamais la voir.

    Claudine aimait le travail à la boulangerie, elle n'a jamais eu de problème avec les sujets de la Huon, elle racontait la fabrication des tartelettes, le bonheur d'accompagner papa à la maison de retraite pour livrer le pain.

     

    Moi, je voulais une vie de vraie petite fille, et je me suis donnée une vie d'ado déplorable.

    Étant d'une bande de mecs, aucun garçon ne m'approchait. Je n'ai jamais rencontré mon prince charmant.  Ai-je seulement été l'amie de Solène ?

     

    Il est impossible qu'elle ignore mon retard, la boucherie jouxte la boulangerie. Marie Nelly me savait revenue, elle ne peut l'ignorer.

    Je sais qu'au fond de moi je l'attends. J'attends qu'elle vienne s'acheter une baquette, un croissant, des chouquettes, n'importe quoi. J'ai quarante six ans et je ne suis pas capable de pousser une porte pour aller saluer mon amie d'enfance. Mickaelle s'est jetée à coeur et corps perdus dans les bras d'un Russe qui ressemble à un tueur de tchétchène en cavale. Moi je ne suis pas capable d'aller saluer une camarade de classe.

    Que je suis médiocre !

     

    Comment Marie Nelly fait-elle pour marcher dans la rue avec des bottines à talons, dans une mini-jupe rose sur bas bleu roi, et un chemisier qui compte autant de fleurs que de volants mais qui ne s'envole pas puisqu'il est lesté par dix kilos de bijoux ? Comment peut-elle sortir dans la rue avec des cheveux blond sable, et deux grosses mèches de couleur voilette ? Il doit falloir vraiment aimer sa vie et s'aimer pour réussir à tout assumer.

     

    Je pense que je n'ai jamais aimer ma vie. Je n'ai pas aimer être enfant de commerçants. J'ai cru trouver en Solène mon sauveur et je l'ai suivie et j'ai détesté sa conduite avec les quatre frères, alors je suis devenue son opposées, pas moi, son opposée et je n'ai pas aimé mon adolescence, mon début de vie d'adulte.

     

    Quand ai-je vraiment décidé de ma vie ?

     

    Pourquoi ai-je épousé Roger ? Pour fuir ? Non j'étais déjà partie. Parce qu'il n'avait aucun point commun avec la bande des truites ? C'est affligeant de constater comme je suis incapable de savoir pourquoi je me suis mise avec lui. Mickaelle aime Cole de tout son corps, ses tripes et son âme. J'ai quarante six ans et je pense que la vérité est que j'ignore tout de l'amour. Je n'ai jamais aimé personne. Pourquoi ? Parce que personne ne m'a aimé ou parce que je ne me suis jamais aimée ?

     

    Ai-je été heureuse un jour ?

    Je crois que je me suis comportée comme une chef avec Mickaelle car j'avais peur de découvrir la vérité : qu'elle savait toucher le bonheur et pas moi. Je crois que j'avais peur aussi qu'en la suivant je la perde comme j'ai perdu Solène. En l'obligeant à me suivre, je l'empêche de partir en des lieux où je ne puis entrée . Je ne suis qu'une paralysée.

     

    Maintenant que Mickaelle court après son russe, elle ne se soucie plus de moi comme Solène dans les bras des frères m'oubliait plus souvent que son gilet. C'est fou comme Solène perdait ses blousons, écharpes, gilets...

     

    Papa est heureux que je sois revenue. Il ne veut pas qu'Emile hérite de ses boulangeries. Papa n'est pas heureux que je sois revenue. Mon retour l'arrange. Nuance d'importance.

     

    Roger a probablement raison, j'ai probablement fait une immense erreur en quittant mon emploi.

     

    Ma vie me semble si vide.

    Comment Marie Nelly peut être aussi rayonnante ?


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  • Mon Dieu ce qu'elle a vieilli ! Je l'aurai croisée dans la rue, je ne l'aurai pas reconnue.

