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     Châteauneuf-du-Faou

    Le mardi 13 octobre 15.

     

    Colerige Alesh,

     

    Avant de poursuivre l'histoire de mon pitoyable mariage, j'ai des excuses à formuler.

     

    Tu m'avais répondu à la question "A qui est l'appartement parisien ?" Qu'il était à moi. Je l'avais mal pris, j'avais (à tord, je le sais maintenant) cru que tu m'avais écrit une débilité pour me faire comprendre que je n'avais pas à te le demander. Aujourd'hui grâce à un rêve j'ai compris ta délicatesse. Et je suis vraiment désolée de ne pas avoir été à la hauteur de toi.

     

    Mon rêve comme tous rêves est absurde. Je récupère du terreau /cendre entre mes poupées calcinées (je crois d'avoir dit que mon père avait brûlé tous mes jouets de petite fille, suite à la mort de mon frère) et comme il pleut vraiment beaucoup, je finis par abandonner mes pots de fleurs pour rentrer dans la maison. En fait de maison c'est un très très long couloir sans fenêtre avec sur sa gauche des livres à n'en plus finir.

     

    Une fois réveillée j'ai réalisé que ce couloir je le connaissais, que c'était le tien, celui de Paris. J'ai ainsi, alors, compris ta délicatesse. Mes neurones ou je ne sais quoi en moi qui dirige les rêves ont fait comme toi, ils m'ont attribuée ce qui t'appartient pour que je m'y sente bien.

     

    Histoire de sourire un peu, je dois avouer que la partie de moi qui rêve est plus intelligente que moi, car dans l'appartement pas une fois je n'ai songé qu'une bibliothèque avait sa place dans le couloir, pourtant lectrice comme je le suis ... Mon créateur de rêve a raison, ce couloir semble n'avoir été construit  que pour ça. Il est sombre et si large. Les livres n'y auraient ni lune ni soleil. Le lieu parfait pour eux. A la louche on doit pouvoir en ranger au moins trois milles. Trois milles livres chez soi ! Oh le paradis !

     

    Dans ton bureau tu as fait entrer un billard et une table d'échec, et bien moi, je vivrais au milieu des livres si j'avais ta richesse. Le pied, songe un peu. Tu ouvres la porte d'entrée, et là devant toi, une ligne de livres qui te conduit à la cuisine. Le pied. Je te jure dans mon rêve l'effet est grandiose.

     

    Enfin tu ne lis peut-être pas ?

     

    Il y a une bibliothèque dans ton bureau, mais ce ne sont peut-être que des ouvrages professionnels ? J'ai osé regarder un peu les tranches des livres mais c'était écrit en russe. 

     

    Des ouvrages professionnels.

    Je ne veux pas t'insulter, mais je ne sais pas pourquoi enfin si je sais, à cause du hameau 100% isolé et de la richesse de Paris, je t'imagine sans emploi. Le vieux Welch ne me semble pas très délicat, pour le peu que tu m'en as parlé mais je l'imagine bien t'avoir coucher sur son testament, et que tu vis librement grâce à ses dollars. Si tel n'est pas le cas, ta prochaine lettre va être orageuse.

     

     

    Bref passons. Tout cela pour te dire que grâce à un rêve qui en vaut bien d'autres, j'ai réalisé que j'avais pris ta délicatesse pour du rejet. Je te présente toutes mes excuses. Je sais c'est un peu tard, mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais.

     

     

    Donc revenons et finissons le sujet de mon délicieux mariage.

     

    Je suis donc dans ma chambre, complètement paniquée par l'avenir qui s'ouvre devant moi : SDF. Oui SDF. Sans Domicile Fixe. J'ai 18 ans depuis quelques heures, zéro compte bancaire et 30 ou 40 francs dans mon porte-monnaie, moins même peut-être. Je n'ai que  une presque première année de BT de secrétariat. Je suis sans famille, sans ami(e). Ma vie c'est 90% de livres et 10% de tissus. Donc mon avenir sans la cantinière ne peut qu'être SDF.

     

    Je crois que je me suis trompée dans ma lettre passée, je crois avoir dit que j'étais en première année de BTS non j'étais en première année de BT soit en bac technique. Le niveau au dessous.

     

     

    Je suis là dans ma chambre en panique totale de n'avoir rien ni personne pour m'empêcher de devenir SDF quand dans ma tête commence un disque rayé avec un unique mot pour texte : LIONEL.

     

    Oui en effet dans ma vie il y a un mec fou de moi depuis treize ans : Lionel. Un stick de colle géant. Une verrue. Une horreur. Mais il est là.

     

    Donc si tu mets Lionel sur un plateau de balance et SDF sur l'autre, il n'y a pas à sortir la loupe, Lionel fait 80kg de plus.

     

    Sans perdre une seconde, je quitte ma torpeur et file chez ses parents très très déterminée à ne pas devenir SDF. Quoique cela m'en coûte ou coûtera. Jamais encore de ma vie je n'avais du être aussi déterminée. Et je ne l'ai probablement plus jamais été autant.

     

    Lionel Kervelou et le fils de Evelyne et Jean Claude Kervelou les garagistes de Panazol, la commune de la cantinière et de ma petite école où elle travaille. Evelyne est la secrétaire, et celle qui serre l'essence. Lionel est leur fils unique, celui qui reprendra le garage quand son père partira en retraire comme Jean Claude a repris après son père Louis. Le pépé tout le monde le connait, il rode autour du garage comme un vieux chien fragile sur ses pattes, qui ne traverse plus le trottoir que pour aller uriner sur le mur d'en face. Non non je ne fais pas dans l'humour ce soir Cole, je me rappelle juste ce qui était raconté. Maintenant est-ce qu'il allait réellement uriner sur le mur d'en face ? Je ne me souviens pas de l'avoir vu faire.

     

    Et tu vas rire car si aujourd'hui je me souviens de cette histoire de pipi, le soir de mes 18 ans je ne devais pas m'en souvenir car après avoir sonné à la porte, que le père m'ait ouvert, je suis allée attendre Lionel sur le trottoir d'en face, le long du mur.

     

    Je ne sais pas l'heure qu'il était, mais les lampadaires n'étaient pas éteints.

     

    Lionel est sorti. Il était tout timide, mal-à-l'aise, tellement il n'en revenait pas de me voir, que moi la sauvage je l'ai fait demander. Moi je n'étais pas timide, j'étais super déterminée à ne pas devenir SDF. Là oui, je ne fus qu'une pure manipulatrice, je te le concède Cole. Je savais ce que je voulais et rien n'aurait pu m'empêcher de l'obtenir.

     

    Sans même un bonjour, une formule de politesse, je lui rappelle que j'épouserai l'homme qui a une fuego, comme il en avait une, maintenant il devait m'épouser. Question : On se marie quand ? Aujourd'hui j'ai eu mes 18 ans, donc on peut se marier dès demain. En mai cela m'allait aussi, mais il était hors de question qu'il me fasse attendre jusque Août ou noël. 

     

    Plus d'un mec m'aurait ri au nez ou aurait fui en courant, lui, il a juste mis quelques secondes à accuser le choc mais il m'a pris au mot. Il a vu que j'étais super déterminée, super sérieuse, donc il le fut aussi. Il y avait juste un impératif à prendre en compte :  la semaine suivante, ou celle d'après, je ne sais plus, il partait faire son service militaire à Versailles. Ce fut plus fort que moi, j'ai hurlé un énorme NON et j'ai fondu en larmes.

     

    J'allais devenir SDF. Alors je suis partie. Il ne m'étais d'aucun secours. J'allais devenir SDF. J'étais SDF dans l'avenir. Je suis partie 100% aveugle par les larmes.

     

    Mais il m'a rattrapée, et il m'a serrée dans ses bras. Ce fut la première fois de ma vie que quelqu'un me tenait dans ses bras alors que je pleurais, et crois moi, j'en ai versé des larmes enfants. A ce moment là il n'était plus le connard qui cherchait à me mettre la main aux fesses, à me tirer sur les cheveux ou à m'embrasser devant ses potes en mobylettes. A ce moment là, il était un gentil garçon qui voulait que je cesse de pleurer et qui promettait de décrocher la lune pour que je retrouve le sourire. A l'instant là, c'était un môme très beau.

     

    Entre mes sanglots, je lui ai fait promettre que l'on se marierait très très vite. Il me l'a promis et nous nous sommes séparés.

     

    Le lendemain je suis allée à l'école comme une automate. Je ne me souviens de rien sauf que je l'ai vu devant la grille de sortie, appuyé contre la carrosserie de sa fuego rouge. Il m'a confirmé qu'il allait m'épouser. Il devait se sentir force, propriétaire de moi ou quelque chose d'aussi nourriture d'orgueil alors devant tout le monde il m'a embrassée sur la bouche. Il a écrasé sa bouche sans lèvre sur ma bouche et il a appuyé, appuyé. J'ai reculé la tête, il ne décollait pas, me suivait dans mon mouvement. L'image devait être pathétique à regarder. Aujourd'hui la vidéo aurait fait fureur sur les réseaux sociaux.

