• Je déteste voir un membre de ma famille débarquer au boulot. Sous prétexte que c'est un magasin, ils s'imaginent que les visites sont autorisées. Voir Lukasz assis sur le Neptune m'a mise dans une colère noire. Si j'avais eu la force d'un mec, je l'aurais jeté dehors.

     

    Et j'aurai eu tord. Vraiment tord.

    Il a dit un truc auquel je n'avais jamais pensé.

     

    Tellement concentrée sur ma petite personne, je ne me suis jamais mise à la place de Mickaelle. Et pourtant je ne pensais faire que ça.

     

    Depuis que je me souviens avoir allumé les bougies, je veux que Samuel le sache pour innocenter Mickaelle. Je ne pense qu'à elle. Je veux me sacrifier pour elle. Elle était ma meilleure amie, je lui dois donc secours.

     

    Avant j'avais des cauchemars, je ne comprenais pas pourquoi cet enfant prétendument inconnu brûlait dans mes nuits. Maintenant que je dors bien, que je me rappelle l'incendie, j'ai deux  obsessions : Les cicatrices de Samuel et la mise à l'écart de Mickaelle. Alors oui j'étais persuadée de ne penser qu'à elle.

     

    Je ne pensais qu'à moi. Sans le savoir Lukasz me l'a fait réaliser.

     

    Je me disais que si Samuel savait qu'elle était innocente, elle serait réhabilitée. Un frère ne peut pas vouloir vivre sans avoir des nouvelles de sa soeur. Oui j'étais persuadée que le jour où Samuel me saurait l'incendiaire, il regretterait la perte de sa soeur. Kara Anne a même ajouté hier soir que si Solange avait assez d'aplomb pour nous mentir, elle ne saurait pas rester de marbre dedans les questions de son fils. Elle lui avouerait où elle se trouve.

     

    Déjà nous nous imaginions heureuse d'accueillir Mickaelle chez nous.

     

    - Tu crois qu'elle aime les chats ? A plaisanté Kara Anne pour alléger la conversation.

    - Tu as bien appris toi, si elle ne les aime pas encore, on lui apprendra, ai-je répliquée convaincue de nos avenirs liés.

     

    C'est fou mais déjà nous l'imaginions notre future amie. Qu'y a-t-il de plus beau dans la vie que de retrouver un ami ou un amour perdu ? En découvrir un nouveau ? Non retrouver un ancien c'est beaucoup plus fort. Il y a de la consolation sous l'amour donc c'est plus fort.

     

    Nous ne la rencontrerons jamais. Lukasz a raison.

     

    Jusqu'alors j'avais l'impression de vouloir me dénoncer pour la réhabiliter.  Je ne pense qu'à elle ai-je affirmé à Kara Anne plus d'une fois. J'en étais tellement persuadée que j'en ai convaincue Kara Anne. Comme moi, elle veut que Samuel sache l'innocence de sa soeur, même si pour cela il faut qu'il me haïsse pour la vie ... Et peut-être sa mère aussi. Son père, lui est sauvé par la Mort.

     

    Kara Anne a prévu qu'il casse deux trois objets dans la maison, mon nez aussi peut-être. Quand il viendra, il faudra juste cacher les quatre chats. Pas dans les chambres, maintenant qu'elles ont leur chatière, ils en sortent comme bon leur semble, même Macha qui expérimente tout après les autres. Ah elle n'est pas téméraire celle là ! C'est la moins tricolore des deux mais la plus Arlequin de caractère.

     

    Toutes les vérités sont bonnes à dire, surtout les plus douloureuses. Sur ce point l'une l'autre nous n'avons aucun doute.

     

    Kara Anne me soutient à fond dans ma volonté de tout raconter à Samuel. Comme elle n'a la spontanéité que de ses élaborations mentales, elle réfléchit à l'ordre des phrases, au lieu, au moment opportun. Jamais de ma vie je n'ai fait ce genre de truc. Je fonce. Parfois je m'écrase, ok mais est-ce plus souvent qu'elle qui a tout calculé avant ? Pas certaine.