     

    Enfin elle est tout de même plus présentable que sa sœur. Claudine ressemble à une boulangère des années cinquante, et encore, des années cinquante d'une campagne arriérée. C'est abominable de porter des blouses de paysannes dans un commerce en 2015.

     

    Et comme elle est grosse!

    Et sa coupe caniche !

     

    Emile il n'y peut rien, il frise naturellement, mais elle, pourquoi se fait-elle faire des permanentes caniche ? C'est une honte que la coiffeuse ne lui ouvre pas les yeux sur la laideur de l'ensemble. Je ne sais pas où elle va se faire friser mais ce salon mériterait d'être fermer pour nuisance à la dignité humaine. Comme si Claudine n'avait pas assez de son double menton. Enfin on ne coiffe pas d'un caniche, une tête de Shar Pei.

    Vraiment Claudine fait fond de terroir.

     

    Maxime n'est pas belle, pas très fine mais bon, elle a un poids acceptable alors que Emile et Claudine on dirait des bouchers qui se goinfrent jour et nuit. Les cochons dont les Truiten tirent leurs jambons sont moins porcs qu'eux. Ils ont le profil de charcutiers alors qu'ils sont boulangers pâtissiers. Un comble.

     

    Maxime fait dame de la ville. Pas Paris ou New York. Pas Rennes ou Nantes non plus mais Dinan, Lamballe, Loudéac. Jamais je ne porterai jamais le sosie son pull vert clair, mais bon, c'est un pull qu'elle n'a pas tricoté en attendant les clients, on voit que c'est un beau pull fin, certes il est en laine mais il est léger, raffiné, il n'est pas comme ceux de la collection à torsades de Claudine.

     

    Le tricot de Claudine sur le comptoir ! Franchement comment Max peut le tolérer ? La mère était pareil. Enfin elle était pire encore, elle pouvait repriser des chaussettes derrière sa caisse.

    J'entends encore Claude se justifiant : " je ne peux pas rester inactive".

     

    On n'a jamais vu ça nul par ailleurs, une grosse dondon en blouse de paysanne, assise devant ses baquettes et qui tricote en attendant le chaland. Dire qu'elle a la réputation d'être très douée en tricot. Mais peu importe qu'elle soit douée, qu'elle le fasse sur son canapé si elle veut mais pas sur son lieu de travail, enfin. Est-ce que Oksana répète ses textes en postillonnant sur les éclairs au chocolat ? Non. Comment Max peut fermer les yeux sur sa souillonne de fille ?

     

    Max ! En voilà un qui, en dehors de bougonner,  ne sait prendre aucune décision. Cela a toujours été Claude qui portait le pantalon à la boulangerie. Il vivait au fournil pour ne pas la croiser.

     

    Dire qu'il aura fallu attendre d'avoir quarante six ans pour avoir une vraie conversation, avec Maxime. Nous avons passé plus de dix années dans la même classe.

    C'est tout de même étrange qu'elle fut face à moi, si franche.

    Jamais je ne lui aurais imaginée une vie si vide.

     

    Elle m'a toujours parue être de ceux qui savent où ils vont, ce qu'ils veulent. Moi enfant j'étais si, si quoi d'ailleurs ? Si protégée ? Si immature ? Je rêvais au milieu de ma collection de poupées pendant qu'elle servait les clients. Ma vie m'offrait le luxe de ne pas grandir trop vite et le luxe de sa vie fut d'entrer dans le monde des adultes sans attendre. On aurait pu croire qu'elle aurait été plus armée que moi pour affronter la vie. A l'entendre c'est une femme sans force.

     

    Je me souviens avoir toujours eu envie de savoir si elle avait le droit de piocher dans le bocal à bonbons.

    Au vu du quintal de Claudine, pas de doute, celle-là y pioche aujourd'hui.