     

    J'étais très mal-vue à l'école car presque première de la classe et toujours le nez dans un bouquin. En récréation je ne parlais à personne, je m'isolais avec un livre. A bien n'y réfléchir je n'étais pas mal-vue j'étais inconnue de tous.

     

    Lionel était un type assez moche, disons pour être polie, totalement quelconque mais qui roulait des mécaniques dans des vêtements qui se voulaient signe distinctif de colère. Tu vois cela donnait un blouson de jeans avec des chaînes, des colliers de chien à clous et des pin's ACDC. Le pantalon en jeans aussi avait été savamment déchiré et Lionel y avait dessiné au bic dessus des symboles de je ne sais même pas quoi. Moi déjà je créais mes vêtements et donc déjà j'avais une belle petite collection de gilets de costume et de manteaux vestes très cintrés. Je ne porte jamais de T-shirt l'été, mon t-shirt c'est le gilet de costume.

     

    Une demoiselle trop chic hors mode et un révolutionnaire sans le sou. Pathétique je te dis.

     

    Ce baiser trop appuyé, je l'ai détesté, mais moins que les deux ou trois  qu'il avait réussi  à me voler après  m'avoir coincer devant ses potes.

     

    Je suis rentrée ce soir là chez ma tutrice, la cantinière, dans sa fuego.

     

    Sur les jours qui ont suivi j'ai raconté à la directrice de mon école, Madame Martiat, mon désir de finir mon BT et ma situation de future SDF. Elle en a parlé à tous mes profs, puis elle m'a dit que oui je serais en seconde année, que la cantine serait gratuite pour moi, que je pourrais même prendre des restes pour le week-end, les soirs et qu'elle se chargerait de me trouver une bourse pour que ma scolarité soit 100% gratuite. J'avoue que cela m'a un peu fait sourire quand elle m'a dit que je pourrais avoir de la nourriture de la cantine, car c'était toute ma vie. La cantinière, ma tutrice nous a toujours nourries sur le budget de la petite école où elle travaille. Elle nous cuisait des gâteaux pour le week-end dans le four de l'école, et bien-sur tous les ingrédients sortaient des placards de l'école. Donc mon avenir alimentaire allait ressembler à mon passé.

     

    Mon prof d'anglais, un  anglais assez âgé, le prof que j'aimais le moins, m'a  trouvé un emploi de secrétaire dans une usine de prothèses dentaires. J'y ai travaillé sur les 2 mois d'été, et j'y ai aussi travaillé les mercredis après midi, sur les mois qui ont suivi. Je faisais 5h/semaine chez eux. 

     

    Pour simplifier, disons que Limoges est une ville en forme de V. Panazol est  à droite de la patte droite et Chaptelat la commune de l'usine est au centre du V. Mon école  se situait quant-à elle sur le sommet de la patte droite, donc j'ai choisi de loger dans une chambre chez un habitant de Chaptelat. J'avais alors moins loin pour me rendre à l'école que quand j'habitais chez la cantinière. Je ne sais même plus comment j'ai trouvé la chambre. Je crois que c'était une petite annonce à la boulangerie de Chaptelat, mais je ne l'affirmerai pas.

     

    Aussi étrange que cela puisse paraitre je ne me souviens pas vraiment des mois de mai et juin. La cantinière et moi devions raser les murs chaque fois que nous devions nous croiser dans sa maison pour nous parler encore moins que le très peu de notre habitude. Je ne me souviens pas qu'elle m'est rabâchée de partir. Je sais par contre, que je ne lui ai fait aucune confidence. Elle voyait Lionel se garer devant la maison pour me déposer ou me prendre, mais jamais elle n'en sut plus. A moins que Evelyne soit entrée en contact avec elle ou que les commérages aient créé une fable lui soit parvenue.

     

    Je me souviens par contre très bien du jour de mon départ. La cantinière avec son quintal et demi bloquait la porte de ma chambre tout le temps que j'entassais mes vêtements dans les cartons. Il n'aurait surtout pas fallu que je lui vole quelque chose. Je n'ai pris aucun objet du passé, style  une photo de classe, la plante verte de ma chambre, le cadre construit à l'école dans lequel j'avais glissé la photo d'un petit mouton. Je lui en ai raconté des choses à celui-là. Avec ma première paie je me suis offert un de ses frères. Enfin non ce n'est pas vrai, puisque je te raconte ma vérité, j'y vais à fond, Cole je suis une voleuse. Dans un supermarché, j'ai ouvert une boite de playmobil et j'en ai volé un mouton plus exactement un agneau avec la tête marron qui s'articule au niveau du cou. Mon petit mouton a 27 ans... Il passe sa retraite dans ma voiture, dans le cendrier que j'utilise comme vide-poche. Voilà Colerige Alesh tu sais tout. Ah non tu ne sais pas pourquoi il a atterri dans la voiture, alors je vais te le dire. Mon petit mouton sans nom est mon porte bonheur et être en voiture c'est bien plus dangereux que d'être dans l'appartement tu le conviendras comme moi, donc il passe son temps dans la voiture. Là maintenant tu sais vraiment tout Cole.

     

    Bon ne revenons pas à nos moutons mais à mon mariage.

     

    Je n'ai pris que mes affaires scolaires et mes vêtements. Mes brosses à cheveux et à dents probablement, mais certainement ni un savon ni un shampoing. Pour ce qui était du linge de toilette, des torchons pour la vaisselle, je me souviens avoir du en acheter. Pas voler, acheter. Bon ok pas acheté avec mes sous... C'est Lionel qui a payé.  La cantinière ne m'a rien donnée pour démarrer dans la vie, pour que je me souvienne d'elle.

     

    Nous n'avons pas échangé un mot, un regard, un geste. Lionel ne m'attendait pas dans la fuego, sur le trottoir. Il était déjà à l'armée ce jour là. C'est Thierry son pote qui était venu me chercher.

     

    Je suis partie sans un adieu sans un merci. Elle ne m'a dit ni "bon débarras" ni "laisse moi ton adresse" ni même " je te souhaite tout le malheur du monde".

    Nous ne nous sommes plus jamais revues, ce fut un point final.

     

    Dire que je n'ai jamais pensé à elle depuis serait un grossier mensonge. Il m'arrive encore de penser à la cantinière. En vérité c'est à moi que je pense chaque fois que je songe à elle. Parce que tu vois, vieillir c'est avoir son age, aussi je fais des comparaisons.  Par exemple quand j'ai acheté mon 180, j'ai pensé : elle n'a jamais eu aucun animal, moi j'ai mon 180 maintenant. C'est un peu comme si j'avais besoin de me prouver que je suis mieux qu'elle. En même temps c'est facile puisqu'elle n'avait aucune vie en dehors de son boulot. Elle n'a jamais fait quelque chose pour le plaisir.  Je compare aussi nos logements. Le mien est beaucoup plus chic, elle n'a aucun sens de la décoration. Je compare aussi nos vies sociales. Anniversaire, noël, premier de l'an, elle n'avait que moi alors que moi j'ai des amis. tu vas peut-être me conseiller d'aller chez un spy puisque je ne parviens pas vraiment à cesser de mettre nos existences en parallèle ou en superposition, tant dis, je suis ainsi. Et puis tu as bien les lettres de ton père ... N'avons-nous pas tous besoin d'un garde-fou, d'une espèce de boussole ? Oui je compare ma vie à celle de la cantinière. Chaque fois j'en conclus que je suis mieux qu'elle et cela me fait du bien. Franchement j'aime mieux comparer ma maison à la sienne que de me demander comment est celle de mes parents. Enfin bon, une nouvelle fois je suis encore partie très loin du sujet du mariage. C'est fou comme on dirait que je ne veux pas m'en souvenir.

     

    Il avait changé Lionel. Loin de ses copains il n'était pas aussi ridicule, il était même  gentil. Suite au premier baiser sur la bouche à la sortie de l'école, il ne m'a plus  jamais touchée. Quand je dis touchée je veux dire tout, comprends Cole qu'il ne me prenait pas la main, qu'il ne me posait pas le bras sur les épaules... Pour moi qui ne l'aimais pas, j'ai vraiment apprécié. Si j'en avais été amoureuse je l'aurais jugé froid, distant et je le lui aurais reproché, mais au vu de la situation il répondait à toutes mes attentes. J'avoue que sa gentillesse ourlée de sa retenue m'ont fait énormément de bien. Je me suis même mise à rêver d'un bonheur dans notre avenir. Quelle naïveté !

     

    Naïveté d'une semaine ou de deux, car ensuite il est parti à Versailles pour son service militaire. De mon côté à Limoges, j'ai fini ma première année de BT puis j'ai travaillé à la petite usine de prothèses dentaires sans pour autant me sentir seule. La solitude je ne peux pas  dire en connaitre sa souffrance. J'aime la paix et le silence qu'elle offre. Je n'avais pas peur non plus. Vivre chez des inconnus, dans une chambre de leur maison ou vivre chez la cantinière ne présente qu'une différence de provenance du financement. Avant mes parents payaient et ensuite ce fut moi. Enfin ... Lionel.

