• 163 - Partie 1 - Jour 5 - Arno.

    Bonjour. Vraiment je suis soulagé de vous savoir enquêtant sur la disparition de Elvira. A la maison on ne parle plus que d'elle. Pardon, je ne me suis pas présenté. Je me nomme Arno Coursel, je suis né la même année et le même jour que Elvira. Elle a eu ses 39 ans le 29 avril et j'aurais les miens le 29 octobre. Nous avons six mois d'écart. Elle est le recto, je suis le verso. C'est une blague entre nous. On fait allusion au calendrier, les six premiers mois au recto et les six autres au verso.

     

    Je suis le serveur responsable de la véranda. Je ne sais pas si Bernard vous a expliqué. A l'Eau à la Bouche, il y a deux équipes, celle du midi et celle du soir. En fait  il y en a trois. Et ce n'est même pas vrai, il y en a quatre. Le matin dès 8h le pâtissier arrive avec Sandrine et Stéphanie. Elles font le ménage des salles puis aident en cuisine. Il y a un apprenti avec Louis en ce moment. La quatrième équipe ferme la boutique. Ce n'est pas une équipe, en fait c'est Sergio, le plus ancien de la boite. Ancien par les années d'embauche et les années sur terre. Avec les trois apprentis nous sommes en tout dix neuf, il me semble. Je fais parti de l'équipe du soir, Elvira l'est aussi, mais elle s'occupe de l'administratif avec Bernard, aussi, elle peut aussi bien arrivée en même temps que Louis et Julien, dès huit heures qu'être encore là quand Sergio part se coucher à deux heures du matin.

     

    Marie José est changée de la partie gauche de la salle principale, Olivia de la petite partie de droite, là où il y a les grandes tables. Elle s'occupe aussi de la terrasse. Elvira est au dessus de nous trois, elle n'est pas serveuse mais chargée de clientèle. Aux cuisines il y a Yohann et Bastien. Bastien est arrivé avec Bernard, il l'a suivi, il vient de Rennes. C'est son second depuis treize ans. Sinon nous étions tous là du temps de Igor, sauf Olivia.

     

    J'ai connu Elvira très jeune, je n'étais pas majeur. Avec mon frère nous avons travaillé en extra l'été pour Igor, dès l'age de seize ans pour moi. Philippe en avait dix neuf. Nous avions un rêve à l'époque, avoir notre propre restaurant en Australie. Vous devez vous dire que je suis hors sujet. Non. Je veux que vous sachez qui est Elvira. Nous étions des gosses Philippe, Elvira et moi. Philippe est né le 23 janvier deux années avant nous. Mon frère et moi, encore plus moi, nous n'étions pas très doué en anglais et bien Elvira nous a donné des cours. Elle n'était encore qu'une enfant, seize ans c'est jeune, mais elle a pris son rôle de prof très au sérieux, on peut même dire que de nous trois, c'était elle la plus motivée, et d'ailleurs à la fin de l'été, il n'y avait qu'elle qui avait progressé en anglais. 

     

    Elvira est une femme incroyable. Elle parle l'anglais, l'allemand, l'italien et l'espagnol aussi facilement que je parle le français. Elle est autodidacte, enfin je ne sais pas si on peut dire ça. Chez elle, elle a une série, vous savez un feuilleton, mais on dit série. Elle a l'intégral, la sommes des 5, 6 ou 8 saisons sur DVD. Elle regarde les épisodes des centaines de fois au point qu'elle connait les répliques par coeur en français. Ensuite elle les regarde dans une autre langue. C'est comme ça qu'elle a appris l'italien et l'espagnol. Ensuite elle passe à l'écrit, elle lit des romans en langue étrangère. Cette femme est d'une intelligence prodigieuse.

     

    Nous avons ouvert notre restaurant à Brisbane en 2001. Brisbane est la troisième plus grande ville d'Australie. J'y suis resté neuf ans. La dernière année, je suis tombé amoureux d'une touriste française. Sa famille est d'Angoulène, enfin, sa grande banlieue. L'amour fait oublier tous les rêves. Elle refusait de vivre ailleurs qu'en France, alors comme elle me manquait trop, je suis revenu en France pour l'épouser.  Si je vous raconte ça, c'est qu'alors, j'ai revu Elvira. Igor n'avait pas aimé que Philippe, après avoir tout appris de lui,  disparaisse pour ouvrir son propre restaurant. Nous ne cachions pourtant pas notre projet, mais Igor voit le monde en fonction d'Igor, il aimait le travail de mon frère, il lui a offert un CDI et pour lui, tout roulait. Pour nous, rien ne changeait, on faisait nos armes à L'eau à la bouche et enfin direction l'Australie.

     

    Quand en 2010, je me suis présenté comme possible saisonnier, j'ai été mal reçu. Igor, était un homme que nous avions trahi, il ne voulait plus me voir. D'ami j'étais passé à traite m'a t-il dit. Je devais sortir de chez lui. Elvira qui avait entendu son père me congédier, m'a rejoint sur le trottoir et m'a demandé de lui donner mes coordonnées. Jamais ensuite elle ne m'a raconté le combat qu'elle a du mener contre son père. Pourtant, je vous juge que Elvira a du insister encore et encore pour me faire entrer à nouveau chez son père. Elvira est une femme merveilleuse, mieux, extraordinaire. Cette femme est la bonté même et comme si cela ne suffisait pas, elle est d'une intelligence prodigieuse.  Le 3 octobre 2010, un serveur a fait un AVC. J'ai été appelé pour le remplacer. Je n'en suis plus jamais reparti. Igor ne m'a jamais pardonné je crois, il est resté très froid avec moi. A moins que ce soit moi qui ait changé. enfant je le voyais un peu comme un père, mais adulte et mari, après avoir géré un restaurant neuf ans avec mon frère, je me sens plus son égal, il ne me semble plus aussi important. Oui je suis probablement injuste, ce ne doit pas être lui qui garde ses distances vis à vis de moi, ce doit être moi, qui ne le recherche plus autant. Disons que j'ai un autre regard. Et que lui aussi, peut-être.