     

    Quand Emile et Claudine s'allongent au lit le soir, les ressorts du lit ne doivent pas apprécier. Combien peut-elle bien peser ? Edmond fait quatre-vingt-quatre kilos, Emile en fait largement vingt à trente de plus. Et elle ? Elle doit faire mon poids additionné à celui d'Edmond. Quel horreur ! Ce n'est plus une femme, c'est un monstre. Elle doit bien utiliser soixante cinq pelotes pour se faire un pull sans manche.

     

    Claudine était dans la classe d'Edmond, alors que Solène, Maxime et moi étions dans une autre, avec trois années de retard. On entrait en sixième qu'ils passaient en troisième.

     

    Solène ! Une vraie femme d'affaire celle-là.

    La petite boucherie de ses parents , elle en a fait une enseigne. Andrée est vraiment fière de sa fille.

    Et voilà la nouvelle génération d'arrivée. Si le petit Lou Evan ressemble à son oncle il n'est pas prêt de reprendre la boucherie.

     

    Pauvre Solène, elle s'est battue comme une lionne pour que la boucherie de ses parents deviennent une boucherie /traiteur, incontournable sur tous les marchés, de tous les banquets, et aucun de ses enfants ne l'épaulent. Elle ne sait pas leur offrir un espace de liberté. Elle est leur mère, elle les a porté, a souffert en les mettant au monde, elle sait donc mieux qu'eux ce qui est bon pour eux. Il lui faudra quel âge pour comprendre que l'essentiel est que ses enfants vivent, non qu'ils soient premiers de classe ou payant de fort impôt.

     

    J'aurai tellement aimé François Xavier si il avait été alcoolique, fainéant, délinquant, enfermé en prison pour soixante ans.

     

    Il ne faut pas que j'y pense. Maxime va me foutre le cafard.

    Quelle heure est-il ? 11h36. Je vais passer en vitesse à l'institut prendre un rendez-vous pour Charlotte. Pour dans quinze jours, trois semaines. Après un accouchement rien ne vaut une séance de massage.

     

    Cela me ferait plaisir que Jean Charles soit le père du bébé, mais comme dit Edmond, il ne peut pas coucher avec les deux. C'est une gentille fille Charlotte, je voudrais bien être la grand-mère de son pépé. Peut-être que Jean Charles couche avec les deux.

     

    Je serais tellement heureuse que mon fils est une sexualité.


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  • M- Bonjour.

    MN- Bonjour. Je viens chercher la mousse de mangue en coque de chocolat surprise pour 8 personnes. Il me faudrait aussi une festine et un pain moulé.

    M- Le gâteau est réservé à quel nom, s'il vous plait ?

    MN- Tu ne me reconnais donc pas. Je devrais pourtant être imprégnée dans ta tête vu le nombre de fois où tu m'as torturée.

    M- Pardon. Je pense Madame, que vous me confondez avec une autre personne.

    MN- Mais non Maxime, je ne te confonds pas. Tu as donc oublié comme les truites se sont acharnées contre les peaux-rouges.

    M- Pardon ! Les truites ? Les peaux rouges ? Oh non de non, mais oui les peaux rouges, oh là là, tu me fais faire un bond dans le temps.

    MN- Tu t'attendais à autre chose en revenant ici.

    M- Les peaux rouges ! Tu as raison j'ai été atroce avec elles. Laisse moi me souvenir. Il y avait Régine et Sandrine et puis aussi ... C'était quoi son prénom déjà... Laurence, oui bien sûr Laurence et et et Marie Nelly Corouge la fille du notaire, la chef du clan.

    MN- Belle mémoire. Juste un peu lente au démarrage mais belle mémoire. Une faute pour un détail tout de même. Peau-rouge vient de Corouge, vous n'aviez pas d'imagination, c'était facile. ça c'est bon, mais, il n'y avait pas vraiment de chef. Si tu en veux un alors il faut nommer Laurence. Elle était la plus forte, ou disons la moins influençable par les autres. Alors selon toi, je suis laquelle des peaux-rouges ?