     

     

    Lukasz entre sans prévenir sur mon lieu de travail. Il s'assied avec son pantalon de paysagiste sur le Neptune rouge non loin de la vitrine. Je vois rouge, alors plus rouge que le cuir. Et il ajoute que je dois me taire. Oui. Si j'avais été un mec, je l'aurais pris par les bretelles (ok il n'en a pas), et je l'aurais sorti d'un coup de pied au cul, même si je ne peux pas être à la fois devant lui pour le tirer par les bretelles et derrière ses fesses pour lever le pied. L'essentiel est que je me comprenne. Si j'avais été un mec, je l'aurai jeté dehors. Je suis une fille, mon patron est dans le bureau qui a une fenêtre ouverte sur la boutique, je me suis donc assise, bien sagement, sur le cabriolet à la droite du Neptune et j'ai supplié dans un murmure à Lukasz de disparaitre au plus vite.

     

    Évidemment il n'en a rien fait.

    Mickaelle est mieux sans frère, ils n'accordent jamais de valeur aux volontés de leurs soeurs.

     

    J'avoue.

    Il a eu raison de rester pour déverser son idée.

     

    Voilà sa logique : Si nous : papa, maman, lui et moi nous nous souvenons parfaitement que Solange et Mickaelle étaient absentes de leur maison quand Samuel a été brûlé, il n'y a aucune raison pour que Michaelle l'ait oublié. Elle sait donc depuis toujours qu'elle n'a jamais fait de mal à son frère. Elle doit très bien se souvenir être revenue de chez le coiffeur en larmes à cause de ses cheveux trop courts et de nous découvrir tous les quatre également en larmes dans sa cuisine. Pareillement elle doit ne pas avoir oublié son installation chez nous, dans ma chambre, jusqu'à notre déménagement moins de dix quinze jours plus tard. Le feu elle n'en a rien vu. De la fenêtre de ma chambre le seul spectacle auquel elle pouvait encore assisté était un désolant amas de planches brûlées, de poupées, de peluches et autres jouets de fillettes calcinées. Pour bien éteindre l'incendie de la cabane, les pompiers avaient étalés les objets sur la pelouse ce qui donnait l'impression que la cabane avait eu dix fois plus de surface au sol. Solange et Gérard pris entre leur emploi et leurs allers retours à l'hôpital ne se souciaient pas de nettoyer leur gazon. Tout est resté en l'état au moins jusqu'à notre départ. Je m'en souviens très bien. Comme je me souviens très bien combien Mickaelle pleurais ses beaux et longs cheveux disparus.

     

    Si depuis ses trois ans Samuel accuse sa soeur, depuis tout autant de temps elle se sait innocente. C'est incroyable mais cette pure évidence ne m'avait jamais traversée l'esprit. Peut-être car j'ai vécu quarante cinq ans sans me souvenir ... Non si je ne m'en étais pas souvenue je m'aurais pas pu m'en souvenir. Alors quoi ? J'ai passé quarante cinq ans ... Comment  ? ... Si ce ne fut de l'oubli qu'était-ce ? Du déni ? De L'amnésie ? Un système de protection à n'en pas douter.

     

    Au début Mickaelle est une enfant, elle ne peut donc se défendre contre ses propres parents, mais comme nous elle a vieilli de 45 ans, elle a donc eu tout le loisir de rétablir la vérité. Elle a eu mille fois la possibilité de contacter Samuel. Mais elle ne l'a pas fait.

     

     Elle n'en a rien fait.

     

     

    Samuel n'est pas allé au repas de maman, Marie Pierre y a été seule.

    Bien fait. Ok c'est mesquin.

     

    A maman, Marie Pierre a raconté qu'il avait un engagement de dernière minute impossible à refuser. A Zofia elle a avoué qu'il n'avait pas eu envie d'aller chez les parents du mari de la nouvelle copine de sa femme. Bien logique en soit !

     

    Maman a tout de même sorti les albums photos de nos enfances et Marie Pierre a été condamnée à regarder Samuel et Mickaelle tous mômes. Évidemment elle n'a pas été sans devoir raconter aussi tout ce qu'elle avait appris de l'enfance de son mari et de sa relation à sa soeur Mickaelle.

     

    Au début les parents, dépassés par ce qui arrivait à leur fils, et ne nous ayant plus pour nounou, avaient envoyée leur fille chez une tante.  Où ? Marie Pierre n'en avait pas la moindre idée. Elle ne pouvait même pas affirmé qu'elle était restée dans le département, voir la région Bretagne. Ils l'avaient protégée tout en s'en libérant.