     

    Avant de partir au service nous avions ouvert un compte à nos deux noms. Il gagnait de l'argent depuis des années, depuis qu'il était apprenti chez son père. Moi je n'ai jamais eu d'argent de poche. Parfois elle me donnait un billet trop gros pour acheter quelque chose et je pouvais en garder la monnaie. Mais cela ne constituait pas à proprement parlé d'argent de poche. J'ai payé tous les loyers avec l'argent du compte commun, compte sur lequel je n'ai jamais déposé un centime. Je me suis ouvert un compte pour déposer mes salaires. Attention Colerige Alesh, ne m'insulte pas. Ce compte je l'ai ouvert devant Lionel le jour où le compte commun a été ouvert. C'est lui qui a voulu que j'ai le mien comme il avait le sien. Je piochais dans le compte commun pour le loyer, juste pour le loyer. Jamais je ne me serais permise d'aller au cinéma avec son argent , pas plus je ne me serais achetée un bijou ou un livre. Oui j'ai profité de lui, oui j'ai utilisé son argent mais j'en ai payé le prix si je puis dire, enfin écrire. C'est très moche de commencer une vie sexuelle de la sorte.

     

    Notre mariage a eu lieu à Panazol le samedi 6 août 1983. Il n'a pas plu ce jour là mais il n'a pas fait vraiment beau non plus. J'avais voulu m'offrir un petit chapeau pour l'occasion, et bien crois moi, il m'est resté sur la tête comme ma veste à manches longues n'a jamais rejoint le dossier d'une chaise.

     

    Je portais une petite robe blanche de mousseline  qui descendait jusque sous le genou, avec de la dentelle en corsage et de fines et doubles bretelles qui descendaient très bas dans mon dos. Elle était un peu transparente cette robe. Personne ne l'a su, personne n'a vu mon dos nu puisque j'ai gardé ma veste toute la journée, je l'ai même gardée boutonnée. Cette veste je lui ai déjà fait deux ou trois sosies. J'adore cette coupe. Pour l'imaginer c'est très simple, songe à une veste queue de pie d'homme et agrémente la d'une double rangé de boutons argentés. Comme le chapeau elle était bleu roi.

     

    Lionel avait fait un énorme effort, il avait passé un jeans neuf donc sans entailles et hiéroglyphes. Il avait fait des folies, il s'était acheté une paire de bottes de cowboy qu'il portait au dessus de ses bas de pantalon. T'as le look coco, coco t'a le look !

     

    Je lui avais acheté une chemise blanche à plastron avec un col cassé. Il a fait l'effort de la mettre.

     

    Comme nous ne nous sommes mariés qu'à la mairie nous n'avons jamais eu d'alliance. Par la suite il m'a offert quelques bracelets et colliers douteux mais jamais de bagues.

     

    Thierry son pote qui fut mon témoin, est arrivé en costume cravate, très chic. Le maire a cru que c'était lui le futur marié.

     

    La mère de Lionel ne s'était pas déplacée, elle était restée au garage qui n'avait pas fermé pour l'occasion. Elle savait que ce mariage n'était qu'une mascarade. Je crois qu'elle a espéré jusqu'à la dernière minute que son fils se réveille. Très franchement si j'ai toujours su pourquoi je l'épousais, j'ai toujours ignoré quelle fut sa motivation. Bien sur je ne lui ai jamais raconté l'histoire de mon frère, l'argent versé par mes parents à la cantinière et mon avenir de SDF. Si j'avais creusé sur ses motivations, il aurait peut-être voulu connaitre les miennes. Comme je n'avais aucune envie d’exhiber ma misère, je ne l'ai jamais invité à me raconter ses états d'âme. Lionel était assez taiseux avec moi. Nous n'avons jamais discuter de rien. Même au moment du divorce il n'y eu aucun mot échangé. Si nous nous retrouvions en tête à tête, il regardait la télévision et je cousais à la main et rêvant au jour où je pourrai avoir une machine à coudre, comme avant.

     

    Le père de Lionel était là. Il avait sorti le costume qu'il portait pour les enterrements. Comme il me l'a confié, être commerçant induisait quelques obligations. Les enterrements en faisaient partie. Majoritairement c'était madame qui s'y collait mais il y avait des fois où il ne pouvait pas se défiler. Alors sa femme avait investi dans un costume sobre. Ce n'était pas le genre d'homme à prendre du poids en même temps que des années, aussi l'investissement allait être rentabilisé à terme.

     

    Évidemment je n'avais pas invité la cantinière mais Panazol est petit, elle n'avait pas été sans le savoir. Les bans avaient été publiés une quinzaine de jours avant. Je ne te cacherai pas avoir autant espéré que craint sa venue.

     

    Avec les 2 témoins  Bruno et Thierry, les deux potes de Lionel, nous étions cinq. Une vraie misère. Je ne sais plus lequel mais l'un des deux devait arriver avec sa copine. Nous ne l'avons jamais aperçue. Suite aux formalités en mairie nous avons déjeuné assez rapidement dans un restaurant. Je crois me souvenir que c'est le père qui a payé la note. On va dire que ce fut là son cadeau de mariage. Mon mariage fut sans alliance, sans fleur, sans cadeau, et surtout sans enthousiasme tu l'avais deviné. Ensuite Jean Claude est parti reprendre son travail. Les copains lui ont emboité le pas. Alors Lionel et moi nous nous sommes retrouvés seuls et ne sachant quoi faire, nous sommes allés chez nous, dans la chambre que Lionel n'avait pas encore découvert. Il débutait sa première permission. La veille il avait dormi chez ses parents.

     

    A chaque permission, ensuite,  il passera sa première nuit chez ses parents suite à une sortie très alcoolisée entre potes.

     

    Dès dans la chambre, il s'est jeté sur le lit. Je me suis dit " voilà, je vais devoir y passer". Mais non, il a allumé la télévision et il a regardé l'agence tous risques. Cole tu ne dois pas connaitre Barracuda, Looping, futé et je ne sais plus le nom du quatrième de la série TV. Crois moi tu ne perds rien, c'était d'un stupide, mais Lionel était fan.

     

    Tu sais j'en ai lu et relu des témoignages de filles violées par leur père, oncle, grand-père, copain de leur mec ou leur mec lui-même. Je sais donc ce que sont les viols. Je sais les ecchymoses, les taisons de bouteilles enfoncés dans le vagin, les coups de cuter, les déchirures vaginales, oh oui je sais tout ça. Donc je ne peux pas dire que Lionel m'est violée, pourtant nous n'avons jamais fait l'amour, nous n'avons vécu que des viols consentis. Je vivais le calvaire de beaucoup de femmes mariées. Tant et tant subissent des relations sexuelles sans jamais ressentir le début d'un mini orgasme. Que de tristesse !

     

    Il passait ses semaines  à l'armée. Sur ce temps nous n'avions aucun contact. Pas une lettre ou une simple carte postal. Jamais un coup de téléphone. Et puis un jour il prenait le train et descendait à Limoges, enfin Panazol. Sa mère récupérait son linge, Lionel retrouvait sa fuego pour aller rejoindre ses potes et je n'en savais rien. Le soir il était ivre, il allait roupiller chez ses parents et le lendemain il débarquait sans me prévenir. Je le trouvait donc avachi sur le lit. En fait je savais qu'il était là avant de le voir, je voyais la fuego et j'entendais la télévision.

     

    En règne général il commençait par me dire que mon frigo était vide, qu'il n'y avait rien à manger. Je traduis : Je n'avais ni gâteaux secs ni cacahouètes voir bonbons ou barres chocolatées. Mes frigo et placards étaient pire que ceux de sa mère. Une fois cette formalité rappelée, il se replongeait dans sa série TV et je pouvais vaquer à mes occupations. Parfois je m'installais à son côté, je regardais la TV aussi. Jamais alors l'envie de poser sa main dans mon dos, sur ma cuisse, de toucher ma peau ne le déconcentrait de son film, sa série. Depuis qu'il m'avait, je ne l'intéressais plus.

     

    Je finissais toujours par nous préparer un repas et alors il montait le son pour couvrir les bruits que je faisais. Rien de plus, rien de moins. Ensuite "Monsieur Pacha est servi". Je mangeais seule à table, il préférait rester sur le lit à cause de la TV. Alors toujours ensuite arrivait le moment où il éteignait, ou il se déshabillait et entrait nu dans mon lit. Fatalement je l'y rejoignais. Comment aurais-je pu avoir envie de lui ? Il n'avait jamais levé les yeux sur moi, il ne m'avait pas adressé un mot. Dès que nos deux corps se touchaient son sexe entrait en érection et chaque cellule de mon corps se fermait. Lionel n'était pas ce que l'on nomme une brute. Puisque j'étais un glaçon il commençait par se masturber un peu  et ensuite il éjaculait en moi. Et dodo.