     

    Il y a deux ans, ma femme a voulu retrouver un travail. Nos jumelles avaient fait leur entrée à l'école. Odile avait travaillé dans la vente avant sa grossesse, mais elle ne désirait pas reprendre. Avec Elvira, pas Igor, Elvira, oui, grâce à Elvira elle a pu suivre une formation adulte de serveuse, moitié en cours, moitié en entreprise. Elle a commencé en septembre et en décembre Bernard rachetait le restaurant. Ma femme a raté son examen écrit, mais Elvira l'a gardée. Enfin Bernard, mais pour nous on sait ce que l'on doit et à qui. D'ailleurs c'est Elvira qui lui a fait signé son CDI, Bernard n'est jamais intervenu. Bien sûr c'est lui qui décide mais comme je vous dis, oon sait ce que l'on doit et à qui.

     

    Elvira c'est une femme douce. Pas très grande, un visage disparu derrière ses lunettes marron foncé et ses cheveux au carré qui lui recouvre les épaules. Les montures de ses lunettes sont pour ainsi dire comparable aux miennes, mais j'ai un visage plus carré, plus large. Ce que j’essaie de vous dire c'est que Elvira, si on la croise dans la rue et que l'on ne la connait pas, on ne la voit pas, elle est la discrétion même mais c'est une sorte d'ange. Au début Odile n'aimait pas que je parle d'elle de la sorte. Une forme de jalousie. Odile est du service du midi, elle ne passe donc pas autant de temps que moi avec elle, mais si vous l’interrogez, elle vous parlera d'elle avec autant d'enthousiasme.

     

    Nous sommes très choqué de sa disparition. Marie José nous a dit avoir été chez elle et avoir découvert sa maison bien rangée, sa voiture sur sa place de parking, et son sac à main pendu près de la porte d'entrée avec dedans ses papiers, ses clés, son portable. Vraiment c'est le genre de chose que l'on voit à la télé mais qui n'arrive jamais dans la vraie vie. nous n'avons pas osé le dire aux filles. Nous sommes adultes et nous ne comprenons rien, alors elles qui sont si petites encore, en comprendraient encore moins.

     

    Mardi elle ne travaillait pas. Elle ne travaille jamais les lundis et mardis. Moi j'ai mes mardis et mercredis. Je n'ai donc appris sa disparition que le jeudi.

     

    La dernière fois que nous nous sommes parlés c'était devant le restaurant, à la fermeture, le dimanche soir. Elle partait à pied comme toujours et moi j'étais garé un peu plus loin, dans l'autre sens. On s'est embrassé devant la porte. Elle avait vraiment l'air heureuse. Je lui ai demandé ce qu'elle allait faire de ses deux jours, et son visage s'est encore plus illuminé. Elle m'a dit qu'elle apprenait le suédois. Elle m'a reparlé de sa série américaine en plusieurs saisons. Sur le DVD il y a aussi la version suédoise. Dans la série il y a un fils homosexuel, un autre qui a été soldat, il s'est engagé suite aux avions qui ont percuté les tours jumelles de New York. Sa soeur été dans l'une d'elle. C'est fou, je me souviens de tout ce qu'elle m'a racontée de cette famille américaine mais je suis incapable de me souvenir du titre de la série. Bref Elvira était heureuse, elle commençait l'apprentissage d'une nouvelle langue. Elle est tellement douée qu'elle aurait pu nous chanter une chanson de noël en suédois dans quatre mois.

     

    Je n'arrive pas à voir qui  pourrait lui faire du mal. C'est une femme tellement bien. Elle a déjà eu assez de malheur dans sa vie. Je parle de sa vie sentimentale. Je ne suis pas religieux, Odile non plus, et pourtant, sans nous concerter, chacun de notre côté, nous sommes allés à l'église allumer un cierge pour elle. Nous avons vraiment peur qu'un fou l'ait tuée. C'est une femme tellement bien. Retrouver la je vous en supplie. Elle est la marraine de Léna et Molly . On ne peut pas dire à nos filles que leur marraine est morte. Retrouvez la s'il vous plait, avant qu'il ne la tue.

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  • Commentaires

    1
    Samedi 7 Octobre 2017 à 22:24
    erato:

    Ces interrogatoires permettent de bien cerner la personnalité de chacun.

    Au moins quelqu'un qui l'estime et ne tarit pas d'éloge .Il semble être sincèrement inquiet.

    Bonne soirée Sereine

      • Samedi 7 Octobre 2017 à 22:28

        Tu as été très vite à lire. J'ai changé juste les dernières lignes le temps que tu lisais.

    2
    Samedi 7 Octobre 2017 à 22:28

    Celui la, il est d'une autre nature.

    Je trouve que l'on apprend beaucoup avec lui, je ne dis pas que j'ai une idée de ce qu'il s'est passé mais il me semble qu'il y a des éléments qui se mettent en place.

    Un polar cette fois ?

      • Samedi 7 Octobre 2017 à 22:36

        Je ne sais pas si le mot polar peut m'aller, j'ai l'impression qu'il faut un rythme que je n'ai pas.

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