     

    Ensuite, ça je le savais déjà par Kara Anne, ils avaient déménagé sur la région parisienne pour être au plus près de l'hôpital où Samuel allait devoir séjourner par périodes, pour ses 24 opérations. Pauvre gosse !

     

    Une fois dans leurs nouveaux murs, les parents avaient voulu récupérer Mickaelle. Elle avait refusé. Ils ont cherché à plusieurs reprises à la reprendre, mais Mickaelle s'y était toujours opposée.  Jamais elle n'avait voulu retournée vivre avec eux. Jamais.

     

    Pour Solange et Gérard ce fut une terrible douleur, aussi le sujet Mickaelle devint tabou et au final pour Solange, Mickaelle n'avait jamais vu le jour, elle n'avait qu'un fils : Samuel. Samuel qui savait très bien qu'elle racontait à qui voulait l'entendre que son fils unique avait une maladie de peau. Il connaissait l'histoire officielle. Lui gardait cicatrices et colère envers sa soeur. Gérard ? Gérard ne parlait pas. Marie Pierre n'avait jamais vraiment su quelles larmes son coeur pleurait. Il était un homme fermé. Un survivant plus qu'un bien heureux.

     

    Mickaelle avait choisi de suivre un CAP. Lequel ? Quelle branche ? Marie Pierre l'ignore. Elle ne voulait pas faire d'études, elle voulait pouvoir travailler, être autonome rapidement. Et pour cause !

     

    Très peu de temps après sa majorité, elle est partie une semaine avec des amies en Belgique, dans la famille de l'une d'elle. Les amies sont revenues, mais pas Mickaelle. En vérité il n'avait jamais été question pour les filles que Mickaelle les accompagne. Elle n'était donc jamais partie avec elles. Mais elle était partie.  Comme elle était majeur, ce ne pouvait être pris telle une fugue.

     

    Plus personne n'a eu de nouvelles d'elle ensuite.

     

    Mickaelle et Samuel ne se sont pas vu depuis le matin de l'incendie, sur la volonté de Mickaelle. Puis l'acceptation de Samuel.

     

    Pour Lukasz, le fait que je sois de retour chez Kara Anne, surtout si Solange et Kara Anne continuaient à se fréquenter (ce que je doute), je risquais de devoir recroiser Samuel. Mais si peu. Nous avions jusqu'alors réussi à nous sourire, voir à nous faire rire, pourquoi cela devait-il cesser ? Je travaille dans un magasin, je maitrisais donc l'art de rester courtoise avec les pires emmerdeurs.  Je pouvais donc l'être aussi avec un mec chouette.

     

    La peau de Samuel était ce qu'elle était. Que je me dénonce ou non, ne la changerait pas. Mon aveu n'aura aucun pouvoir lissant. 

     

    Pour ce qui était de sa relation à sa soeur, sur  la volonté de Mickaelle puis celle de Samuel tout était au point mort. Que je parle n'y changerait rien. Mickaelle se savait innocente et elle ne cherchait pas à en persuader son frère. Pourquoi ferais-je ce qu'elle ne désire pas ?

     

    A table maman n'a parlé que du fait que par le passé les deux familles étaient voisines. Si elle a bien raconté à Zofia et Marie Pierre le jour de l'incendie, ce qu'elle avait vécu, soit Lukasz descendant de ma chambre où je dessinais comme une gentille petite fille sage que j'étais, l'action des deux pères, son appel aux pompiers, le départ de Samuel pour l'hôpital, l’hébergement de Mickaelle, elle a tu ma responsabilité. Lukasz ne l'avait appris  que par papa  en tête à tête.

     

    Il m'a promis qu'il ne le dirait jamais à Zofia. Ni même à Janko. Et il ne doutait pas que les parents se tairaient également. Si ils avaient voulu raconter ma responsabilité, ils l'auraient fait à table. Marie Pierre et Zofia se sont questionnées sur la raison du début d'incendie. Les hypothèses de l'époque ont refait surface. Et le mot accident est arrivé pour conclusion.

     

    Ma culpabilité restera un secret entre papa, maman, lui et moi, sauf si j'étais idiote m'a fait remarquer mon frère. Sauf si j'étais idiote.

     

    Pour lui tout est fini. FINI.