     

    Toujours la même position, aucune créativité. Zéro caresse, pas même un baiser. Je ne te parle même pas de mot d'amour.

     

    Tu ne vas peut-être pas me croire, Cole, mais pas une fois il n'a cherché ma bouche. Lionel ne m'a jamais embrassée. Il ne sait rien de l'éloquence de ma langue. Bien sûr j'ai eu des amants depuis lui, j'ai tout de même cinquante ans aujourd'hui. Ils n'ont pas tous été grandiose, mais aucun n'a oublié ma bouche ou mes seins. Lionel ne s'intéressait qu'à sa petite éjaculation. Je pouvais être habillée en entrant dans le lit, du moment que je n'avais pas de culotte. 

     

    Viol consenti. Misère absolue.

     

    Je ne doute pas qu'il traite mieux sa femme actuelle que moi, déjà car elle le traite mieux que je ne le traitais, mais je suis persuadée qu'il ne l'embrasse pas quand il lui fait l'amour. Il fait l'amour comme les prostituées, il n'embrasse pas. Un jour j'ai lu que nous recevons par le sexe, les mains et que nous donnons par la bouche. J'ai lu ça dans un essai quelconque. A cause de Lionel j'y ai cru. Oui Lionel m'a fait réaliser que la bouche est plus intime que le sexe. Une langue a bien plus de générosité qu'une paume, qu'un phallus ou qu'un vagin. Et pourtant c'est elle aussi qui a le plus de gourmandise me semble-t-il. Je ne sais pas. Le livre disait ça.

     

    Quand je t'écris Cole, je file à la vitesse de mon bic et je ne me relis pas, sauf quand je te quitte quelques minutes et que je reviens à toi. Là je relis le dernier passage pour que la continuité soit parfaite. Pour la première fois depuis le début de notre correspondance, je viens de relire les derniers paragraphes trois ou quatre fois. Une partie de moi hurle "Mais tu as vu ce que tu viens d'écrire ! Mais tu te rends compte que Cole va lire ça ! " Oui je m'en rends contre, je me rends surtout compte comme je me sens libre avec toi. Et c'est vraiment étrange. Pourquoi je peux évoquer ma sexualité sans honte ou désir de provocation et que je ne parviens pas à t'écrire mon dit secret ? Pourquoi ? Comment puis-je me sentir si libre face à toi et si bloquée à la fois ? Je ne me comprends pas moi-même.

     

    J'ai eu 19 ans.

     

    Lionel a fini son armée mais il y avait tellement de tension entre lui et ses parents à cause du mariage qu'il a signé pour deux années à Toulon comme mécanicien sur les bateaux militaires.

     

    J'ai obtenu mon BT avec mention bien. Et j'ai retravaillé à taux plein sur l'été à l'usine de prothèses dentaires.

     

    Comme la directrice m'avait dit que cela aurait été dommage que je ne reste pas pour faire mon BTS, je suis restée, et ma vie a continué sans changement.

     

    La marine c'est bien mieux que l'armée de terre,  je  voyais Lionel beaucoup moins souvent. Ses permissions étaient moins nombreuses. De plus, ses parents avaient très mal pris qu'il ne revienne pas travailler au garage familial, aussi pour certaines permissions il restait sur la région de Toulon. Je subissais moins de viols consentis et cela m'allait très bien.

     

    Peu de temps après le nouvel an 86,  j'ai reçu une lettre de lui. La première et la dernière. J'ai songé qu'il avait eu la délicatesse de me poster une carte de vœux. Chose que je n'avais pas faite. Tu ne vas peut-être pas me croire, mais je n'ai jamais eu l'adresse de sa caserne à Versailles ou à Toulon. Je n'y étais pas du tout, il m'y apprenait qu'il était amoureux d'une toulonnaise et qu'il voulait divorcer. Il m'expliquait la démarche à suivre, démarche qu'il tenait d'un avocat qu'il avait consulté.

     

    J'ai fait tout ce qu'il voulait.

     

    Le jour de mes 18 ans je suis allée voir Lionel Kervelou pour lui demander de m'épouser.  Nous nous sommes mariés le 6 août suivant. Le 22 avril 86 jour de mes 21 ans j'étais divorcée. J'ai divorcé un 6 aussi. Mariée le 6 août, divorcée le 6 avril.

     

    J'ai choisi de garder son nom. Je n'ai jamais eu d'amour pour Lionel mais je lui dois bien plus que je ne dois à mon père qui a payé pour me garder éloignée de lui. Je préfère porter le nom de Lionel que celui d'un homme dont j'ignore le prénom.

     

    Sur les années de mon mariage, jamais je n'ai réalisé que je m'étais traitée comme ma mère l'avait fait, et pourtant, je me suis vendue comme elle m'avait vendue. Je n'ai jamais eu l'idée que je pourrai  m'en sortir seule, aussi je me suis donnée à Lionel. Oui je me suis traitée comme ma mère m'a traitée. Je dis ma mère non mon père car l'image des poupées brûlées dans les cendres de ma cabane c'est comme un point final de lui à moi. Alors que ma mère c'est elle qui m'a montée dans la voiture donc d'une certaine façon c'est elle aussi qui pouvait n'en faire descendre, soit venir me chercher chez la cantinière.

     

    Voilà tu sais maintenant tout de mon délicieux mariage.

     

    Puisque nous sommes dans les confidences, Cole,  j'aimerai qu'un jour tu prennes le temps de me raconter ce qu'il y a derrière l'accusation d'agression d'un enfant du village. Que pensent-ils que tu aies fait pour qu'ils montent furieux chez toi ?  Tu ne me dois rien Cole. Je te dis juste que j'aimerai le savoir. Non je ne suis pas curieuse, je suis pleine d'intérêt pour toi, c'est différent.

     

    Je devrais faire comme toi Cole, noter la date de la lettre à sa fin non en son début car si je l'ai commencé  mardi, nous sommes jeudi à présent.

     

    J'espère que ces trois longues lettres  t'aideront à oublier mon absence de mot sur septembre. Pardon vraiment. Je voulais juste réussi ce qu'il m'est impossible, mettre en mots ce que tu nommes mon secret et que j'appelle plus volontiers "mon moteur" ou "mon guide".

     

    Après un passage de sexualité, je ne peux conclure cette lettre d'un "je t'embrasse", il pourrait y avoir ambiguïté. Alors je conclus d'un " A bientôt Cole".

     

    Mickaelle.


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  • 56

    Châteauneuf-du-Faou

    Lundi 12 Octobre 15.

     

    Cole,

     

    Alors que ma lettre d'hier roule vers toi, me revoilà. Chose promise chose due. Ce n'est pas une corvée, c'est du bonheur.

     

     

    J'ai installé mon bloc, et mon verre à ma table de couture. Avant de m'asseoir,  j'ai jeté un œil par le vélux et j'ai vu Stoyan dans le jardin à l'endroit où doit être creusé le bassin. La tournure que prennent les choses me désolent, aussi, avant d'être toute à toi, je suis descendue le voir.

     

    Tu me vois Cole comme une personne qui manipule les gens. Jamais on ne me l'avait dit, jamais je ne m'étais imaginée ainsi, mais je finis par me dire que tu dois avoir raison et c'est affreux.

     

    Je t'ai déjà dit, il me semble, habiter au second, que Stoyan et Jérémy occupent le premier, mais je ne crois pas t'avoir parler de madame Tillyou qui loge au rez-de-chaussée et qui était l'unique propriétaire du bâtiment.

     

    A l'origine au niveau de la rue il y avait le salon de coiffure des Tillyou et sur les deux niveaux était leur logement. Suite au départ de leurs deux filles au Canada, ils ont transformé l'étage sous les combles en deux appartements, soit les deux que j'ai acheté. Il me semble d'avoir écrit que j'ai commencé par louer l'appartement de droite. Je vis au 13 rue de l'Aulne depuis début mai 1990. 25 ans ! J'avais 25 ans, le calcul est vite fait, j'y vis depuis la moitié de ma vie.

     

    A la mort de son mari, Madame Tillyou a fait le choix de fermer son salon de coiffure qui était vraiment vieillot. Elle s'est installée au rez-de-chaussée, et a fait construire  deux appartements au premier. Cela lui faisait trois appartements en plus du mien. Majoritairement ils restaient vides et quand ils étaient occupés les problèmes commençaient. Elle n'a jamais eu de chance avec ses locataires. Jusqu'à l'arrivée de Jérémy en 1996. Pourtant il avait une sale tête celui-là quand il est arrivé ! Et la maigreur ! 57 kg pour 1m76. Depuis, il a pris des rides mais pas un gramme.