    M- Marie Nelly. Il n'y a que toi à quarante six ans à pouvoir afficher une silhouette de mannequin et à oser s'habiller avec plus de bijoux que de tissus. Et même en ce mois de novembre. Tu as des nouvelles des trois autres ? Elles sont restées dans le coin ? Laisse moi deviner, en souvenir de la jeunesse, vous militez pour le respect des droits d'une vraie tribu peau-rouge et vous vous rendez régulièrement en Amérique.

    MN- Non pas du tout. Régine est devenue institutrice. Elle a commencé en région parisienne et ensuite elle est descendue en Vendée. Je le tiens de sa mère que je vois au marché. Sandrine je ne sais rien d'elle, et pour ce qui est de Laurence elle s'était mariée avec le frère de Benoit. Ils sont partis dans le Juras où quelque part par là. Ensuite ils ont divorcé. Il est revenu dans la région contrairement à elle. Je le sais par la mère aussi. Tu la verras, même si ce n'est pas le pain qu'elle consomme le plus. Pauvre Benoit, sa mère est ivre de janvier à décembre, jour comme nuit. Laurence a les enfants avec elle, le père ne les voit jamais. Ce qui ne semble pas le déranger mais sa mère voudrait bien être une vraie grand-mère. Que ferait-elle des enfants ? Elle leur apprendrait à compter les étoiles sur les bouteilles de vins ? Laurence a bien raison d'avoir coupé les ponts les Siran.

    M- Benoit ? Benoit Siran ? Cela ne me dit vraiment rien. Tu es sûre que je le connais ?

    MN- Évidemment. C'est l'autiste. Enfin à l'époque on n'appelait pas ça comme çà. Tu sais le gros môme qui fonçait dans les murs en hurlant et qui mordait tout le monde.

    M- Maintenant que tu le dis, je m'en souviens, mais je ne me rappelle pas qu'il avait un frère. Par contre je me souviens très bien que tu courais comme une malade derrière Edmond. Tu as fini par le rattraper ? Au moins pour un flirt qui puisse te permettre de réaliser qu'il n'était qu'un fils à papa pourri d'orgueil et de fric. Ce qu'il pouvait se la surjouer ce mec là ! Je n'ai jamais pu le saquer.

    MN- Je ne lui ai jamais couru après. Jamais. Dès que j'ai porté des talons de dix centimètres j'ai cessé de courir, donc non je ne lui courais pas après. Inutile de te pencher pour regarder mes pieds, évidemment que je n'en suis toujours pas descendue. Donc pour en revenir à Edmond, disons que je surveillais ses trajets, et que je me débrouillais toujours pour me positionner sur son chemin. Et cela ne marchait jamais. J'ai du attendre qu'il plaque toutes les filles de notre génération sauf toi car après ta belle confidence tu ne vas pas me dire que tu es sur la liste de ses ex. Ou alors je ne comprend plus rien.

    M- Il m'a draguée mais j'ai su me faire comprendre. Quel pauvre mec ce type. Mais qu'est-ce que tu lui trouvais ?

    MN - Ma consolation est qu'il m'a épousée. Tu ne l'as jamais su ?

    M - Tu as épousé Edmond, tu es madame Edmond Leleuc de la laiterie Leleuc.

    MN- Laiterie Entremont du groupe Sodiaal aujourd'hui. Claudine ne t'a jamais parlé de nous ?

    M- Pourquoi l'aurait-elle fait ?

    MN- A cause de Benjamin.

    M- Là il faut que tu m'expliques ce que le fils de ma soeur a comme lien avec ton mari et toi.

    MN- L'accident.

    M- Oh oui, merde, la gourde. J'avais complètement zappée.

    MN- C'est normal, cela n'a rien changé à ta vie.

    M- Mais cela à détruit la tienne.

    MN- Non c'est celle de mon fils que cela a détruit. Mais changeons de sujet veux-tu.

    M- Bien sûr, excuse moi. Je vais te chercher ton gâteau.