     

    Il avait du rencontrer Samuel pour la clôture. Elle était en place. Plus rien n'unissait les deux familles côté hommes. Pour les femmes, Marie Pierre et Zofia allaient probablement s'échanger encore quelques mails, quelques sms mais dans un trimestre elles se seront oubliées. C'est toujours comme ça que la vie se passe. On rêve de nouveauté, mais à chaque changement, on œuvre pour le gommer de l'existence et retrouver la routine d'avant. Et donc le rêve de nouveauté.

     

    Il a probablement raison. D'accord, il a totalement raison. Si Mickaelle se tait pourquoi parlerais-je ?

     

    En partant Lukasz a bien insisté : c'est fini. Le sujet est clos. C'est fini.

     

     

    Mes yeux reste fixée au Neptune, au cuir rouge où Lukasz n'est plus.

     

    Dehors, de l'autre côté de la vitrine, le ciel est d'un beau bleu. Ce soir avec Kara Anne on va assembler dans chacune des chambres les arbres à chats que j'ai acheté sur internet et qui ont été livré ce matin au magasin, qui sont déjà dans ma voiture. Kara Anne n'est pas encore au courant. La soirée va être riche en éclat de rire.

     

    Lukasz à raison, c'est fini. Samuel ne brûle plus, dans mes nuits. C'est fini.

     


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  • 31

    Elle est dingue Arlequin. Mais comme elle fait du bien.

    Ok elle me veut bien à nouveau chez elle mais je ne dois plus payer mon loyer à la semaine, elle veut un paiement au mois et elle décrète que les 4 jours qui restent à celui-ci ne comptent pas et elle exige que je me taise toutes les  fois, sur les vingt ans à venir,  qu'elle appellera Edgar : Matoucha.

     

    Elle est dingue mais ça fait chaud au coeur.

     

    Quand elle m'a enlacée... ça aussi cela fait vraiment  chaud au coeur.

    Même quand elle dit " Bonjour Matoucha bébé".

     

    Nous sommes tellement opposées ....

     

    Je suis contente de l'avoir dans ma vie.

     

    Le premier jour où j'ai posé mes valises chez elle j'avais une envie forte de déguerpir au plus vite. Cette fois j'ai l'impression que je ne suis pas prête de m'en aller. Je vais finir ma vie avec une femme ! Cela va me préparer à l'ultime étape : la maison de retraite.

     

    Elle ne m'a  posée aucune question. Au travers de la vitre, elle m'a vue traverser la terrasse avec la lourde valise de ma mère et Edgar dans sa boite à chat toute neuve. Elle est devenue rayonnante. Avec elle tout est simple comme un dimanche de plein soleil.

     

    Plus tard je  lui raconterais que demain Samuel et Marie Pierre seront à manger chez maman. Je suis sûre qu'elle va me comprendre.

     

    Depuis qu'elle a encaissé que je suis celle qui a brûlé Samuel, elle n'est plus que joie de le savoir en bonne santé. Alors dimanche avec Lukasz et Zofia, c'est la fête à la maison. Maman veut revoir l'homme qui était un amour de petit garçon. Elle m’écœure.

     

    Merde c'est MA mère, pas la mère de ce mec. Elle croit que c'est facile pour moi de voir ce mec en col roulé et manches longues qui cachent tout le mal que je lui ai fait. Elle croit quoi maman ? Que tout va bien pour moi ? Je suis obsédée par sa peau. Dix fois, vingt fois, cent fois je suis allée sur internet voir des peaux brûlés pour savoir ce qu'il y a sous son pull. Et maman l'invite. Elle a retrouvé son charmant  kochanie.  Rien d'autre n'importe pour elle. C'est quoi l'étape suivante? Elle va souffrir de savoir Solange veuve et elle va l'invitée à partir avec eux en vacances pendant le mois d'août ? Elle déboulonne complet la mère ! Merde c'est Ma mère, elle devrait être de mon côté, elle devrait comprendre que je suis mal d'avoir foutue en l'air la vie de ce type.

     

    Et de Mickaelle. Qu'est devenue Mickaelle ? Qu'en ont-ils fait ?

     

    Alors quand elle est venue vers moi avec les bras chargés de bouquins de cuisine, pour que je l'aide à élaborer le menu de dimanche, c'est tout logiquement que je l'ai invitée à refaire le gâteau des un an de Janko, d'y planter une bougie et d'offrir la boite entière à Samuel tant qu'elle y était.