     

    Souvent, elle et moi nous évoquions l'avenir, elle ne voulait pas que je parte. je lui tenais compagnie. J'étais un peu sa troisième fille, elle était un peu la grande-mère que je n'avais pas eu. Elle voulait que je la rassure, mais je suis de nature franche aussi je lui répondais que je ne savais pas. Que sait-on de son avenir à 25 ou 26 voir 27 ans ? J'avais l'espérance qu'un prince charmant viendrait m'enlever et j'étais convaincue que la Terre n'en portait aucun, en tout cas pas pour moi. J'avais été mariée, une mini lueur d'espoir d'une autre bague au doigt vivotait au fin fond de moi... Dans la vase de l'aquarium qui n'a pas de vase.

     

    Ce qui me dérangeait  dans l'idée de demeurer toujours dans mon appartement, c'était qu'il n'avait pas de  balcon. Vivre dans 49m² ne me déplaisait pas, mais pas de balcon, ça c'est dur pour une ex enfant qui a grandie dans une maison avec jardin. J'avais juste besoin d'un carré pour poser une chaise où je puisse lire au soleil, et d'un second pour étendre mon linge même si j'ai un sèche-linge maintenant.

     

    Au fil du temps l'idée d'avoir tout l'étage m'est venu, alors je la taquinais, je lui disais d'enlever la cuisine de l'un, la salle de bain de l'autre et de poser une porte au bas de l'escalier. Je voyais mon balcon parfaitement, il fallait juste couper la toiture. Pauvre Madame Tillyou, elle me souriait mais je la paniquais, surtout que je divaguais tout haut. Il faut dire que mes idées, mes dessins évoluaient. J'ai au moins déplacé la cuisine douze fois et le balcon passait d'un appartement à l'autre au grès de mes délires. Parfois je la faisais monter pour qu'elle visualise mieux mes idées. Elle ne voulait pas investir. Nous parlions de l'étage un peu comme nous aurions inventé le voyage idéal sans jamais avoir l'idée de le concrétiser.

     

    C'est Jérémy qui m'a fait passer du rêve à la réalité.

     

    Jérémy  lui a demandé de vendre. C'est fou mais pas une fois je n'avais songé à devenir propriétaire, un peu comme si seuls les couples peuvent acheter, accéder aux crédits. Jérémy, lui, voulait acheter dès le début. Quand il est arrivé dans l'immeuble, il était sans espoir d'avenir. Il venait d'affronter sa famille en lui imposant son homosexualité. Il se croyait alors avec l'homme de sa vie. Ce fut une totale catastrophe. Sa famille l'a rejeté et son amant est parti. Alors le pauvre Jérémy s'imaginait un avenir vide bien que n'ayant encore que 23 ans. Il a 8 ans de moins que moi et 12 de moins que Stoyan. Il avait son CDI. La seule ambition qui lui restait était de devenir propriétaire.

     

    Ce fut suite à un locataire furtif mais destructeur que Madame Tillyou a prit Jérémy au mot. Pauvre Madame Tillyou quand elle a vu l'état de l'appartement !!! C'est là aussi que Jérémy m'a proposé d'acheter tout l'étage. Nous nous sommes soutenus, nous avons fait les démarches ensemble. On s'entendait vraiment bien tous les trois. Je ne sais pas pourquoi je mets cette phrase au passé, c'est encore le cas. J'espère.

     

    L'année 1997 fut un peu magique. 

     

    La suite, tu la connais,  Stoyan a acheté l'appartement collé à celui de Jérémy et ils ont abattu une cloison pour unir les deux appartements.

     

    Focalisé sur les logements, moi en plus sur mon futur balcon (que j'ai - il donne coté rue et sur le coté. Oui il est en forme de L ), nous n'avons pas songé au jardin. C'est un rectangle profond de la largeur de l'immeuble.

     

    Madame Tillyou en est l'unique propriétaire, mais tout le monde peut y aller. On vit un peu comme en famille. Comprend, elle n'a plus de famille, moi je n'en ai jamais eu, Stoyan a la sienne en Bulgarie et Jérémy est interdit de séjour chez ses parents, ses frères et soeur, ses oncles et tantes car homo. Bref on est un peu comme une maman avec sa fille et ses deux fils sauf que les deux fils couchent ensemble.

     

    On se fait des repas pour parler du jardin, ce que l'on va y semer, pour savoir qui va passer la tondeuse, tu vois des choses comme ça. Quand on débarque tous les quatre au magasin vert, je te jure c'est du pur bonheur.

     

    Tu commences à voir où je veux en venir. Moi la manipulatrice.

     

    J'ai fait avec eux ce que j'ai fait avec mon patron : je les ai baratiné pour qu'ils finissent par penser comme moi, que ce serait super d'avoir un bassin avec des poissons au fond du jardin.

     

    J'ai déjà imposé Ayatt et Kaume. C'est pour ça tu vois qu'elles sont mes filles sans l'être vraiment, car elles vivent dans l'immeuble. A ma porte d'entrée comme à celle de Stoyan il y a une chatière. Je te rappelle ou t'informe si ce n'était déjà fait qu'elles sont des teckels à poils longs donc plus petites que des chats. Il y en a aussi une sur la porte qui mène au jardin. Pour aller chez Madame Tillyou elles passent par sa baie vitrée, coté jardin. Leurs laisses sont à un clou dans le couloir, contre ma porte d'entrée, comme ça si quelqu'un est parti avec elles tout le monde le sait. Tu vois on fonctionne comme ça. C'est familial.

     

    Jamais je n'avais songé que j'utilisais les gens, je pensais qu'ils étaient heureux que les filles passent du temps avec eux, mais tu as surement raison, j'utilise les gens, car oui c'est bien pratique de ne pas devoir m'occuper des filles à 100%. La preuve, j'ai pu monter à Paris comme si elles n'existaient pas. Et je n'ai pas donné un sac de croquettes aux garçons, non, il y a des années qu'ils notent croquettes sur leur liste de course comme moi. Il n'y a que les frais vétérinaires qui ne sont payés que par moi, mais souvent c'est Stoyan qui les emmène au cabinet.

     

    Plus je me regarde comme tu me vois, plus je me trouve moche.

     

    Donc pour le bassin, j'ai converti tout le monde, et maintenant je suis la seule qui n'en veut pas.

     

    Tu comprends, mes poissons je les vois tous les jours, il y a juste une vitre entre eux et moi, donc je les vois. Je sais leur style, leur préférence. Chaque poisson a une personnalité, des relations bien différenciées avec les autres. La vitre me permet de savoir tout ça. Je les connais bien mes poissons, pas un ne ressemble à un second.

     

    Si ils vont dans le bassin, je ne les verrais plus, et puis ils vont avoir froid. Ils sont dans une eau chauffée depuis toujours, tous les jours, là ils vont devoir affronter les saisons. J'ai passé des heures sur internet, certains vont mourir. Certains vont s'acclimater mais certains vont mourir.  Tous les aquariophiles le disent. Passer des poissons d'aqua en poubellarium ou en bassin induit un taux de mortalité élevé. Je ne peux pas les mettre dans un bassin.

     

    En 2018 le 800 litres de l'agence devra être vidé, ça ok je l'ai bien intégré mais ce n'est pas pour ça qu'il faut faire n'importe quoi. Oui l'idéal est un 3 000 litres et non je n'ai nul part où le construire, donc il me faut un bassin. Mais ils vont y mourir. Ou alors il faut couvrir le bassin pour le chauffer comme une piscine, mais là nous ne sommes plus sur le même budget.

     

    J'ai converti tout le monde. On en a fait des repas dehors cet été durant lesquels mes planches à dessins passaient de l'un à l'autre. Parfois je me faisais l'impression d'être une conférencière. Et je te jure j'aimais ça en plus.

     

    J'exposais tous les avantages, j'avais un budget prévisionnel, je cassais tous les contre-arguments. Pire qu'un politique, j'étais pire qu'un politique qui veut que l'on vote pour lui.

     

    Au début personne n'en voulait de mon bassin. Alors j'ai fait passer les poissons au second plan et j'ai ajouté sur mes planches ce que je savais pouvoir plaire. A force de les côtoyer je finis par les connaitre par coeur les gens de l'immeuble. Madame Tillyou est une amoureuse des plantes, je l'ai gavé de vidéos sur youtube présentant des bassins avec des nénuphars. Jérémy aime le silence de la nuit, j'ai intégré dans le muret des lumières et un jet d'eau, une cascade. Et Stoyan, lui c'était le plus facile, il rêve d'une moto. Pour protéger la décante, le système électrique il va falloir une construction en dure et couverte, si on la fait un peu trop grande, une moto pourrait y entrer.

     

    Pour moi ce n'était pas de la manipulation, c'était faire un projet commun, offrir du bonheur à tous, mais c'est toi qui as raison, je ne suis qu'une manipulatrice prête à tous pour obtenir ce que je veux.

     

    Maintenant Madame Tillyou rêve de ses nénuphars, Jérémy veut construire le muret, la cascade, avoir son jet d'eau éclairé la nuit. Et Stoyan s'est remis à chercher sa moto. Il a même rencontré un banquier pour savoir si il pouvait obtenir un prêt pour l'acheter.