    MN- Ce n'est pas un sujet tabou, on pourra en reparler si tu y tiens, mais dit moi pourquoi tu es là toi ? Tu es tombée au chômage ?

    M- Non, je suis devenue un automate. Je n'ai rien vécu de douloureux comme toi, c'est plutôt comme si j'avais perdu la vie sans m'en rendre compte. Oh pardon, je n'aurai pas du dire ça.

    MN- Continue.

    M- J'ai une amie. Mickaelle pour ne pas la nommée. Ce que je vais te dire n'est pas beau mais c'est la vérité. Notre amitié je la vivais un peu comme le lien d'un maitre et son chien. Je décidais de tout et elle était heureuse avec tous mes choix. Je me suis toujours crue mieux qu'elle, parce que j'avais un mari, des enfants et que elle, elle n'avait que de stupides poissons rouges. Souvent je nous inventais des sorties, et franchement, c'est horrible à dire, mais je le vivais un peu comme si je faisais une bonne oeuvre, que j'allais consacrer trois heures ma belle vie à un pauvre chien d'une SPA en attendre d'une famille. Ce n'était pas qu'elle était dépressive, c'est que mon orgueil m'inventait une supériorité bien en décalage de la réalité. Mickaelle fait tous ses vêtements. Elle commence par les dessiner, puis pour voir ce qu'ils donnent, elle les confectionne en taille réduite. Elle a une poupée masculin qu'elle nomme Marlo et qui mesure environ un mètre. Alors tu vois entre Marlo et ses poissons je la trouvais un peu... Enfin benoitisée. Mais plus le temps a avancé puis j'ai réalisé qu'en vérité, cette fille je l'admirais. Elle est heureuse. Elle s'est construite un monde pour se protéger, et elle y est heureuse. Moi, et bien moi j'étais, tient j'étais comme le gâteau, une coque dure mais contrairement au gâteau à l'intérieur de moi il n'y avait que du vide. Je n'étais pas un maitre et elle un chien, elle était une île de joie et moi un bâtard crotté qui trainait autour d'elle sans savoir me faire adopter. Il m'a fallu des années pour réaliser combien la vie était éteint en moi. Roger, mon mari dit que j'ai tout pour être heureuse : une maison qui est finie de payer, deux filles, un mari fidèle qui ne boit pas, un emploi qui paie bien, une bonne santé, des amis. Il a raison, il ne me manquait rien, en extérieur mais à l'intérieur, en moi, il n'y avait plus rien. C'est horrible à dire mais je suis incapable de me souvenir de la dernière fois où j'ai été triste où j'ai été heureuse. Toutes les émotions m'ont désertée depuis, depuis, je ne sais pas. Je sais juste que j'ai fini par le réaliser, et c'est tellement laid, que l'idée de devoir restée automate jusqu'à mes quatre-vingt-dix ans soit encore autant de temps que celui que j'ai déjà passé sur Terre, cela m'a fait casser un mur de glace en moi. J'ai donné ma démission, j'ai lancé une procédure de divorce et je suis venue m'installer chez papa.

    MN- Et tu bosses à la boulangerie toi qui avait horreur de ça, gamine.

    M- Je crois surtout que je détestais servir du pain à un enfant de l'école. Je ne sais pas il y avait comme une forme de honte d'être la fille du boulanger. C'est peut-être pour ça que je détestais autant Edmond, je devais l'envier.

    MN- Claudine adorait. Elle n'a pas changé ta soeur, elle a toujours adoré tenir la caisse.

    M- Elle a toujours adoré tout savoir et tout répéter.

    MN- En déformant la réalité.

    M- Tu fais référence à l'accident. Bonjour.

    MN- Bonjour Madame Thiritel. Je te dois combien pour le gâteau Maxime.

    M- Les peaux rouges ont déjà payé. Je suis heureuse de t'avoir revue Marie Nelly.

    MN- Merci beaucoup. Et je ne parle pas du gâteau.

    M- Que désirez-vous madame ?

    MN - Et ma festine et mon moulé ?

     


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