     

    Merde pour l'heure il ne savait pas que c'était moi qui lui avait foutu sa vie en l'air, il croit que c'est sa soeur, mais avec l'invitation il va se souvenir que nous étions ses voisins, et si il n'arrive pas seul à nous revoir dans la cabane avant que je ne referme la porte sur lui, je compte sur maman pour ne rien lui cacher de ma monstruosité.

     

    Bien sûr il doit le savoir, mais merde pas comme ça, non pas comme ça.

    "oh comme je suis heureuse de te revoir après l'enfer que ma monstrueuse de fille t'a fait subir". Merde pas comme ça.

     

    Elle croit quoi maman ?

     

    Elle ne pense même pas une minute à Samuel. Il va vouloir savoir pourquoi il doit aller chez les parents d'un homme qu'il vient juste de connaitre.

     

    Quand il a vu un livre, juste un livre, qu'il a lu " Brûler" sur la couverture, il a explosé de rage, et là, pour les beaux yeux de maman il va resté bien sage à table.

     

    Merde pourquoi papa et Lukasz ne réagissent pas eux non plus. C'est de la débilité totale ce repas. Pourquoi je suis la seule à le réaliser ?

     

    Alors oui, j'ai dit à maman de lui offrir en cadeau de retrouvailles une boite de bougies. Je me suis même proposée d'aller les lui acheter car je me souviens très bien de celles que j'ai utilisé pour lui foutre sa vie en l'air.

     

    Là j'aurai voulu que maman comprenne qu'elle mettait la charrue avant les bœufs, que ce n'était pas opportun de l'inviter maintenant. Mais non, elle n'a rien capté, elle m'a rétorquée que si je n'avais pas meilleur humeur dimanche, j'étais invitée à être absente.

     

    Samuel était le bienvenu et moi je devais m'en aller.

     

    J'ai déjà connu des rapports de force avec papa mais jamais avec elle. Je ne sais pas comment Solange a jeté Mickaelle mais là j'ai senti, et ça glace le sang, j'ai senti que ma mère me repoussait. On était là, elle assise, moi debout, nos regards ne se lâchaient pas. Il y avait une force incroyable dans les yeux de ma mère. Une force bien plus puissante que n'aurait été celle de ses bras sur mes épaules pour me repousser vers la porte de sortie.

     

    J'ai compris qu'il était tant que je m'en aille. De toute façon à 50 ans on ne vit pas chez ses parents. Mais tout de même, quand je lui ai piqué sa grosse valise, que j'ai vidé ma chambre comme jamais encore je ne l'avais fait, j'étais glacée. Si je n'avais pas su Kara Anne sur Terre j'aurai paniqué face au gouffre qui m'attendait. J'avais un refuge où aller. Virée, jetée, oui mais j'avais un replis, un avenir.

     

    Et puis il y avait Edgar.

     

    Encore une totale incompréhension.

     

    Comme j'avais hurlé  "Samuel" face à ma maison en feu, en rassemblant mes affaires je suis devenue obsédée par Edgar. Le plus dingue c'est que son nom m'est venu comme ça. Avec Kara Anne nous l'avons toujours appelé Matoucha à cause de Macha et Chama ses soeurs. Et jamais il n'a été question que je l'adopte. Il était le dernier de la fratrie, celui en attente d'une adoption, rien d'autre.

     

    Alors que je vidais tiroirs et étagères, il est devenu Edgar. Edgar mon chat. Je ne sais pas pourquoi, c'est ainsi. Son nom c'est Edgar. Et son avenir est avec Guénady et moi. J'avais pris Guénady et sa soeur Cveta tant la misère du lieu où ils étaient me désolait. Pourquoi je voulais Edgar ? Je ne sais pas. D'ailleurs je ne le voulais pas, c'est comme si une force ésotérique me l'imposait. 

     

    Au début  j'ai été comme obsédée par lui. Ensuite je fus habitée par une peur de le laisser derrière moi. Pas une seconde je n'ai pensé que maman pouvait monter pour une dispute ou une volonté de réconciliation, non, dans mes tripes, ma tête il y avait "fuit vite, emporte tout car tu ne reviendras jamais et surtout, surtout, SURTOUT n'oublie pas Edgar, ne laisse pas Edgar derrière toi".