    Oh l'horreur !

     

    Nous n'avons pas de garage, nos voitures restent dans la rue. Avec Jérémy il loue déjà un espace pour leur camping-car, il n'a pas les moyens de s'offrir un garage pour sa future moto, mais si il y avait un chalet dans le jardin, là ça changerait tout. Madame Tillyou avait refusé il y a quelque année qu'une partie du jardin soit transformée en espace de rangement.  Les poubelles comme les vélos sont dans le couloir qui nous permet de passer de la rue au jardin. C'est sur que ton halle d'entrée  à Paris, et notre couloir poubelles !!! Zéro comparatif possible.

     

    L'escalier pour accéder aux étages est extérieur, coté jardin. Dessous il y a la tondeuse. Pour avoir ses nénuphars  Madame Tillyou est d'accord pour le chalet. Si tu avais vu le bonheur sur le visage de Stoyan quand je lui ai dit que nous aurions le chalet. Il m'a décollée du sol, m'a fait tournée dans les airs comme si je n'étais qu'un poids plume. Dieu qu'il était heureux. A ce moment là, non je ne me pensais pas manipulatrice, j'avais le sentiment d'avoir bosser pour lui offrir du bonheur. Oui du bonheur collé au mien, mais je ne voyais pas où était le mal.

     

    Quand sur la semaine dernière je leur ai dit que 2018 était très loin, que Qilian avait déjà 18ans, Pekin et Xian 14, qu'il était prématuré de songer à creuser le bassin, je te jure que pour la première fois j'ai eu le sentiment qu'autour de la table tout le monde me haïssait. Adieu moto, jet d'eau et nénuphars. Tu as raison je ne suis qu'une horrible manipulatrice.

     

    Ce soir je suis allée parler avec Stoyan. Jamais il n'a été aussi fermé avec moi. Tu as raison Cole je ne suis qu'une manipulatrice. Et je le suis depuis très longtemps. Oui je l'ai toujours été.

     

    Tu veux que je te parle de mon mari. Tu vas être écœuré par mon comportement.

     

    Tu vois quand j'ai lu tes mots m'accusant d'utiliser les gens, je t'ai trouvé profondément injuste, mais vas savoir pourquoi, comme tu es sur un piédestal tout ce qui vient de toi a beaucoup de poids pour moi, aussi ensuite j'ai cogité et j’ai essayé de comprendre ce qui avait pu t'avoir amener à me voir de la sorte.

     

    Si tu ne m'avais pas accusée de manipulation je t'aurais tourné l'histoire de mon mariage comme je l'ai toujours tournée, mais depuis toi, c'est fou mais je vois mon passé autrement. Tu m'as même donné envie de recontacter mon ex mari pour savoir comment il a vécu notre mariage. Je ne le ferais pas, il m'a subi assez comme ça.

     

    Je ne suis qu'une peste qui manipule les gens. Ce qui est le plus terrible c'est que je me dis que si je me retrouvais à mes 18 ans, je referais pareil. Pourrie jusqu'à la moelle !!!

     

    Bref voici mon mariage dans la nouvelle version , version où je ne suis plus une pauvre victime mais une belle Salope. Disons les mots.

     

    Tout commence le jour de mes 18 ans. Le 22 avril. Tu es né le 11 avril 65, moi le 11+11 avril 65 !!!! C'est dingue je trouve.

     

    Bref, je t'oublie puisque le jour de mes 18 ans je ne savais pas que tu avais les tiens depuis 11 jours.

     

    Donc c'est mon anniversaire. La cantinière que je dois nommée Tutrice depuis 13 ans m'a fait un gâteau la veille à la cantine de l'école, je le sais car c'est moi qui est vidé ses seaux dans le réfrigérateur. Je ne sais même plus ce qu'il était, mais je peux tout de même affirmer qu'il devait être simple mais bon. Je ne me souviens pas plus si j'en ai seulement mangé.

     

    Elle n'était pas du genre à faire les choses en grand mais je savais que j'allais  trouver un petit cadeau non enveloppé dans mon assiette ou sur ma chaise si il était un peu trop volumineux. Elle offrait toujours des trucs utiles  chaussures, savon qui sent bon, pyjama, cahiers, classeurs...

     

    J'arrive donc à table le soir et je vais à ma place : rien. Le gâteau est sur la table, mais pas de cadeau. Bizarre. je m'assieds,  j'attends.

     

    Elle a un tablier avec une poche kangourou. Inoubliable.

     

    Elle reste debout, appuyée contre le buffet et elle sort de sa poche une feuille qu'elle balance sur la table en me disant  un chiffre. Je regarde la feuille, c'est son relevé de compte bancaire. Évidemment je ne comprends pas. Comme elle venait d'articuler un chiffre, je l'ai cherché. Il y avait un versement de ce montant. Sur des années je l'ai su par cœur ce montant, mais ce soir je suis incapable de m'en souvenir. Pourtant c'est ce que je valait pour mes parents.

     

    Quand j'ai relevé la tête elle m'a craché d'un trait, qu'elle percevait cette somme depuis le premier mois où je vivais chez elle.  Et que là c'était le dernier. Pendant treize ans elle m'avait gardée chez elle parce qu'elle était payée pour me loger / nourrir / blanchir comme on dit. Le contrat stoppait le mois de mes 18 ans, donc voilà c'était fini. Bon anniversaire Mickaelle.

     

    Elle m'a crachée cette abomination au visage et comme si cela ne suffisait pas, elle s'est jouée grande dame, grand coeur. Elle m'a dit sur le même ton, qu'au début mai elle n'aura pas un centime alors que je coute chère. Je devais en conséquence m'en aller. Mais, Oh divine femme !!! Mais elle m'offrait un  cadeau d'anniversaire. J'avais une pension gratuite sur mai et juin. Le premier juillet si je n'étais toujours pas partie, elle me mettrais à la porte car il ne fallait pas abuser de sa générosité. Treize années à vivre avec une gamine qui avait tué son frère lui avait créé beaucoup de désagrément, elle avait perdu des amies à cause de moi. Elle m'offrait deux mois pour m'organiser. Selon elle c'était bien plus qu'il ne m'en fallait.

     

     

    J'étais en première année de BTS  sur Limoges, je ne pensais à rien, je ne songeais pas à mon avenir. Ma vie c'était les cours que j'aimais, les livres que je dévorais les uns à la suite des autres, et ma couture. La cantinière était une super couturière, elle m'a appris tout ce qu'elle savait.  Nos deux mondes ne se rencontraient que dans la sphère de la couture.

     

    Du jour au lendemain je devais quitter l'école (j'étais 3ème de ma classe avec plus de 15/20 de moyenne générale) je devais déménager, je devais trouver un emploi. Pour moi c'était pire que de devoir me suicider. Si le médecin m'avait annoncée une tumeur au cerveau qui allait me tuer dans le trimestre, j'aurais moins paniqué.

     

    Depuis mes cinq ans, j'avais passé mes jours noyée dans les livres pour ne pas vivre ma vie. J'étais juste une toute petite fille qui attendait que sa maman vienne la chercher, qui ne comprenait pas pourquoi on l'accusait du meurtre de son frère alors qu'elle ne s'en souvenait pas. Ma vie était trop lourde à porter, alors je passais mes jours à la fuir, et j'y arrivais bien. Je n'étais que concentration sur tout ce qui n'était pas moi. Tu vois le tableau Cole.

     

    Comment aller se vendre à une entreprise ? Comment convaincre une entreprise de m'embaucher pour un job que je n'ai jamais rêvé, et pour lequel je ne suis pas qualifiée?

     

    Plus tard dans la soirée, je me suis retrouvée dans ma chambre avec le sentiment d'être au bord d'un gouffre et que le sol s'émiettait sous mes pieds, que ce n'était qu'une question de secondes avant que je ne tombe.

     

    Je ne sais ni comment ni pourquoi mais ce que je peux te dire, Colerige Alesh,  c'est que je devins alors obsédée mais vraiment obsédée par Lionel. Pas par le prénom, non, par le mec Lionel, le fils du garagiste de Panazol, un mec de 2 années mon aîné, un crétin qui m'avait toujours chahuté à l'école de la maternelle à notre Cinquième. En six et cinq on était dans la même classe grâce à ses 2 redoublements.

     

    L'enfer. Ce mec était mon enfer à lui tout seul. Il touchait toujours mes cheveux, il me bousculait dans les couloirs, la cours, la rue. Il avait toute une liste de formules qui devaient me charmer et qui ne m'inspirait que l'envie de rentrer sous terre. Dès ses douze treize ans, il voulait m'embrasser, parfois il y parvenait, il me coinçait ce con. Ensuite tout heureux d'y être parvenu il partait dans un fou rire. Mille fois j'ai eu envie de le tuer ce crétin je te jure.