     

    Bref j'ai fait un crochet chez ses naisseurs et je l'ai embarqué. C'est fout quand j'y pense, cela s'est passé comme si j'étais passée reprendre mon chat chez sa nounou. Ce fut comme si lui et moi nous nous connaissions, nous nous aimions déjà depuis ... depuis toujours. Il m'attendait derrière la porte, presque. Et les gens ! C'est horrible quand on y pense comme ils n'en ont rien à faire. Si j'étais passée leur acheter un kg de tomates de leur jardin, je suis sûre qu'ils en auraient fait plus de cas. Ils ne m'ont même pas consacré trois minutes. Jamais je ne les avais prévenu de mon désir. "Il est là". Voilà tout ce que la femme m'a dit "il est là". Elle aurait désigné un tas immondices elle n'aurait pas eu pire grimace. Lui il a levé les yeux sur moi, et il a sauté de sa boite en carton d'où il dormait. Il a couru vers moi (où vers la porte ouverte). Je l'ai pris dans mes bras. On s'en va  lui ai-je dit en l'embrassant sur le crane. Je me suis retournée et j'ai entendu la porte qui se refermait derrière nous.

     

    Quand il fut dans la voiture, que nous roulions vers Guénady, ma peur, ma souffrance due au rejet de ma mère se sont envolés. C'est un peu comme si je venais de sortir d'un long tunnel sombre, qu'enfin je retrouvais la lumière. J'aurais presque pu sortir de la voiture pour lever la tête au ciel, étendre les bras et hurler "La vie est BELLE" en tournant sur moi telle une toupie. Mais Monsieur bébé qui a déjà plus de trois mois, donc n'est plus si bébé que ça, vagabondait sous les sièges avants, alors ni chanson ni hurlement de bonheur, mais une absolue concentration sur la route qui mène au premier magasin qui vend des boites de transport pour chat.

     

     Kara Anne m'a pris la boite, et m'a suivie avec dans la chambre.

    J'ai ouvert la valise, elle a libéré Edgar.

     

    Je n'arrivais pas à parler. Elle ne m'a posée aucune question.

    Au bout d'un moment elle a pris Edgar contre elle et elle lui a dit :

     

    - Matoucha il y a deux étapes dans une vie. D'abord tu luttes pour être toi et que les autres acceptes que tu sois toi tel que tu es. Ensuite il faut accorder à autrui ce même droit d'existence. 

     

    Alors elle l'a posé au sol et elle m'a enlacée. Comme je lui tournais le dos, elle a écrasé sa lourde poitrine  contre ma colonne  vertébrale et ses mains se sont repliées sur mon ventre. Ce n'a pas été un geste furtif, elle est restée longtemps sans bouger, sans desserrer son étreinte.

     

    Depuis quand  quelqu'un ne m'avait pas offert une si libre preuve d'amour ?


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  • 30

    J'ai toujours su que  je n'étais pas une grande courageuse, encore moins une guerrière, mais là je me fais honte. Est-ce possible d'être si faible, si lâche ? Ça fout un coup au moral.

     

    Je n'ai rien dit. Rien. Je ne suis ratatinée, écrasée. J'ai piqué du nez, baissé les yeux. 

    Je me fais honte.

     

    C'est évident, Halka va vouloir savoir si j'ai parlé à Solange. J'ai honte.

     

    J'ai l'impression que Solange savait tout, qu'elle voulait me pousser à raconter, mais je n'ai rien dit.

     

    Qu'est-ce que je vais faire de la clé maintenant ?

     

    Elle est là, dans ma main. C'est une clé, une simple clé qui ressemble à des millions de clés.

     

    C'est ridicule d'avoir fermé à clé. Solange ne va pas comprendre pourquoi elle ne peut plus ouvrir le portail que l'on vient d'installer devant ma voiture, pour passer librement d'une maison à l'autre.

     

    Je suis lâche. J'ai verrouillé derrière elle car je ne veux plus la voir, mais elle va vouloir une explication.

    Et si je lui écrivais ? Si je lui glissais une lettre dans sa boite.

    Mais pourquoi je ne peux pas l'affronter ? Pourquoi ?

     

    J'en ai vraiment eu la possibilité aujourd'hui.