     

    Aujourd'hui plus d'une mère dirait que j'étais une enfant harcelée. Aujourd'hui mais pas alors, déjà parce que je n'avais pas de mère pour me protéger et ensuite parce qu'à l'époque les gosses on s'en foutait tant qu'ils ne dérangeaient pas les adultes. La cantinière aurait hurlé si il avait déchiré mes vêtements. Il posait sa bouche sans lèvres sur ma joue, ridicule bagatelle pour elle, abomination pour moi.

     

    Il me sortait par les yeux ce mec.

     

    Après sa cinquième il est parti en CAP mécanicien, on s'est donc moins vu mais il ne m'a pas lâchée. Panazol ce n'était pas grand dans les années 70, 80.

     

    Un jour, je ne sais pas pourquoi je lui ai répondu que je ne l'épouserai que si il avait une fuego. C'est une voiture de la marque Renault. Je ne sais pas pourquoi je lui avais sorti une débilité pareil mais je l'ai fait. Il avait pris ma boutade au sérieux ce crétin, aussi  quelques mois après ses 18 ans, son permis de conduire en poche, il est apparu devant moi, devant la grille de mon école, au volant de sa fuego. La honte ! Ce que j'exécrais ce mec !

     

    Et là le soir de mes 18 ans, alors que le sol se dérobe sous mes pieds, je suis obsédée par Lionel. Tu vois pour prendre une métaphore, c'était un peu comme si tu es assis sur un mini rebord de falaise, qu'au moindre mouvement tu sais que tu vas tomber et là juste au dessus de toi tu découvres une corde à nœuds, mieux, une échelle en corde. Alors tu te dis, soit tu ne fais rien et tu vas tomber à plus ou moins court terme, à cause du vent, du sol qui s’effrite, soit tu tentes le tout pour le tout et tu te redresses pour saisir la corde. Ok elle est peut-être pourrie, elle peut ne mener nul part mais, mourir pour mourir autant mourir après avoir essayer de survivre. Se donner les moyens de n'arriver à rien.

     

    Colerige mille excuses mais je vais m'arrêter là pour ce soir. Si je veux te raconter mon mariage, je ne serais pas couchée avant deux heures du matin. Je ne peux pas me permettre de veiller si tard. Donc je vais procéder comme hier. Je stoppe là, je poste demain matin cette lettre et demain soir je t'écris la suite.

     

    Roman feuilleton de la vie d'une lamentable manipulatrice. Quand tu seras arrivé à cette ligne, je pense que tu ne seras plus que regret de m'avoir invitée à remettre des timbres sur mes lettres. Au moins tu sauras pourquoi tu ne veux plus de moi. Quelle bêtise tu as fait de t'amuser à me prétendre ta femme au près de ta concierge. Tu dois maintenant bien t'en mordre les doigts.

     

    A demain,

    Mickaelle.

     


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  • 55

    Châteauneuf-du-Faou

    Le 11 Octobre 2015.

     

    Colerige Alesh,

     

    Je n'ai jamais cessé de t'écrire. J'ai juste cessé de poster les pages que je t'écris. Je ne  parviens pas à les finir. Et j'omets toutes celles que je ne suis même pas parvenue à commencer.

     

    Je suis navrée. Sincèrement, profondément navrée. Toute à ma guerre intérieure, au conflit entre ma volonté de répondre à ta question légitime et mon refus catégorique de m'ouvrir à toi, pas une seconde je n'ai songé au silence, au vide que je t’infligeais. Pardon. C'est fou comme on peut passer son temps, à vouloir faire quelque chose pour quelqu'un, sans jamais avoir une pensée pour lui. C'est atroce comme découverte. Je te demande pardon, même si je ne suis pas pardonnable. Je suis une monstrueuse.

     

    Et je le suis encore bien plus.

     

    Je suis heureuse, heureuse de t'avoir négligé. Oui c'est monstrueux d'éprouver du bonheur en apprenant le mal infligé à autrui. Pourtant je suis heureuse. Ta lettre, Oh Cole, ta lettre... Si ton appartement n'est que luxe soit futilité, la lettre est précieuse pareil à un lingot d'or. J'ai le sentiment que jamais tu ne l'aurais rédigée si tu n'avais pas traversé ce vide. Alors oui, je suis assez monstrueuse pour aimer le mal que je t'ai fait sans le vouloir, car il est à l'origine d'une merveille. Mes mots doivent te choquer. Tu y relates la tragédie de ton père. Mais toutes ses peines et souffrances sont dépeintes dans un délice d'amour qui me touche bien plus que tu ne pourrais l'imaginer. Quel beau fils tu es ! Je ne sais si tu crois ou non à la vie après la mort, mais je te le dis : Comme ton père doit être honoré de t'avoir pour fils, Cole. Je ne suis mère de personne, mais que cela fait du bien de savoir sur Terre un fils beau comme toi.

     

    ( Flash info : Séisme sous le piédestal de C.A.T. Une montagne s'est formée. Le piédestal est maintenant 1800m au dessus du niveau de la mer. )

     

     

    Je m'y suis reprise à dix fois, vingt fois, même peut-être plus. Je m'installais telle une élève studieuse, voir une fille détachée, ou autre guerrière résolue, pour te dire "mon secret".  J'ai ainsi adopté toutes les positions en tous lieux de mon appartement. Une fois même je me suis relevée en pleine nuit pour aller chercher mon bloc, et je suis retournée ensuite très vite sous la couette t'écrire. J'avais tous les mots dans la tête. J'ai même ressorti mon vieux dictaphone, et le long de l'Aulne, le fleuve dont les méandres traversent Châteauneuf-du-Faou, en promenant les filles, je t'ai tout raconté. Mais impossible de le retranscrire. J'ai songé un instant te poster la cassette, le dictaphone avec, mais... MAIS. Il y a toujours un MAIS qui gagne, qui s'impose en dictateur. Et auquel j'obéis car je suis de son avis.

     

    Tu as pleinement raison, aussi fort et troublant que soit ce que j'ai ressenti quand nous nous sommes rencontrés, transportés serait le mot plus exact, ce n'est pas ce qu'y m'a poussée à t'écrire. Tu as raison. Ce que j'ai ressenti je le garde pour moi tel un cadeau merveilleux, une découverte d'un infini plus grand que l'espace charnel. Ce que j'ai ressenti, je le revisite, je l'analyse, le dissèque à l'envie, mais c'est quelque chose de moi à moi, même si je te le dois. Jamais non jamais je n'ai eu envie de le partager avec toi. C'est à moi, juste à moi. Si j'avais du t'en parler, je n'aurais eu qu'un merci à t'adresser. Ce merci ne m'a jamais inspiré une lettre.

     

    Si je t'écris c'est à cause de bien plus que cela, c'est à cause d'un quelque chose bien plus grand, bien plus... Et revoilà le véto qui stoppe l'élan de mes mots.

     

    Oui même si tu ne me crois pas, sache que dix fois, vingt fois je me suis installée à la table à manger, à la table basse, même à ma table de couture ou sur le canapé du salon, voir celui de mon espace lecture. J'ai même poussé les plantes vertes de leur large guéridon sous le vélux, comme si leur sève aurait pu aider mon sang à réduire la force de résistance qui endoctrine mes neurones. Échec total. Chaque fois ce fut l'échec total.

     

    A l'appartement, je n'ai pas à proprement parler de bureau. J'ai bien un téléphone et un ordinateur, mais ils sont juste posés sur la bibliothèque basse, car les prises sont là. Je ne peux même pas ouvrir entièrement mon ordinateur portable tant c'est mansardé là où il est. C'est fou mais j'en n'ai pleinement pris conscience qu'en voyant ton immense et luxueux bureau à Paris. Je crois que j'ai voulu ne pas avoir chez moi ce que j'ai au travail. Je passe ma vie assise derrière un bureau. Ce mobilier n'est pas le bienvenu chez moi.

     

     

    J'ai  parlé de toi  à Maxime.

    Je lui ai aussi dit mon secret. N'en soit ni jaloux ni fâché, cela me peinerait. Ce n'est pas de l’exhibition au contraire c'est de l'expiration. Les mois passent. Chaque jour un peu plus je te porte en moi. Il fallait bien que l'inévitable arrive.

     

    Sur le mois de Septembre nous nous sommes beaucoup parlées elle et moi. Je lui ai tout dit. Je lui ai raconté t'écrire, je lui ai décrit  ton appartement sur Paris. Attention, elle n'a lu aucune de tes lettres, et je ne les lui ai pas résumées. Je lui ai juste confié t'écrire, et avoir l'infini bonheur de pouvoir te lire. Lecture qui m'inspire d'autres mots pour une nouvelle lettre. Mes confidences ont seulement pour conséquence qu'elle ne te nomme plus Tchig mais Colerige. Enfin ! Pourrait avoir pour conséquence, car malheureusement pour elle tu étais et demeure le tueur de tchétchènes. Il y a probablement une note d'humour là où je ne ressens qu'un mépris. Je n'aime pas que l'on t'abime.