     

    J'étais bien, au soleil à planter mes pieds de fushias dans les lourdes jardinières vidées de leurs bambous par Lukasz, bambous qui d'ailleurs semblent se plaire en pleine terre le long de la clôture, quand je l'ai vu se diriger droit vers moi.

     

    Ma lâcheté a commencé là. J'ai piqué du nez, j'ai joué à la fille concentrée sur ses plantations, à la fille sourde et aveugle. Solange a toujours des chaussures qui s'entendent venir.

     

    Au début elle n'a parlé que des fleurs. Elle m'a fait remarquer que je ne l'avais  pas  invitée à m'accompagner au magasin de fleurs. Elle a raison, avant nous aurions réfléchi autour d'une tasse de thé aux plantes que nous aurions pu mettre dans nos bacs afin de créer une belle harmonie. Sa réfection m'a fait prendre conscience qu'une cassure émotionnelle s'était déjà produite en moi. Pas une seconde je n'ai pensé à nous associer. Quand je suis partie au magasin et plus avant, le soir où j'ai navigué sur internet pour définir quels seraient mes futurs achats, pas une seconde je n'ai songé que 50% des jardinières se trouvaient de son côté et qu'il aurait pu être plaisant de grouper nos achats. Pas une seconde. Et dire qu'il y a quelque mois je nous rêvais partenaires en tout.

    Que de changement en moi.

     

    Solange ne m'a rien reprochée, elle a juste rappelé l'évidence : même si la clôture slalome entre les jardinières, elles forment toujours une ligne droite.

     

    Je ne me suis pas compliquée la vie, je n'ai pris que des fushias. J'ai juste varié les couleurs d'un bac à l'autre.

     

    Je ne me suis pas aplatie jusqu'à m'excuser de l'avoir oubliée. Je n'ai pas relevé son observation. Si j'avais été moins lâche je lui aurais dit ne plus vouloir d'elle dans ma vie. Je ne peux continuer à la croire mon amie alors qu'elle me ment. Elle a une fille.

     

    Solange a gardé son sourire. A croire que tout cela n'était que détail.

    Je me suis accrochée à ma bonne humeur.

     

    Et puis Guénady s'est approché.

     

    - Il est encore là lui ! Halka n'est toujours pas passer le chercher. Elle n'est pas revenue vivre avec toi, que je sache. Tu t'es faite avoir, elle t'a abandonnée son chat. Il va te rester sur les bras.

     

    Le mot abandonné est horrible dans sa bouche. Comment ose t-elle parler d'abandon?

     

    Une colère m'a envahie, mais je n'ai pas explosé. Lâche que je suis, je me suis figée, je me suis ratatinée.

     

    Plus elle développait sa conviction, plus j'avais l'impression que la colère m'asséchait, qu'elle me réduisait à un squelette que Guénady aura pu réduire en poussière d'os, si il était venu se frotter à ma jambe.

     

    Je n'ai su ni défendre Halka, ni lui demander où était Mickaelle.

     

    Mickaelle ! Je ne voyais qu'elle. Je l'avais dans les yeux. J'ai tant et tant de fois observé cette petite fille au long cheveux châtain clair, cette petite fille au pull rouge et jaune, cette petite fille qui ne savait pas que le lendemain elle allait perdre ses cheveux et sa famille toute entière.

     

    Solange était mépris, j'étais peine et colère à la fois.

    Solange se jouait supérieur, je me sentais n'être plus rien.

     

    Solange est repartie comme elle était venue, heureuse et fière d'elle.

     

    Je n'ai pas bougé. Je me cramponnais au bac.

     

    Et puis je me suis redressée, j'ai récupéré Guénady trop énergiquement, je lui ai fait peur, il m'a sauté des bras. Je suis entrée dans la maison, sans un regard sur le sol pour être sûre de ne pas marcher sur les jumelles, et je me suis dirigée droit vers le tiroir de la cuisine où j'avais jeté la clé du petit portail. La colère m'a ramenée au portail, je l'ai fermé à double tour pour me débarrasser de Solange.

     

    Ce geste a absorbé 80% de ma colère, aussi maintenant, toujours face au portail, la clé à la main, je me demande à quoi tout cela rime. La lâcheté n'a rien résolu.

     

    L'étrange dans cette histoire c'est qu'à cet instant, je me déteste bien plus que je ne déteste Solange.


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