     

    Comme toi elle m'a demandé pourquoi j'avais commencé cette correspondance.  A elle j'ai réussi à le dire. A toi, je ne  parviens pas à le noter noir sur blanc. Il me faudrait peut-être commencé à songer à acheter un bic à l'encre mauve. Ok plaisanterie puérile.

     

    Elle a ri. Maxime a ri, pire elle n'a pas su retenir un fou rire. J'en fus blessée et ravie à la fois, car plus je parlais, plus je réalisais que je n'avais pas envie de partager avec quelqu'un ce que je vivais avec toi. Elle a ri. Tu vois ce fut un peu comme si je lui avais vanté le dernier vêtement que j'avais cousu, avec lequel j'irai à l'agence lundi  et qu'elle avait découvert le costume d'un lapin blanc avec de bien belles et grandes oreilles.

     

    Elle a ri et c'est très bien ainsi.

     

    Elle ne m'a pas prise au sérieux, alors j'ai ri à mon tour et j'ai conclus d'un mensonge. Je lui ai déclaré "réponse idiote pour question idiote". J'ai affirmé que la seule raison à mon désir de rentrer en contact avec toi était ce que j'avais ressenti dans tes yeux. Ses propos ne furent plus que divagation. La fille (moi) sage toujours, coincée certains jours et frigide les autres s'est transformée en une malade mentale qui fantasme sur un type sale, mal rasé, sauvage et tueur. Je l'ai laissée aller jusqu'au bout de sa dérision et j'ai tranché d'un "Voilà c'est ça".

     

    Ensuite j'ai commis ma seconde faute. Comprends, j'ai voulu rehausser ton image. J'ai parlé de Paris.

     

    Bon je te fais une confidence. C'est moche, mais c'est moi !!! Je suis une véritable calamité parfois. Enfin vu des yeux des autres car des miens, je suis bien. Cela s'appelle s'assumer. Mais non je ne m'assume pas car je crois que tu vas me détester.  Je suis maso, je te tends le fouet pour me battre.

     

    Je ne parviens pas à te dire mon secret essentiel alors je vais t'avouer mon secret ridicule. Là pas de doute, il va y avoir aussi un séisme sous mes pieds, mais je vais tomber dans une faille et me retrouver 1 000m, 10 000m sous le niveau zéro.

     

    J'ai fait sentir ton parfum à Maxime.

     

    Je n'ai pas volé ta bouteille, tu es à Paris, tu vois bien qu'elle est toujours à sa place. Non ce que j'ai fait, de retour à Quimper, c'est que je suis entrée chez Sephora pour avoir ton parfum. Mon ventre se noue en te l'écrivant, tu vas me trouver idiote, et bien voilà je le suis. Je ne suis pas une femme parfaite, je suis une pauvre idiote.

     

    J'ai voulu un peu de toi chez moi.

     

    J'ai acheté Allure de Chanel pour homme et aussi Allure de Chanel pour femme puisque cela existe. Et j'ai aimé que la version féminine existe. J'y ai vu là un signe. Merci de ne pas me demander de quoi. J'assume ma folie. Depuis Paris je porte Allure de Chanel pour femme chaque jour, et ma bouteille passe sa journée à la droite de la tienne.

     

    Non je n'ai pas relevé ta pointure pour mettre une paire de charentaises à ta taille sur ma descente de lit. Je n'ai pas de descente de lit. Et non il n'y a pas de brosse à dent qui t'attend dans un verre sur le lavabo de ma salle de bain.

     

    J'ai décrit à Maxime ton salon au mur 100% miroir tellement impossible à oublier quand on est dans la pièce, tes paniers d'accueil, ton couloir large comme ma cuisine, ton manteau au tombé merveilleux et je lui ai fait sentir ton parfum. Je voulais qu'elle t'aime un peu, qu'elle comprenne que tu es une glace à la vanille non un ermite néandertalien. Malheureusement tu es juste passé de la case tueur de tchétchènes à celle de tueur de tchétchènes payer par la mafia russe.

     

    Je ne lui ai pas parlé des Welch pour lui éviter de te croire de la CIA aussi. Je ne lui ai pas plus avoué être ta femme pour la concierge, car de toute façon après lecture de mon histoire de parfum, tu vas contacter ton avocat pour un divorce rapide.

     

     

    En vérité Maxime s'indiffère de toi. Donc de moi. Comme dit Mauriac, le père non le fils "mon pire défaut est ma lucidité".

     

    Passer le jour où j'ai commis la double bêtise de lui parler de toi, elle n'est jamais revenue sur le sujet. Seule sa vie la préoccupe. Début octobre elle a donné son préavis à son travail. On se connait car elle travaille pour le cabinet de comptabilité qui gère les finances de l'agence immobilière. Tous les jeudis elle passe à l'agence faire un point sur les chiffres. Elle me manquera. 

     

    Avant d'écrire sa lettre de démission pour son patron, en fait sa patronne, il n'y a pas un seul homme à son cabinet, et elle a entamé une procédure de divorce. Son mari était toujours le premier à recourir à la menace du divorce chaque fois qu'ils se criaient dessus, mais maintenant que ce n'est plus du vent, il n'est plus du tout d'accord. Ses deux filles, ne sont toujours pas au courant, à moins que Roger leur en ait parlé et qu'elles n'osent pas aborder le sujet avec leur mère. Maxime ne sait pas comment leur exposer son choix, donc elle le leur tait encore. Pourquoi divorce et démission ensemble ? Non elle n'est pas dingue, je ne déteins pas sur elle. Ma folie n'est pas contagieuse.

     

    Maxime veut aller vivre avec son père pour reprendre la boulangerie familiale. Elle est très sérieuse. Le projet la rend heureuse. J'en suis ravie pour elle, même si nous allons forcément nous perdre un peu. Quoiqu'elle ne part pas vivre en Suisse non plus. D'ailleurs ne l'ai-je pas déjà perdue ? Il y a des années que je ne lui ai pas parlé d'un homme, je lui apprends t'écrire, elle en conclue que je suis folle d'amour et folle tout court mais ensuite, elle ne cherche pas à en savoir plus, à savoir comment évolue notre correspondance. Si nous nous sommes revus. Je l'ai déjà perdue un peu, je suis lucide.

     

     

    Bref, à elle j'ai pu avouer la raison qui m'a insufflé assez de courage pour parvenir à te poster mes premiers mots et elle a rit. J'ai passé ça pour du délire et donc ma vérité s'est transformée en farce. Sauf que c'est bien ma vérité, ma réalité, le fondement de mes actes .

     

    Colerige Alesh je ne peux pas. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, je ne le peux pas. Excuse moi mais je ne peux pas te dire ce que tu veux savoir même si ta demande est légitime. Je suis désolée, infiniment désolée, je ne le peux pas.

     

    Tu vois c'est un peu comme si tu me demandais d'ouvrir ma peau pour  te montrer ma colonne vertébrale. C'est très grave. Un rire de toi et BOOM elle n'est plus que tas d'os au sol. Je ne m'en relèverai pas.

     

    Tu vas me dire que toi, tu ne vas pas rire. Au fond de mes tripes je le sais, oui j'en suis certaine. Tu vas le prendre avec gravité, et ce sera encore pire, car tu vas en faire une forteresse. Je n'aurai plus une colonne vertébrale mobile, j'aurai une barre de fer dans le dos, je ne serais plus qu'elle et j'en serais paralysée.

     

    Cole oui j'ai très peur de ta réaction. Tu es même capable de débarquer chez moi. J'ai encore besoin de me tenir éloignée de toi. Il faut que je parvienne à détruire ton maudit piédestal.

     

    Je t'en supplie, laisse moi du temps.

     

    Colerige Alesh cela fait sept mois que j'évite d'y songer, puis deux mois que je tourne le problème dans tous les sens : je ne le peux pas. Que tu ris ou que tu me prennes au sérieux, les conséquences seront trop lourdes pour moi. Je ne peux pas. Alors s'il te plait, laisse moi du temps pour parvenir à te l'écrire. Bien sûr qu'un jour tu le sauras, je te le dois...

    2027 me semble bien.

     

    Cole, je me suis assise face à une feuille blanche, ce soir, pour répondre à ta demande. Oui j'ai pris mon crayon pour te raconter mon mariage. Seulement les mots se sont additionnés, des mots qui ont aussi leur importance, et les pages se sont noircies sans que je n'arrive à Lionel. Minuit est dépassé, je travaille demain, aussi je vais stopper là cette lettre déjà épaisse. Demain je vais te la poster pour qu'elle soit à Paris au plus tôt. Je ne veux pas que tu penses que je t'oublie.

     

    Je te promets que demain soir, je reprends mon bloc note pour te parler de Lionel. Je te le promets. Cette seconde lettre sera posté mardi, au pire mercredi. Je te le promets.

     

    Excuse moi encore.

    A demain.

    Mickaelle une folle à lier mais pas à enfermer.

     


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